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3o Si l'on plaidoit à la cour de son seigneur contre lui', ce qui n'avoit lieu que pour les affaires qui concernoient le fief, apres avoir laissé passer tous les délais, on sommoit le seigneur même devant bonnes gens', et on le faisoit sommer par le souverain, dont on devoit avoir permission. On n'ajournoit point par pairs, parce que les pairs ne pouvoient ajourner leur seigneur, mais ils pouvoient ajourner pour leur seigneur3.

Quelquefois l'appel de défaute de droit étoit suivi d'un appel de faux jugement, lorsque le seigneur, malgré la défaute, avoit fait rendre le jugement.

Le vassal qui appeloit à tort son seigneur de défaute de droit etoit condamné à lui payer une amende à sa volonté.

Les Gantois avoient appelé de défaute de droit le comte de Flandre devant le roi, sur ce qu'il avoit différé de leur faire rendre jugement en' sa cour. Il se trouva qu'il avoit pris encore moins de délais que n'en donnoit la coutume du pays. Les Gantois lui furent renvoyés; il fit saisir de leurs biens jusqu'à la valeur de soixante mille livres. Ils revinrent à la cour du roi, pour que cette amende fût modérée il fut décidé que le comte pouvoit prendre cette amende, et même plus s'il vouloit. Beaumanoir avoit assisté à ces jugemens.

4o Dans les affaires que le seigneur pouvoit avoir contre le vassal, pour raison du corps ou de l'honneur de celui-ci, ou des biens qui n'étoient pas du fief, il n'étoit point question d'appel de défaute de droit, puisqu'on ne jugeoit point à la cour du seigneur, mais à la cour de celui de qui il tenoit; les hommes, dit Défontaines', n'ayant pas droit de faire jugement sur le corps de leur seigneur.

J'ai travaillé à donner une idée claire de ces choses, qui, dans les auteurs de ces temps-là, sont si confuses et si obscures, qu'en vérité, les tirer du chaos où elles sont, c'est les découvrir.

CHAP. XXIX.

· Époque du règne de saint Louis.

Saint Louis abolit le combat judiciaire dans les tribunaux de ses

1. Sous le règne de Louis VIII, le sire de Nesle plaidoit contre Jeanne, comtesse de Flandre; it la somma de le faire juger dans quarante jours; et il l'appela ensuite de défaute de droit à la cour du roi. Elle répondit qu'elle le feroit juger par ses pairs en Flandre. La cour du roi prononça qu'il n'y seroit pas renvoyé, et que la comtesse seroit ajournée. 2. Défontaines, chap. xxi, art. 34. 3. Ibid., art. 9, manoir, chap. LXI, p. 344.

-

4. Beau

5. Beaumanoir, chap. LXI, p. 312. Mais celui qui n'auroit été homme ni tenant du seigneur ne lui payoit qu'une amende de 60 livres. (Ibid.) 6. Beaumanoir, chap. LXI, p. 318.

7. Chap. xxi, art. 35.

domaines, comme il paroît par l'ordonnance qu'il fit là-dessus', et par les Établissemens2.

Mais il ne l'ôta point dans les cours de ses barons3, excepté dans le cas d'appel de faux jugement.

On ne pouvoit fausser la cour de son seigneur, sans demander le combat judiciaire contre les juges qui avoient prononcé le jugement. Mais saint Louis introduisit l'usage de fausser sans combattres; changement qui fut une espèce de révolution.

Il déclara qu'on ne pourroit point fausser les jugemens rendus dans les seigneuries de ses domaines, parce que c'étoit un crime de félonie". Effectivement, si c'étoit une espèce de crime de félonie contre le seigneur, à plus forte raison en étoit-ce un contre le roi. Mais il voulut que l'on pût demander amendement des jugemens rendus dans ses cours', non pas parce qu'ils étoient faussement ou méchamment rendus, mais parce qu'ils faisoient quelque préjudice. Il voulut au contraire qu'on fût contraint de fausser les jugemens des cours des barons, si l'on vouloit s'en plaindre'

On ne pouvoit point, suivant les Établissemens, fausser les cours des domaines du roi, comme on vient de le dire. Il falloit demander amendement devant le même tribunal; et, en cas que le bailli ne voulût pas faire l'amendement requis, le roi permettoit de faire appel à sa couro, ou plutôt, en interprétant les Établissemens par eux-mêmes, de lui présenter une requête ou supplication".

A l'égard des cours des seigneurs, saint Louis, en permettant de les fausser, voulut que l'affaire fût portée au tribunal du roi ou du

1. En 1260.

2. Liv. I, chap. 11 et vII; liv. II, chap. x et xr. 3. Comme il paroît partout dans les Établissemens; et Beaumanoir chap. LXI, p. 309.

