Page images
PDF
EPUB

bien public avoit été le motif de la révocation des dons, on n'auroit rien dit; mais on montroit l'ordre, sans cacher la corruption; on réclamoit le droit du fisc, pour prodiguer les biens du fisc à sa fantaisie; les dons ne furent plus la récompense ou l'espérance des services. Brunehault, par un esprit corrompu, voulut corriger les abus de la corruption ancienne. Ses caprices n'étoient point ceux d'un esprit foible; les leudes et les grands officiers se crurent perdus: ils la perdirent.

Il s'en faut bien que nous ayons tous les actes qui furent passés dans ces temps-là; et les faiseurs de chroniques, qui savoient à peu près de l'histoire de leur temps ce que les villageois savent aujourd'hui de celle du nôtre, sont très - stériles. Cependant nous avons une constitution de Clotaire, donnée dans le concile de Paris' pour la réformation des abus2, qui fait voir que ce prince fit cesser les plaintes qui avoient donné lieu à la révolution. D'un côté, il y confirme tous les dons qui avoient été faits ou confirmés par les rois ses prédécesseurs 3; et il ordonne de l'autre que tout ce qui a été ôté à ses leudes ou fidèles leur soit rendu⚫.

Ce ne fut pas la seule concession que le roi fit dans ce concile. Il voulut que ce qui avoit été fait contre les priviléges des ecclésiastiques fût corrigé il modéra l'influence de la cour dans les élections aux évêchés. Le roi réforma de même les affaires fiscales: il voulut que tous les nouveaux cens fussent ôtés'; qu'on ne levât aucun droit de passage établi depuis la mort de Gontran, Sigebert et Chilpérics; c'est-à-dire qu'il supprimoit tout ce qui avoit été fait pendant les régences de Frédégonde et de Brunehault; il défendit que ses troupeaux fussent menés dans les forêts des particuliers; et nous allons voir tout à l'heure que la réforme fut encóre plus générale, et s'étendit aux affaires civiles.

1. Quelque temps après le supplice de Brunehault, l'an 645. Voy. l'édition des Capitulaires de Baluze, p. 21.

2. «< Quæ contra rationis ordinem acta vel ordinata sunt, ne in antea, << quod avertat Divinitas! contingant, disposuerimus, Christo præsule, « per hujus edicti nostri tenorem generaliter emendare. » (In proœmio, ibid., art. 16.)

3. Ibid., art. 16. 4. Ibid., art. 17.

5. « Et quod per tempora ex hoc prætermissum est, vel dehinc, perpetualiter observetur. » (Ibid., in proœmio.)

6. « Ita ut, episcopo decedente, in loco ipsius qui a metropolitano << ordinari debet cum provincialibus, a clero et populo eligatur, et, si per<< sona condigna fuerit, per ordinationem principis ordinetur; vel certe, << si de palatio eligitur, per meritum personæ et doctrinæ ordinetur. »> (Ibid., art. 1.)

7. « Ut ubicumque census novus impie additus est.... emendetur, »> (art. 8.)

8. Ibid., art. 9.-9. Ibid., art, 24,

CHAP. II.

Comment le gouvernement civil fut réformé.

On avoit vu jusqu'ici là nation donner des marques d'impatience et de légèreté sur le choix ou sur la conduite de ses maîtres; on l'avoit vue régler les différends de ses maîtres entre eux, et leur imposer la nécessité de la paix. Mais, ce qu'on n'avoit pas encore vu, la nation le fit pour lors: elle jeta les yeux sur sa situation actuelle; elle examina ses lois de sang-froid; elle pourvut à leur insuffisance; elle arrêta la violence; elle régla le pouvoir.

Les régences mâles, hardies et insolentes de Frédégonde et de Brunehault, avoient moins étonné cette nation qu'elles ne l'avoient avertie. Frédégonde avoit défendu ses méchancetés par ses méchancetés mêmes; elle avoit justifié le poison et les assassinats par le poison et les assassinats; elle s'étoit conduite de manière que ses attentats étoient encore plus particuliers que publics. Frédégonde fit plus de maux; Brunehault en fit craindre davantage. Dans cette crise, la nation ne se contenta pas de mettre ordre au gouvernement féodal; elle voulut aussi assurer son gouvernement civil car celui-ci étoit encore plus corrompu que l'autre ; et cette corruption étoit d'autant plus dangereuse, qu'elle étoit plus ancienne, et tenoit plus en quelque sorte à l'abus des mœurs qu'à l'abus des lois.

