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ple; son territoire étoit stérile: ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offroient aux dieux de certains petits présens les honoroient' plus que ceux qui immoloient des bœufs.

CHAP. XXV.

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- Inconvénient du transport d'une religion d'un pays à un autre.

Il suit de là qu'il y a très-souvent beaucoup d'inconvéniens à transporter une religion d'un pays dans un autre2.

« Le cochon, dit M. de Boulainvilliers3, doit être tres-rare en Arabie, où il n'y a presque point de bois, et presque rien de propre à la nourriture de ces animaux; d'ailleurs, la salure des eaux et des alimens rend le peuple très-susceptible des maladies de la peau. La loi locale qui le défend ne sauroit être bonne pour d'autres pays" où le cochon est une nourriture presque universelle, et en quelque façon nécessaire.

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Je ferai ici une réflexion. Sanctorius a observé que la chair de cochon que l'on mange se transpire peu, et que même cette nourriture empêche beaucoup la transpiration des autres alimens; il a trouvé que la diminution alloit à un tiers3. On sait d'ailleurs que le défaut de transpiration forme ou aigrit les maladies de la peau : la nourriture du cochon doit donc être défendue dans les climats où l'on est sujet à ces maladies, comme celui de la Palestine, de l'Arabie, de l'Égypte et de la Libye.

CHAP. XXVI.

Continuation du même sujet.

M. Chardin dit qu'il n'y a point de fleuve navigable en Perse, si ce n'est le fleuve Kur, qui est aux extrémités de l'empire. L'ancienne loi des Guèbres, qui défendoit de naviguer sur les fleuves, n'avoit donc aucun inconvénient dans leur pays; mais elle auroit ruiné le commerce dans un autre.

Les continuelles lotions sont très en usage dans les climats chauds. Cela fait que la loi mahométane et la religion indienne les ordonnent. C'est un acte très-méritoire aux Indes de prier Dieu dans l'eau courante'; mais comment exécuter ces choses dans d'autres climats?

Lorsque la religion fondée sur le climat a trop choqué le climat

1. Euripide, dans Athénée, liv. II, p. 40.

2. On ne parle point ici de la religion chrétienne, parce que, comme on a dit. au liv. XXIV, chap. 1, à la fin, la religion chrétienne est le premier bien.

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d'un autre pays, elle n'a pu s'y établir; et quand on l'y a introduite, elle en a été chassée. Il semble, humainement parlant, que ce soit le climat qui a prescrit des bornes à la religion chrétienne et à la religion mahométane.

Il suit de là qu'il est presque toujours convenable qu'une religion ait des dogmes particuliers et un culte général. Dans les lois qui concernent les pratiques de culte, il faut peu de détails; par exemple, des mortifications, et non pas une certaine mortification. Le christianisme est plein de bon sens : l'abstinence est de droit divin; mais une abstinence particulière est de droit de police, et on peut la changer.

LIVRE XXV.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC L'ÉTABLISSEMENT DE LA RELIGION DE CHAQUE PAYS ET SA POLICE EXTÉRIEURE.

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L'homme pieux et l'athée parlent toujours de religion : l'un parle de ce qu'il aime, et l'autre de ce qu'il craint.

CHAP. II.

Du motif d'attachement pour les diverses
religions.

Les diverses religions du monde ne donnent pas à ceux qui les professent des motifs égaux d'attachement pour elles cela dépend beaucoup de la manière dont elles se concilient avec la façon de penser et de sentir des hommes.

Nous sommes extrêmement portés à l'idolâtrie, et cependant nous ne sommes pas fort attachés aux religions idolâtres; nous ne sommes guère portés aux idées spirituelles, et cependant nous sommes trèsattachés aux religions qui nous font adorer un être spirituel. C'est un sentiment heureux qui vient en partie de la satisfaction que nous trouvons en nous-mêmes d'avoir été assez intelligens pour avoir choisi une religion qui tire la Divinité de l'humiliation où les autres l'avoient mise. Nous regardons l'idolâtrie comme la religion des peuples grossiers, et la religion qui a pour objet un être spirituel, comme celle des peuples éclairés.

