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Dans la suite, les lois gothes et bourguignonnes périrent dans leur pays même, par les causes générales' qui firent partout disparoître les lois personnelles des peuples barbares.

CHAP. VI. Comment le droit romain se conserva dans les

domaines des Lombards.

Tout se plie à mes principes. La loi des Lombards étoit impartiale, et les Romains n'eurent aucun intérêt à quitter la leur pour la prendre. Le motif qui engagea les Romains sous les Francs à choisir la loi salique n'eut point de lieu en Italie; le droit romain s'y maintint avec la loi des Lombards.

Il arriva même que celle-ci céda au droit romain; elle cessa d'être la loi de la nation dominante; et, quoiqu'elle continuât d'être celle de la principale noblesse, la plupart des villes s'érigèrent en républiques, et cette noblesse tomba, ou fut exterminée. Les citoyens des nouvelles républiques ne furent point portés à prendre une loi qui établissoit l'usage du combat judiciaire, et dont les institutions tenoient beaucoup aux coutumes et aux usages de la chevalerie. Le clergé, dès lors si puissant en Italie, vivant presque tout sous la loi romaine, le nombre de ceux qui suivoient la loi des Lombards dut toujours diminuer.

D'ailleurs, la loi des Lombards n'avoit point cette majesté du droit romain, qui rappeloit à l'Italie l'idée de sa domination sur toute la terre; elle n'en avoit pas l'étendue. La loi des Lombards et la loi romaine ne pouvoient plus servir qu'à suppléer aux statuts des villes qui s'étoient érigées en républiques: or, qui pouvoit mieux y suppléer, ou la loi des Lombards, qui ne statuoit que sur quelques cas, ou la loi romaine, qui les embrassoit tous?

CHAP. VII.

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Comment le droit romain se perdit en Espagne. Les choses allèrent autrement en Espagne. La loi des Wisigoths triompha, et le droit romain s'y perdit. Chaindasuinde3 et Recessuinde' proscrivirent les lois romaines, et ne permirent pas même de les citer dans les tribunaux. Recessuinde fut encore l'auteur de la loi qui ôtoit la prohibition des mariages entre les Goths et les Romains. Il est clair que ces deux lois avoient le même esprit :

4. Voy. ci-dessous les chap. IX, X, et xi.

2. Voy. ce que dit Machiavel de la destruction de l'ancienne noblesse de Florence.

3. Il commença à régner en 642.

4. Nous ne voulons plus être tourmentés par les lois étrangères, ni par les romaines. (Loi des Wisigoths, liv. II, tit. 1, § 9 et 10.)

5. Ut tam Gotho Romanam quam Romano Gotham, matrimonio liceat sociari.» (Loi des Wisigoths, liv. III, tit. 1, chap. 1.)

ce roi vouloit enlever les principales causes de séparation qui étoient entre les Goths et les Romains. Or, on pensoit que rien ne les séparoit plus que la défense de contracter entre eux des mariages, et la permission de vivre sous des lois diverses.

Mais, quoique les rois des Wisigoths eussent proscrit le droit romain, il subsista toujours dans les domaines qu'ils possédoient dans la Gaule méridionale. Ces pays, éloignés du centre de la monarchie, vivoient dans une grande indépendance'. On voit, par l'histoire de Vamba, qui monta sur le trône en 672, que les naturels du pays avoient pris le dessus2: ainsi la loi romaine y avoit plus d'autorité, et la loi gothe y en avoit moins. Les lois espagnoles ne convenoient ni à leurs manières, ni à leur situation actuelle. Peutêtre même que le peuple s'obstina à la loi romaine, parce qu'il y attacha l'idée de sa liberté. Il y a plus: les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde contenoient des dispositions effroyables contre les juifs; mais ces juifs étoient puissans dans la Gaule méridionale. L'auteur de l'histoire du roi Vamba appelle ces provinces le prostibule des juifs. Lorsque les Sarrasins vinrent dans ces provinces, ils y avoient été appelés : or, qui put les y avoir appelés, que les juifs ou les Romains? Les Goths furent les premiers opprimés, parce qu'ils étoient la nation dominante. On voit dans Procope3 que, dans leurs calamités, ils se retiroient de la Gaule narbonoise en Espagne. Sans doute que, dans ce malheur-ci, ils se réfugièrent dans les contrées de l'Espagne qui se défendoient encore; et le nombre de ceux qui, dans la Gaule méridionale, vivoient sous la loi des Wisigoths, en fut beaucoup diminué.

CHAP. VIII.