4. C'est-à-dire appeler de faux jugement.

5. Établissemens, liv. I, chap. vi; et liv. II, chap. xv. 6. Ibid., liv. II, chap. xv. Fausser une cour de justice, ou l'accuser d'avoir porté un jugement faux, c'étoit lui faire l'injure la plus grave, l'interdire de toutes ses fonctions, et rendre tous ses membres incapables de faire aucun acte judiciaire. Un plaideur qui avoit eu cette lémérité étoit obligé, sous peine d'avoir la tête coupée, de se battre dans le même jour non-seulement contre tous les juges qui avoient assisté au jugement dont il appeloit, mais encore contre tous ceux qui avoient droit de prendre séance dans ce tribunal. S'il sortoit vainqueur de tous ces combats, la sentence qu'il avoit faussée étoit réputée fausse et mal rendue, et son procès étoit gagné. Si au contraire il étoit vaincu dans un de ces combats, il étoit pendu. Telle étoit la jurisprudence des François dans le XI° siècle. (Note de Mably.)

7. Ibid., liv. I, chap. LXXVIII; et liv. II, chap. xv.

8. Ibid., liv. I, chap. LXXVIII.

9. Ibid., liv. II, chap. xv.

10- Ibid., liv. I, chap. LXXVIII. 44. Ibid., liv. II, chap. xv.

seigneur suzerain', non pas pour y être décidée par le combat, mais par témoins, suivant une forme de procéder dont il donna des règles 3.

.

Ainsi, soit qu'on pût fausser, comme dans les cours des seigneurs, soit qu'on ne le pût pas, comme dans les cours de ses domaines, il établit qu'on pourroit appeler sans courir le hasard d'un combat.

Défontaines nous rapporte les deux premiers exemples qu'il ait vus, où l'on ait ainsi procédé sans combat judiciaire : l'un, dans une affaire jugée à la cour de Saint-Quentin, qui étoit du domaine du roi; et l'autre, dans la cour de Ponthieu, où le comte, qui étoit présent, opposa l'ancienne jurisprudence; mais ces deux affaires furent jugées par droit.

On demandera peut-être pourquoi saint Louis ordonna pour les cours de ses barons une manière de procéder différente de celle qu'il établissoit dans les tribunaux de ses domaines en voici la raison. Saint Louis, statuant pour les cours de ses domaines, ne fut point gêné dans ses vues; mais il eut des ménagemens à garder avec les seigneurs qui jouissoient de cette ancienne prérogative, que les affaires n'étoient jamais tirées de leurs cours, à moins qu'on ne s'exposât aux dangers de les fausser. Saint Louis maintint cet usage de fausser; mais il voulut qu'on pût fausser sans combattre; c'est-à-dire que, pour que le changement se fit moins sentir, il ôta la chose, et laissa subsister les termes.

Ceci ne fut pas universellement reçu dans les cours des seigneurs. Beaumanoir dit que, de son temps, il y avoit deux manières de juger, l'une suivant l'Établissement-le-roi, et l'autre suivant la pratique ancienne; que les seigneurs avoient droit de suivre l'une ou l'autre de ces pratiques; mais que quand, dans une affaire, on en avoit choisi une, on ne pouvoit plus revenir à l'autre. Il ajoute que le comte de Clermont suivoit la nouvelle pratique, tandis que ses vassaux se tenoient à l'ancienne; mais qu'il pourroit, quand il voudroit, rétablir l'ancienne : sans quoi il auroit moins d'autorité que ses vassaux.

Il faut savoir que la France étoit pour lors divisée en pays du domaine du roi, et en ce que l'on appeloit pays des barons, ou

4. Mais si on ne faussoit pas, et qu'on voulût appeler, on n'étoit point reçu. (Établissemens, liv. II, chap. xv.) Li sire en auroit le recort de sa cour, droit faisant. »

2. Ibid., liv. I, chap. vi et LXVII; et liv. II, chap. xv; et Beaumanoir, chap. xI, p. 58.

3. Établissemens, liv. I, chap. 1, 11 et ш.

4. Chap. xxII, art. 16 et 17. - 5. Chap. LXI, p. 309. — 6. Ibid. 7. Voy. Beaumanoir et Défontaines; et les Etablissemens, liv. II, chap. x, x1, xv, et autres.

en baronnies; et, pour me servir des termes des Établissemens de saint Louis, en pays de l'obéissance-le-roi, et en pays hors l'obéissance-le-roi. Quand les rois faisoient des ordonnances pour les pays de leurs domaines, ils n'employoient que leur seule autorité; mais quand ils en faisoient qui regardoient aussi les pays de leurs barons, elles étoient faites de concert avec eux, ou scellées ou souscrites d'eux sans cela, les barons les recevoient, ou ne les recevoient pas, suivant qu'elles leur paroissoient convenir ou non au bien de leurs seigneuries. Les arrière - vassaux étoient dans les mêmes termes avec les grands vassaux. Or, les Établissemens ne furent pas donnés du consentement des seigneurs, quoiqu'ils statuassent sur des choses qui étoient pour eux d'une grande importance; mais ils ne furent reçus que par ceux qui crurent qu'il leur étoit avantageux de les recevoir. Robert, fils de saint Louis, les admit dans sa comté de Clermont: et ses vassaux ne crurent pas qu'il leur convînt de les faire pratiquer chez eux.