Quand, avec l'idée d'un être spirituel suprême qui forme le dogme, nous pouvons joindre encore des idées sensibles qui entrent dans le culte, cela nous donne un grand attachement pour la religion, parce que les motifs dont nous venons de parler se trouvent joints à notre penchant naturel pour les choses sensibles. Aussi les catho

liques, qui ont plus de cette sorte de culte que les protestans, sontils plus invinciblement attachés à leur religion que les protestans ne le sont à la leur, et plus zélés pour sa propagation.

Lorsque le peuple d'Ephèse eut appris que les Pères du concile avoient décidé qu'on pouvoit appeler la Vierge mère de Dieu, il fut transporté de joie, il baisoit les mains des évêques, il embrassoit leurs genoux; tout retentissoit d'acclamations'.

Quand une religion intellectuelle nous donne encore l'idée d'un choix fait par la Divinité, et d'une distinction de ceux qui la professent d'avec ceux qui ne la professent pas, cela nous attache beaucoup cette religion. Les mahométans ne seroient pas si bons musulmans, si d'un côté il n'y avoit pas de peuples idolâtres qui leur font penser qu'ils sont les vengeurs de l'unité de Dieu, et de l'autre des chrétiens pour leur faire croire qu'ils sont l'objet de ses préfé

rences.

Une religion chargée de beaucoup de pratiques' attache plus à elle qu'une autre qui l'est moins; on tient beaucoup aux choses dont on est continuellement occupé : témoin l'obstination tenace des mahométans et des juifs, et la facilité qu'ont de changer de religion les peuples barbares et sauvages qui, uniquement occupés de la chasse ou de la guerre, ne se chargent guère de pratiques religieuses3.

Les hommes sont extrêmement portés à espérer et à craindre; et une religion qui n'auroit ni enfer, ni paradis, ne sauroit guère leur plaire. Cela se prouve par la facilité qu'ont eue les religions étrangères à s'établir au Japon, et le zèle et l'amour avec lesquels on les y a reçues'.

Pour qu'une religion attache, il faut qu'elle ait une morale pure. Les hommes, fripons en détail, sont en gros de très-honnêtes gens; ils aiment la morale; et si je ne traitois pas un sujet si grave, je dirois que cela se voit admirablement bien sur les théâtres: on est sûr de plaire au peuple par les sentimens que la morale avoue, et on est sûr de le choquer par ceux qu'elle réprouve.

Lorsque le culte extérieur a une grande magnificence, cela nous flatte, et nous donne beaucoup d'attachement pour la religion. Les richesses des temples et celles du clergé nous affectent beau

4. Lettre de saint Cyrille.

2. Ceci n'est point contradictoire avec ce que j'ai dit au chapitre pénultième du livre précédent; ici je parle des motifs d'attachement pour une religion; et là, des moyens de la rendre plus générale.

3. Cela se remarque par toute la terre. Voy., sur les Turcs, les missions du Levant; le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, t. III, part. I, p. 201, sur les Maures de Batavia; et le père Labat, sur les nègres mahométans, etc.

:

4. La religion chrétienne et les religions des Indes celles-ci ont un enfer et un paradis, au lieu que la religion des Sintos n'en a point.

coup. Ainsi la misère même des peuples est un motif qui les attache à cette religion qui a servi de prétexte à ceux qui ont causé leur misère.

CHAP. III. Des temples.

Presque tous les peuples policés habitent dans des maisons. De là est venue naturellement l'idée de bâtir à Dieu une maison où ils puissent l'adorer, et l'aller chercher dans leurs craintes ou leurs espé

rances.

En effet, rien n'est plus consolant pour les hommes qu'un lieu où ils trouvent la Divinité plus présente, et où tous ensemble ils font parler leur foiblesse et leur misère.

Mais cette idée si naturelle ne vient qu'aux peuples qui cultivent les terres; et on ne verra pas bâtir des temples chez ceux qui n'ont pas de maisons eux-mêmes.

C'est ce qui fit que Gengiskan marqua un si grand mépris pour les mosquées'. Ce prince2 interrogea les mahométans; il approuva tous leurs dogmes, excepté celui qui porte la nécessité d'aller à la Mecque : il ne pouvoit comprendre qu'on ne pût pas adorer Dieu partout. Les Tartares, n'habitant point de maisons, ne connoissoient point de temples.

