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CONSEIL DES ANCIENS. - SÉANCE DU 8 THERMIDOR AN 7.

Les membres de l'administration centrale de la Seine expriment dans une adresse leurs civiques dispositions. En garde, disent-ils, contre les perfidies du royalisme qui cherche à semer la division, nous sommes convaincus que la République ne peut exister que par les républicains, et que la sagesse ne peut être désormais que dans l'énergie.

Au nom de la commission des inspecteurs, Cornet prend la parole: « C'est un droit, dit-il, qu'on ne peut plus mettre en question, que celui qu'ont les citoyens de se réunir, droit qui dérive des facultés de l'homme et de sa perfectibilité morale. Aussi la Constitution, en le consacrant, n'a-t-elle fait que le régulariser et prévenir ses écarts. Par le moyen des sociétés patriotiques, l'esprit républicain, se ranimera, et l'étincelle électrique partant de cette tribune se communiquera dans toutes les parties de la France. Tous les citoyens jouiront de leurs droits, ainsi que vous l'avez manifesté dans votre dernier comité secret.

» Mais votre police ne pouvant s'étendre sur un grand nombre de citoyens, tels que ceux qui se réunissent au Manége, votre commission se voit forcée de vous proposer le projet d'arrêté suivant: 1o Aucune société, s'occupant de discussions politiques, ne peut tenir ses séances dans l'enceinte sur laquelle le conseil des anciens exerce la police; 2o La commission des inspecteurs est chargée de l'exécution du présent arrêté.

adopte le projet à la presque unanimité.

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Le conseil

Courtois. Nous célébrons demain cette époque mémorable où s'écroula le pouvoir sanglant du décemvirat. Si la révolution du 9 thermidor s'était arrêtée là, si ses passions ne s'en étaient pas emparées, nous n'aurions pas à gémir sur d'autres malheurs publics. La réaction confondit tout dans ses fureurs, elle vengea le sang par le sang; et tel fut son délire qu'elle confondit avec les bourreaux les hommes courageux qui avaient voulu réparer les maux de la France, et qui avaient séché tant, de larmes. Des factions succédèrent à des factions. Endormies (tour à tour, ja

mais éteintes, au lieu d'être comprimées par ceux qui avaient l'importante mission du gouvernement, elles furent trop souvent le ressort de leur tyrannie.

» Quelles réflexions cruelles font naître les symptômes qui nous environnent? Tant de leçons seront-elles perdues? Où donc des hommes audacieux voudront-ils s'arrêter? Si les lois n'offrent au crime que des digues impuissantes, que faisons-nous ici ? abandonnons nos chaises curules. N'y a-t-il donc pas eu assez de bourreaux, assez de victimes, assez d'hécatombes? Certes, il est loin de mes intentions de vouloir réveiller le royalisme, mais aussi quelques hommes n'auront-ils des yeux que pour ne point voir, des oreilles que pour ne point entendre? Fussé-je le seul menacé par lui, je le démasquerai ce parti qui s'élève dans nos murs, ce parti qui se nourrit de troubles, qui s'abreuve de larmes, parti qui prêche sans cesse le bonheur commun, comme s'il pouvait consister dans toute absence d'ordre public, dans un renversement absolu de la morale.

› Les Hébert, les Ronsin viennent de renaître ; les héritiers de Babeuf se sont déjà signalés, et les nommer, serait annoncer leurs projets et leurs crimes. Non, il n'est pas plus dans la nature du tigre de boire du sang qu'il ne l'est dans celle de ces hommes de conspirer et de répandre les ravages.

» Calomnie, lâcheté, perfidie, voilà leurs moyens ordinaires. Offrirons-nous le spectacle d'une peuplade qui ne sait où aller? Déjà nous avons essayé trois constitutions. Celle que nous avons aujourd'hui peut avoir des défauts, mais ce n'est là qu'un prétexte pour vos ennemis domestiques. Quel que fût l'ordre des choses, fût-ce même le code anarchique de 93, ils l'auraient bientôt relégué dans un coin, ainsi qu'ils l'ont déjà fait pour y substituer le régime révolutionnaire.

› Déjà s'est découvert une commission d'instruction de trenteneuf membres, une autre plus secrète, et c'est ainsi que les projets désorganisateurs vont se perdre dans la nuit du mystère. Le directoire offusque; on veut le renverser, et on a demandé la tête de deux de ses membres. Ou les trois autres deviendraient

des esclaves, ou on les forcerait de donner leur démission; et le corps législatif lui-même, soumis à une épuration, serait bientôt réduit à une hon teuse impuissance. ›

Ici l'orateur développe le système de la société du Manége. Payer, dit-il, quelques malheureux pour assister à la séance, proclamer des listes où se trouvent des noms de deux cent cinquante représentans du peuple, tel est le prélude de sa marche rapide à la tyrannie. Après le directoire et les conseils, on épurera les administrations; on remontera au 9 thermidor, et bientôt jusqu'au club de la Sainte-Chapelle pour rendre plus vaste le champ des nouvelles proscriptions.