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Ce malheureux compilateur Benoît Lévite n'alla-t-il pas transformer cette loi wisigothe, qui défendoit l'usage du droit romain, en un capitulaire qu'on attribua depuis à Charlemagne! Il fit de cette loi particulière une loi générale, comme s'il avoit voulu exterminer le droit romain par tout l'univers.

1. Voy., dans Cassiodore, les condescendances que Théodoric, roi des Ostrogoths, prince le plus accrédité de son temps, eut pour elles. (Liv. IV, lett. xix et xxvI.)

2. La révolte de ces provinces fut une défection générale, comme il paroit par le jugement qui est à la suite de l'histoire. Paulus et ses adhérens étoient Romains; ils furent même favorisés par les évêques. Vamba n'osa pas faire mourir les séditieux qu'il avoit vaincus. L'auteur de l'histoire appelle la Gaule narbonoise la nourrice de la perfidie.

3. « Gothi qui cladi superfuerant ex Gallia cum uxoribus liberisque a egressi, in Hispaniam ad Teudim jam palam tyrannum se receperunt. » (De bello Gothorum, liv. I, chap. xin.)

4. Capitulaires, édition de Baluze, liv. VI, chap. cсCXLш, p. 981, t. I,

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CHAP. IX. - Comment les codes des lois des barbares et les capitulaires se perdirent.

Les lois saliques, ripuaires, bourguignonnes et wisigothes cessèrent peu peu d'être en usage chez les François : voici comment. Les fiefs étant devenus héréditaires, et les arrière-fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages auxquels ces lois n'étoient plus applicables. On en retint bien l'esprit, qui étoit de régler la plupart des affaires par des amendes; mais, lès valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi; et l'on voit beaucoup de chartres', où les seigneurs fixoient les amendes qui devoient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l'on suivit l'esprit de la loi, sans suivre la loi même.

D'ailleurs, la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries, qui reconnoissoient plutôt une dépendance féodale qu'une dépendance politique, il étoit bien difficile qu'une seule loi pût être autorisée en effet, on n'auroit pas pu la faire observer. L'usage n'étoit guère plus qu'on envoyât des officiers extraordinaires dans les provinces2, qui eussent l'œil sur l'administration de la justice, et sur les affaires politiques. Il paroît même, par les chartres, que lorsque de nouveaux fiefs s'établissoient, les rois se privoient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout à peu près fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés: il n'y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvoit faire observer la loi commune.

Les lois saliques, bourguignonnes et wisigothes, furent donc extrêmement négligées à la fin de la seconde race; et, au commencement de la troisième, on n'en entendit presque plus parler.

Sous les deux premières races, on assembla souvent la nation, c'est-à-dire les seigneurs et les évêques : il n'étoit point encore question des communes. On chercha dans ces assemblées à régler le clergé, qui étoit un corps qui se formoit, pour ainsi dire, sous les conquérans, et qui établissoit ses prérogatives. Les lois faites dans ces assemblées sont ce que nous appelons les capitulaires. Il arriva quatre choses : les lois des fiefs s'établirent, et une grande partie des biens de l'Église fut gouvernée par les lois des fiefs; les ecclésiastiques se séparèrent davantage, et négligèrent les lois de réforme3 où ils n'avoient pas été les seuls réformateurs; on re

4. M. de La Thaumassière en a recueilli plusieurs. Voy., par exemple, les chap. 1.XI, LXVI, et autres.

2. « Missi dominici. »

3. « Que les évêques, dit Charles le Chauve, dans le capitulaire de l'an 844, art. 8, sous prétexte qu'ils ont l'autorité de faire des canons, ne s'opposent pas à cette constitution, ni ne la négligent. » Il semble qu'il en prévoyoit déjà la chute.

cueillit les canons des conciles' et les décrétales des papes: et le clergé reçut ces lois comme venant d'une source plus pure. Depuis l'érection des grands fiefs, les rois n'eurent plus, comme j'ai dit, des envoyés dans les provinces pour faire observer des lois émanées d'eux ainsi, sous la troisième race, on n'entendit plus parler de capitulaires.