L'histoire de Grégoire de Tours et les autres monumens nous font voir, d'un côté, une nation féroce et barbare, et, de l'autre, des rois qui ne l'étoient pas moins. Ces princes étoient meurtriers, injustes et cruels, parce que toute la nation l'étoit. Si le christianisme parut quelquefois les adoucir, ce ne fut que par les terreurs que le christianisme donne aux coupables. Les églises se défendirent contre eux par les miracles et les prodiges de leurs saints. Les rois n'étoient point sacriléges, parce qu'ils redoutoient les peines des sacriléges; mais d'ailleurs ils commirent, ou par colère, ou de sang-froid, toutes sortes de crimes et d'injustices, parce que ces crimes et ces injustices ne leur montroient pas la main de la Divinité si présente. Les Francs, comme j'ai dit, souffroient des rois meurtriers, parce qu'ils étoient meurtriers eux-mêmes; ils n'étoient point frappés des injustices et des rapines de leurs rois, parce qu'ils étoient ravisseurs et injustes comme eux. Il y avoit bien des lois établies; mais les rois les rendoient inutiles par de certaines lettres appelées préceptions', qui renversoient ces mêmes lois c'étoit à peu près comme les rescrits des empereurs romains, soit que les rois eussent pris d'eux cet usage, soit qu'ils l'eussent tiré du fond même de leur naturel. On voit, dans Gré

1. C'étoient des ordres que le roi envoyoit aux juges, pour faire ou souffrir de certaines choses contre la loi.

goire de Tours, qu'ils faisoient des meurtres de sang-froid, et faisoient mourir des accusés qui n'avoient pas seulement été entendus; ils donnoient des préceptions pour faire des mariages illicites '; ils en donnoient pour transporter les successions; ils en donnoient pour ôter le droit des parens; ils en donnoient pour épouser les religieuses. Ils ne faisoient point à la vérité des lois de leur seul mouvement, mais ils suspendoient la pratique de celles qui étoient faites.

L'édit de Clotaire redressa tous les griefs. Personne ne put plus être condamné sans être entendu2; les parens durent toujours succéder selon l'ordre établi par la loi3; toutes préceptions pour épouser des filles, des veuves ou des religieuses, furent nulles, et on punit sévèrement ceux qui les obtinrent et en firent usage. Nous saurions peut-être plus exactement ce qu'il statuoit sur ces préceptions, si l'article 13 de ce décret et les deux suivans n'avoient péri par le temps. Nous n'avons que les premiers mots de cet article 13 qui ordonne que les préceptions seront observées; ce qui ne peut pas s'entendre de celles qu'il venoit d'abolir par la même loi. Nous avons une autre constitution du même prince, qui se rapporte à son édit, et corrige de même de point en point tous les abus des préceptions'.

Il est vrai que M. Baluze, trouvant cette constitution sans date, et sans le nom du lieu où elle a été donnée, l'a attribuée à Clotaire Ier. Elle est de Clotaire II. J'en donnerai trois raisons :

1° Il y est dit que le roi conservera les immunités accordées aux églises par son père et son aïeul. Quelles immunités auroit pu accorder aux églises Childéric, aïeul de Clotaire Ier, lui qui n'étoit pas chrétien, et qui vivoit avant que la monarchie eût été fondée ? Mais, si l'on attribue ce décret à Clotaire II, on lui trouvera pour aïeul Clotaire Ier lui-même, qui fit des dons immenses aux églises pour expier la mort de son fils Cramne, qu'il avoit fait brûler avec sa femme et ses enfans.

2o Les abus que cette constitution corrige subsistèrent après la mort de Clotaire Ier, et furent même portés à leur comble pendant la foiblesse du règne de Gontran, la cruauté de celui de Chilpéric,

1. Voy. Grégoire de Tours, liv. IV, p. 227. L'histoire et les chartres sont pleines de ceci ; et l'étendue de ces abus paroît surtout dans l'édit de Clotaire II, de l'an 515, donné pour les réformer. Voy. les Capitulaires, édition de Baluze, t. I, p. 22.

2. Art. 22. 3. Ibid., art. 6.

[ocr errors]

4. Ibid., art. 18.

5. Dans l'édition des Capitulaires de Baluze, t. I, p. 8.

6. J'ai parlé au livre précédent de ces immunités, qui étoient des concessions de droits de justice, et qui contenoient des défenses aux juges royaux de faire aucune fonction dans le territoire, et étoient équivalentes à l'érection ou concession d'un fief.

et les détestables régences de Frédégonde et de Brunehault. Or, comment la nation auroit-elle pu souffrir des griefs si solennellement proscrits, sans s'être jamais récriée sur le retour continuel de ces griefs? Comment n'auroit-elle pas fait pour lors ce qu'elle fit lorsque Chilpéric II ayant repris les anciennes violences', elle le pressa d'ordonner que, dans les jugemens, on suivît la loi et les coutumes, comme on faisoit anciennement ??

3o Enfin cette constitution, faite pour redresser les griefs, ne peut point concerner Clotaire Ier, puisqu'il n'y avoit point sous son règne de plaintes dans le royaume à cet égard, et que son autorité y étoit très-affermie, surtout dans le temps où l'on place cette constitution; au lieu qu'elle convient très-bien aux événemens qui arrivèrent sous le règne de Clotaire II, qui causèrent une révolution dans l'état politique du royaume. Il faut éclairer l'histoire par les lois, et les lois par l'histoire.

CHAP. III. - Autorité des maires du palais.