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On conçoit que des appels qui étoient des provocations à un combat devoient se faire sur-le-champ. << Se il se part de court sans apeler, dit Beaumanoir 2, il pert son apel, et tient li jugemens pour bon. » Ceci subsista, même après qu'on eut restreint l'usage du combat judiciaire 3.

CHAP. XXXI. - Continuation du même sujet.

Le vilain ne pouvoit pas fausser la cour de son seigneur : nous l'apprenons de Défontaines'; et cela est confirmé par les Établissemens3. « Aussi, dit encore Défontaines, n'y a-t-il entre toi seigneur et ton vilain autre juge fors Dieu.»

C'étoit l'usage du combat judiciaire qui avoit exclu les vilains de pouvoir fausser la cour de leur seigneur; et cela est si vrai que les vilains qui, par chartre, ou par usage', avoient droit de com

1. Voy. les ordonnances du commencement de la troisième race, dans le recueil de Laurière, surtout celles de Philippe Auguste sur la jurisdiction ecclésiastique; et celle de Louis VIII sur les juifs; et les chartres rapportées par M. Brussel, notamment celle de saint Louis sur le bail et le rachat des terres, et la majorité féodale des filles, t. II, liv. III, p. 35; el ibid., l'ordonnance de Philippe Auguste, p. 7.

2. Chap. LXIII, p. 327; et chap. LXI, p. 312.

3. Voy. les Établissemens de saint Louis, liv. II, chap. xv ; et l'ordonnance de Charles VII, de 1453.

4. Chap. xxi, art. 24 et 22.

5. Liv. I, chap. cxxxvI.

6. Chap. 1, art. 8.

7. Défontaines, chap. XXII, art. 7. Cet article et le 21 du chapi

battre. avoient aussi droit de fausser la cour de leur seigneur, quand même les hommes qui avoient jugé auroient été chevaliers'; et Défontaines donne des expédiens pour que ce scandale du vi lain, qui, en faussant le jugement, combattroit contre un chevalier, n'arrivât pas 2.

La pratique des combats judiciaires commençant à s'abolir, et l'usage des nouveaux appels à s'introduire, on pensa qu'il étoit déraisonnable que les personnes franches eussent un remède contre l'injustice de la cour de leurs seigneurs, et que les vilains ne l'eussent pas; et le parlement reçut leurs appels comme ceux des personnes franches.

CHAP. XXXII.

Continuation du même sujet.

Lorsqu'on faussoit la cour de son seigneur, il venoit en personne devant le seigneur suzerain pour défendre le jugement de sa cour. De même3, dans le cas d'appel de défaute de droit, la partie ajournée devant le seigneur suzerain menoit son seigneur avec elle, afin que, si la défaute n'étoit pas prouvée, il pût ravoir sa

cour.

Dans la suite, ce qui n'étoit que deux cas particuliers étant devenu général pour toutes les affaires, par l'introduction de toutes sortes d'appels, il parut extraordinaire que le seigneur fût obligé de passer sa vie dans d'autres tribunaux que les siens, et pour d'autres affaires que les siennes. Philippe de Valois ordonna que les baillis seuls seroient ajournés'. Et quand l'usage des appels devint encore plus fréquent, ce fut aux parties à défendre l'appel : le fait du juge devint le fait de la partie".

J'ai dit que, dans l'appel de défaute de droit, le seigneur ne perdoit que le droit de faire juger l'affaire en sa cour. Mais, si le seigneur étoit attaqué lui-même comme partie, ce qui devint trèsfréquent, il payoit au roi ou au seigneur suzerain devant qui on avoit appelé une amende de soixante livres. De là vint cet usage,

tre xxii du même auteur ont été jusqu'ici très-mal expliqués. Défontaines ne met point en opposition le jugement du seigneur avec celui du chevalier, puisque c'étoit le même; mais il oppose le vilain ordinaire à celui qui avoit le privilége de combattre.

1. Les chevaliers peuvent toujours être du nombre des juges. (Défontaines, chap. xxi, art. 48.)

2. Chap. xxII, art. 14.

3. Défontaines, chap. xxi, art. 33.

4. En 1332.

5. Voy. quel étoit l'état des choses du temps de Boutillier, qui vivoit en l'an 1402. Somme rurale, liv. I, p. 19 et 20.

6. Ci-dessus, chap. xxx.

7. Beaumanoir, chap. LXI, p, 312 et 318,

8. Ibid.

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