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tendre que les champs dont il dépouillait les propriétaires, n'appartenaient qu'à des affranchis, qui à peine sortaient de l'esclavage.

Il est probable qu'il restera toujours quelque obscurité dans ce passage. Si les noms d'Amaryllis et de Galatée, suivant l'opinion de quelques savants, opinion dont M. Heyne lui-même ne semble pas tout-à-fait s'éloigner, nous cachent une allégorie entre Rome et Mantoue, cette allégorie pourrait ne pas paraître assez digne de Virgile. Si Amaryllis et Galatée sont les maîtresses de Tityre, les amours du vieillard n'offrent qu'un médiocre intérêt.

Mais ce qui donnera toujours à cette éclogue un charme particulier, ce qui la placera toujours au rang des plus belles de Virgile, ce sont les deux couplets, aussi pleins d'images que de sensibilité, où Mélibée, en vantant le bonheur de Tityre, qui contraste avec sa propre infortune, s'exprime avec la passion d'un homme qui trouve à un bien qu'il vient de perdre, beaucoup plus de charmes qu'il n'en avait connu, lors même qu'il en jouissait.

Fortunate senex! ergo tua rura manebunt!
Et tibi magna satis. .

Fortunate senex! hîc, inter flumina nota

Et fontes sacros, frigus captabis opacum.

Malheur à ceux qui ne sentent pas le charme de ces vers! dit Fénélon dans sa lettre sur l'éloquence.

Le second couplet n'est pas moins beau. C'est là que se trouvent ces vers délicieux :

Ite meæ, felix quondam pecus, ite, capella!
Non ego vos posthac, viridi projectus in antro,
Dumosâ pendere procul de rupe videbo :
Carmina nulla canam: nou, me pascente, capellæ,
Florentem cytisum et salices carpetis amaras.

Sans doute Lucrece et Catulle avaient fait entendre aux Romains des vers harmonieux, et dans plus d'un genre; mais il me semble que, lorsqu'on entendit ces vers de Virgile, si pleins de mollesse, et du style le plus pur, des connaisseurs délicats, tels que Varius, Mécene, Tucca et Pollion, ont dû être enchantés d'une mélodie qui leur était encore inconnue.

(Page 78, vers 6.)

Non umquam gravis ære domum mihi dextra redibat. Catulle, dans la piece qui commence ainsi : Ego hæc, ego arte fabricata rustica, a dit :

Meisque pinguis agnus ex ovilibus

Gravem domum remittit ære dexteram.

(Page 79, vers 16.)

Et pouvais-je compter sur des dieux plus présents!

Je crois être certain que Bossuet a employé l'expression de présents, comme Virgile celle de præsentes, dans le sens de favorables; le temps ne m'a pas permis de la retrouver, mais plus d'un littérateur l'aura sans doute remarqué comme moi.

(Page 81, vers 18.)

En umquam patrios longo post tempore fines,
Pauperis et tugurî congestum cespite culmen.......!
Post aliquot, mea regna videns, mirabor aristas?
Impius hæc tam culta novalia miles habebit!
Barbarus has segetes! En quò discordia cives
Perduxit miseros! En queis consevimus agros!

Ce passage de Virgile a toujours embarrassé les commentateurs et les traducteurs par l'opposition des mots longo

post tempore, et de post aliquot, qui semblent ne pouvoir se concilier. J'ai cru devoir ponctuer différemment les vers de Virgile, et voici comment je les explique. Mélibée, après avoir fait la description des pays affreux que lui et ses concitoyens exilés doivent habiter, jette encore un regard d'attendrissement sur son pays, sur son champ, et sur sa pauvre chaumiere qu'il va quitter. Il ne peut se persuader qu'il doit être privé pour jamais du bonheur de les revoir; et il s'écrie:

bor,

En umquam patrios longo post tempore fines,
Pauperis et tugurî congestum cespite culmen......!

Il faut, je crois, sous-entendre le verbe videbo ou miraque la passion supprime : Virgile en donne un exemple dans un vers de ce passage même : Barbarus has segetes! Térence, dans un seul vers, a sous-entendu quatre verbes différents. Egone illam ? quæ illum ! quæ me! quæ non ! sine modo.

Ensuite le malheureux Mélibée, qui a entrevu un rayon d'espérance, ose se flatter que son exil ne sera pas si long qu'il le croyait d'abord ; il continue :

«

Post aliquot, mea regna videns, mirabor aristas?

« Les reverrai-je encore après quelque temps, ces moissons, ces champs qui étaient mon domaine ? »>

Mélibée s'était laissé égarer par les illusions de l'espérance; tout à coup une lumiere affreuse l'éclaire; il voit son malheur consommé, et il s'écrie avec l'accent du désespoir :

Impius hæc tam culta novalia miles habebit!
Barbarus has segetes! en quò discordia cives

Perduxit miseros! en queis consevimus agros!

J'ose ne pas adopter l'interprétation que M. Heyne donne au vers post aliquot, mea regna, etc. Dans sa note, il semble entendre d'abord que post se rapporte à longo post tem

pore, qui précede; et ensuite il explique le vers de cette maniere : Quand il m'arrivera de revoir un jour ces champs, y restera-t-il quelques épis ? parce que, ajoute-t-il, la culture en aura été négligée. J'avouerai que cette interprétation me semble un peu trop subtile, et que M. Heyne n'est peutêtre pas aussi heureux cette fois qu'il l'est ordinairement. (Page 83 vers 13.)

Viens, suis mes pas: Glycere Fait bouillir dans l'airain les fruits du châtaignier :

J'ai entendu par l'expression castanea molles, des châtaignes bouillies. M. Heyne ne rejette pas cette interprétation, et elle m'a semblé plus poétique.

ECLOGA II.

ALEXIS.

FORMOSUM
ORMOSUM pastor Corydon ardebat Alexin,
Delicias domini; nec quod speraret habebat.
Tantùm inter densas, umbrosa cacumina, fagos
Assiduè veniebat: ibi hæc incondita solus
Montibus et silvis studio jactabat inani :

O crudelis Alexi, nihil mea carmina curas;
Nil nostri miserere; mori me denique coges!
Nunc etiam pecudes umbras et frigora captant;
Nunc virides etiam occultant spineta lacertos;
Thestylis et rapido fessis messoribus æstu
Allia serpyllumque herbas contundit olentes :
At mecum raucis, tua dum vestigia lustro,
Sole sub ardenti resonant arbusta cicadis.
Nonne fuit satius tristes Amaryllidis iras
Atque superba pati fastidia? nonne Menalcan,
Quamvis ille niger, quamvis tu candidus esses?
O formose puer, nimiùm ne crede colori;
Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur.
Despectus tibi sum, nec qui sim quæris, Alexi;
Quàm dives pecoris, nivei quàm lactis abundans.

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