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On ajouta plusieurs capitulaires à la loi des Lombards, aux lois saliques, à la loi des Bavarois. On en a cherché la raison : il faut la prendre dans la chose même. Les capitulaires étoient de plusieurs espèces. Les uns avoient du rapport au gouvernement politique, d'autres au gouvernement économique, la plupart au gouvernement ecclésiastique, quelques-uns au gouvernement civil. Ceux de cette dernière espèce furent ajoutés à la lci civile. c'est-à-dire aux lois personnelles de chaque nation : c'est pour cela qu'il est dit dans les capitulaires qu'on n'y a rien stipulé contre la loi romaine2. En effet, ceux qui regardoient le gouvernement économique. ecclésiastique ou politique, n'avoient point de rapport à cette loi: et ceux qui regardoient le gouvernement civil n'en eurent qu'aux lois des peuples barbares, que l'on expliquoit, corrigeoit, augmentoit, et diminuoit. Mais ces capitulaires, ajoutés aux lois personnelles, firent, je crois, négliger le corps même des capitulaires. Dans des temps d'ignorance, l'abrégé d'un ouvrage fait souvent tomber l'ouvrage mème.

CHAP. XI.-Autres causes de la chute des codes des lois des barbares, du droit romain, et des capitulaires.

Lorsque les nations germaines conquirent l'empire romain, elles y trouvèrent l'usage de l'écriture; et, à l'imitation des Romains, elles rédigèrent leurs usages par écrit et en firent des codes. Les

1. On inséra dans le recueil des canons un nombre infini de décrétales des papes; il y en avoit très-peu dans l'ancienne collection. Denys le Petit en mit beaucoup dans la sienne; mais celle d'Isidore Mercator fut remplie de vraies et de fausses décrétales. L'ancienne collection fut en usage en France jusqu'à Charlemagne. Ce prince reçut des mains du pape Adrien le la collection de Denys le Petit, et la fit recevoir. La collection d'Isidore Mercator parut en Fiance vers le règne de Charlemagne ; on s'en entèta: ensuite vint ce qu'on appelle le Corps du droit canonique.

2. Voy. l'édit de Pistes, art. 20.

3. Cela est marqué expressément dans quelques prologues de ces codes. On voit même dans les lois des Saxons et des Frisons des dispositions différentes, selon les divers districts. On ajouta à ces usages quel

règnes malheureux qui suivirent celui de Charlemagne, les invasions des Normands, les guerres intestines, replongèrent les nations victorieuses dans les ténèbres dont elles étoient sorties; on ne sut plus lire ni écrire. Cela fit oublier, en France et en Allemagne, les lois barbares écrites, le droit romain et les capitulaires. L'usage de l'écriture se conserva mieux en Italie, où régnoient les papes et les empereurs grecs, et où il y avoit des villes florissantes, et presque le seul commerce qui se fit pour lors. Ce voisinage de l'Italie fit que le droit romain se conserva mieux dans les contrées de la Gaule autrefois soumises aux Goths et aux Bourguignons; d'autant plus que ce droit y étoit une loi territoriale et une espèce de privilége. Il y a apparence que c'est l'ignorance de l'écriture qui fit tomber en Espagne les lois wisigothes. Et, par la chute de tant de lois, il se forma partout des coutumes.

Les lois personnelles tombèrent. Les compositions, et ce que l'on appeloit freda', se réglèrent plus par la coutume que par le texte de ces lois. Ainsi, comme dans l'établissement de la monarchie on avoit passé des usages des Germains à des lois écrites, on revint, quelques siècles après, des lois écrites à des usages non écrits.

CHAP. XII.

- Des coutumes locales; révolution des lois des peuples barbares et du droit romain.

On voit par plusieurs monumens qu'il y avoit déjà des coutumes locales dans la première et la seconde race. On y parle de la coutume du lieu2, de l'usage ancien3, de la coutume, des lois et des coutumes. Des auteurs ont cru que ce qu'on nommoit des coutumes étoient les lois des peuples barbares, et que ce qu'on appeloit la loi étoit le droit romain. Je prouve que cela ne peut être. Le roi Pépin ordonna que partout où il n'y auroit point de loi on suivroit la coutume, mais que la coutume ne seroit pas préférée à la loi. Or, dire que le droit romain eut la préférence sur les codes des lois des barbares, c'est renverser tous les monumens anciens, et surtout ces codes des lois des barbares, qui disent perpétuellement le contraire.

Bien loin que les lois des peuples barbares fussent ces coutumes, ce furent ces lois mêmes qui, comme lois personnelles, les introduisirent. La loi salique, par exemple, étoit une loi personnelle :

ques dispositions particulières que les circonstances exigèrent: telles furent les lois dures contre les Saxons.

1. J'en parlerai ailleurs. (Liv. XXX, chap. xiv.).

2. Préface des For

mules de Marculfe. 3. Loi des Lombards, liv. II, til. LVII, § 3.

4. Ibid., liv. II, tit. XLI, S 6. Lombards, liv. II, tit. xл, § 6.

5. Fie de saint Léger.

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6. Loi des

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