Les peuples qui n'ont point de temples ont peu d'attachement pour leur religion : voilà pourquoi les Tartares ont été de tout temps si tolérans3; pourquoi les peuples barbares qui conquirent l'empire romain ne balancèrent pas un moment à embrasser le christianisme; pourquoi les sauvages de l'Amérique sont si peu attachés à leur propre religion; et pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bâtir au Paraguay des églises, ils sont si fort zélés pour la nôtre.

Comme la Divinité est le refuge des malheureux, et qu'il n'y a pas de gens plus malheureux que les criminels, on a été naturellement porté à penser que les temples étoient un asile pour eux, et cette idée parut encore plus naturelle chez les Grecs, où les meurtriers, chassés de leur ville et de la présence des hommes, sembloient n'avoir plus de maisons que les temples, ni d'autres protecteurs que les dieux.

Ceci ne regarda d'abord que les homicides involontaires; mais, 'lorsqu'on y comprit les grands criminels, on tomba dans une con

4. Entrant dans la mosquée de Buchara, il enleva l'Alcoran, et le jeta sous les pieds de ses chevaux. (Histoire des Tattars, part. III, p. 273.)

2. Ibid., p. 342.

3. Cette disposition d'esprit a passé jusqu'aux Japonois, qui tirent leur origine des Tartares, comme il est aisé de le prouver,

tradiction grossière : s'ils avoient offensé les hommes, ils avoient à plus forte raison offensé les dieux.

Ces asiles se multiplièrent dans la Grèce. Les temples, dit Tacite1, étoient remplis de débiteurs insolvables et d'esclaves méchans; les magistrats avoient de la peine à exercer la police; le peuple protégeoit les crimes des hommes, comme les cérémonies des dieux, le sénat fut obligé d'en retrancher un grand nombre.

Les lois de Moïse furent très-sages. Les homicides involontaires étoient innocens, mais ils devoient être ôtés de devant les yeux des parens du mort : il établit donc un asile pour eux2. Les grands criminels ne méritent point d'asile; ils n'en eurent pas. Les Juifs n'avoient qu'un tabernacle portatif, et qui changeoit continuellement de lieu; cela excluoit l'idée d'asile. Il est vrai qu'ils devoient avoir un temple; mais les criminels qui y seroient venus de toutes parts auroient pu troubler le service divin. Si les homicides avoient été chassés hors du pays, comme ils le furent chez les Grecs, il eût été a craindre qu'ils n'adorassent des dieux étrangers. Toutes ces considérations firent établir des villes d'asile, où l'on devoit rester jusqu'à la mort du souverain pontife 3.

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Les premiers hommes, dit Porphyre', ne sacrifioient que de l'herbe. Pour un culte si simple, chacun pouvoit être pontife dans sa famille.

Le désir naturel de plaire à la Divinité multiplia les cérémonies: ce qui fit que les hommes, occupés à l'agriculture, devinrent incapables de les exécuter toutes, et d'en remplir les détails.

On consacra aux dieux des lieux particuliers; il fallut qu'il y eût des ministres pour en prendre soin, comme chaque citoyen prend soin de sa maison et de ses affaires domestiques. Aussi les peuples qui n'ont point de prêtres sont-ils ordinairement barbares. Tels étoient autrefois les Pédaliens, tels sont encore les Wolgusky".

Des gens consacrés à la Divinité devoient être honorés, surtout chez les peuples qui s'étoient formé une certaine idée d'une pureté corporelle, nécessaire pour approcher des lieux les plus agréables aux dieux, et dépendante de certaines pratiques.

Le culte des dieux demandant une attention continuelle, la plupart des peuples furent portés à faire du clergé un corps séparé. Ainsi chez les Égyptiens, les Juifs et les Perses', on consacra à la

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4. Annales, liv. III, chap. LX. —2. Nombres, chap. xxxv. — 3. Ibid. 4. De abstinentia animal., liv. II, § 5. — 5. Lilius Giraldus, p. 726. 6. Peuple de la Sibérie. Voy. la relation de M. Éverard Isbrands-Ides, dans le Recueil des voyages du nord, t. VIII,

7. Voy. M. Hyde.

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