J'ai dit que Clotaire II s'étoit engagé à ne point ôter à Warnachaire la place de maire pendant sa vie. La révolution eut un autre effet; avant ce temps, le maire étoit le maire du roi il devint le maire du royaume; le roi le choisissoit la nation le choisit. Protaire, avant la révolution, avoit été fait maire par Théodoric3, et Landéric par Frédégonde ; mais depuis la nation fut en possession d'élire.

Ainsi il ne faut pas confondre, comme ont fait quelques auteurs, ces maires du palais avec ceux qui avoient cette dignité avant la mort de Brunehault, les maires du roi avec les maires du royaume. On voit, par la loi des Bourguignons, que chez eux la charge de maire n'étoit point une des premières de l'Etat : elle ne fut pas non plus une des plus éminentes chez les premiers rois francs?.

Clotaire rassura ceux qui possédoient des charges et des fiefs; et, après la mort de Warnachaire, ce prince ayant demandé aux

1. Il commença à régner vers l'an 670.

2. Voy. la Vie de saint Léger.

3. «Instigante Brunichilde, Theodorico jubente, » etc. (Frédégaire, chap. xxvi, sur l'an 605.)

4. Gesta regum Francorum, chap. xxxvi.

5. Voy. Frédégaire, Chronique, chap. LIV, sur l'an 626; et son continuateur anonyme, chap. cr, sur l'an 695, et chap. cv, sur l'an 715. Aimoin, liv. IV, chap. xv; Éginhard, Vie de Charlemagne, chap. XLVIII; Gesta regum Francorum, chap. XLV.

6. Voy. la Loi des Bourguignons, in præfat.; et le second supplément à cette loi, tit. XIII.

7. Voy. Grégoire de Tours, liv. IX, chap. xxxvI.

seigneurs assemblés à Troyes qui ils vouloient mettre en sa place, ils s'écrièrent tous qu'ils n'éliroient point; et, lui demandant sa faveur, ils se mirent entre ses mains'.

Dagobert réunit, comme son père, toute la monarchie : la nation se reposa sur lui, et ne lui donna point de maire. Ce prince se sentit en liberté; et rassuré d'ailleurs par ses victoires, il reprit le plan de Brunehault. Mais cela lui réussit si mal, que les leudes d'Austrasie se laissèrent battre par les Sclavons2, s'en retournèrent chez eux, et les marches d'Austrasie furent en proie aux barbares.

Il prit le parti d'offrir aux Austrasiens de céder l'Austrasie à son fils Sigebert, avec un trésor, et de mettre le gouvernement du royaume et du palais entre les mains de Cunibert, évêque de Cologne, et du duc Adalgise. Frédégaire n'entre point dans le détail des conventions qui furent faites pour lors; mais le roi les confirma toutes par ses chartres, et d'abord l'Austrasie fut mise hors de danger3.

Dagobert, se sentant mourir, recommanda à Æga sa femme Nentechilde et son fils Clovis. Les leudes de Neustrie et de Bourgogne choisirent ce jeune prince pour leur roi'. Æga et Nentechilde gouvernèrent le palais ; ils rendirent tous les biens que Dagobert avoit pris, et les plaintes cessèrent en Neustrie et en Bourgogne, comme elles avoient cessé en Austrasie.

Après la mort d'Ega, la reine Nentechilde engagea les seigneurs de Bourgogne à élire Floachatus pour leur maire'. Celui-ci envoya aux évêques et aux principaux seigneurs du royaume de Bourgogne des lettres, par lesquelles il leur promettoit de leur conserver pour toujours, c'est-à-dire pendant leur vie, leurs honneurs et leurs dignités. Il confirma sa parole par un serment : c'est ici que

1. « Eo anno, Clotarius cum proceribus et leudibus Burgundiæ Trecas<< sinis conjungitur: cum eorum esset sollicitus si vellent jam, Warna<< chario discesso, alium in ejus honoris gradum sublimare: omnes una<< nimiter denegantes se nequaquam velle majorem-domus eligere, regis << gratiam obnixe petentes, cum rege transegere. » (Chronique de Frédégaire, chap. LIV, sur l'an 626.)

2. «Istam victoriam quam Vinidi contra Francos meruerunt, non tan<< tum Sclavinorum fortitudo obtinuit, quantum dementatio Austrasiorum, «<dum se cernebant cum Dagoberto odium incurrisse, et assidue exspolia« rentur. >> (Chronique de Frédégaire, chap. LXVIII, sur l'an 630.)

3. « Deinceps Austrasii eorum studio limitem et regnum Francorum << contra Vinidos utiliter defensasse noscuntur.» (Ibid., chap. LXXX, sur l'an 632.)

4. Ibid., chap. LXXIX, sur l'an 638.
6. Ibid., chap. LXXX, sur l'an 639.
7. Ibid., chap. LXXXIX, sur l'an 641.

5. Ibid.

8 Ibid. « Floachatus cunctis ducibus a regno Burgundiæ, seu et pon

« PreviousContinue »