» Le droit de s'assembler n'est pas sans doute celui de conspirer. Nous respecterons les réunions qui ont pour but de propager les lumières, de consoler les vertus, d'honorer l'humanité, mais nous ne voulons plus d'échafauds ni de massacres. ›

L'orateur ayant peint aux nouveaux représentans les dangers qui les environnent, et les ayant invités à ne point abandonner les fruits des journées de prairial, et ne point souffrir que le peuple français ne fasse que changer de tyrannie, il continue en

ces termes :

<L'esprit public allait se réveiller, les cœurs s'ouvraient à l'espérance, et tout à coup notre situation politique a changé.

› A quel titre exigerions-nous des sacrifices de la part du peuple français, car il lui faut enfin des compensations, il lui faut une garantie de conserver ce qui lui reste. Pourquoi -féconderais-je mon champ, si les fruits ne doivent point m'en appartenir; ou mon commerce, si les bénéfices ne m'en sont point assurés? Vous voulez que je repousse les hordes étrangères, et vous ne savez pas garantir mon existence dans l'intérieur! De deux ennemis qui me menacent, le plus près est pour moi le plus dangereux, et je veux avant tout garantir mes amis, ma femme et mes enfans.

» On ne peut s'attacher à une patrie où l'on ne marche que sur des volcans, où l'on vit sous l'empire des bourreaux, et le gouverné ne doit au gouvernant qu'en raison des bienfaits qu'il en

T. XXXVIII.

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reçoit. La terreur annonce ou l'impuissance, ou la tyrannie, et l'une et l'autre sont odieuses. Amis de la République, rassurezvous. Deux fois dans un siècle, deux fois dans six ans, les mêmes crimes ne sauraient se renouveler, et nous périrons tous plutôt que de voir se rétablir l'épouvantable terreur:

> Plus d'exagération dont les temps sont passés; sagesse dans la conduite, accord des pouvoirs, responsabilité effrayante aux yeux de la postérité qui ne jugera pas même les intentions, mais les effets. » C'est par ce tableau que l'orateur termine un discours dans lequel il avait pour but, dit-il, d'inviter ses collègues à se prémunir contre les piéges qu'on leur tend, à se rallier à la Constitution, dans laquelle seule ils peuvent trouver le port du salut. On demande l'impression et la distribution à six exemplaires. Savary. Si l'orateur avait des preuves à la main, des faits précis, j'appuierais l'impression. Que les coupables, s'il y en a, soient punis. Instruisez le directoire de la dénonciation qui vous est faite ; mais qu'avec les expressions de buveurs de sang, sous lesquelles on a confondu les meilleurs républicains, on ne vienne pas rendre des armes à la réaction, et préparer de nouveaux malheurs.

» Il y a seulement quelques jours que vous avez manifesté des intentions différentes, et vous avez provoqué, accueilli ces réunions que l'on injurie aussi gratuitement devant vous. Qu'il soit donc nommé une commission, et que, cessant d'être ballottés par des opinions particulières, vous preniez une détermination d'après son rapport, et plus encore d'après vous-mêmes. »

L'opinant est combattu par Regnier, qui pense qu'il faut rassurer le peuple français sur les projets désastreux qui se méditent dans l'ombre. Nous saurons, dit-il, comprimer le royalisme et l'anarchie, prévenir les abus des dénominations qui rappellent tant de massacres. Mais la patrie est en ce moment menacée, le peuple est dans la plus vive inquiétude, et je vote contre la commission. ›

Lavaux. « Un auteur, qui n'était pas républicain, a dit que le délire de la patrie avait quelque chose d'admirable. On doit

avouer qu'il était loin de penser comme quelques-uns de vos o ateurs. Vous a-t-on cité des faits précis? Qu'on me dise où sont les dangers? Ces sociétés patriotiques, sur lesquelles on vient de répandre le fiel, ne les avez-vous pas vous-mêmes appelées? On a eu raison de vous dire qu'il y avait déjà une liste de deux cent cinquante représentans du peuple sur la liste des citoyens réunis au Manége. Certes, je m'honore de me trouver de ce nombre. Quels sont donc leurs écarts et leurs crimes? Ne prêtent-ils pas le serment de fidélité à la Constitution de l'an I? Ne jurent-ils pas aussi de sauver la patrie? Le discours de notre collègue Courtois peut contenir de bonnes choses; il ne faut pas pour cela répandre le venin diabolique qu'il contient, car il deviendrait bientôt le germe de nouvelles calamités. Je vote contre l'impression. ›

On demande que la discussion soit fermée. Une vive agitation se manifeste; Moreau de l'Yonne invite ses collègues à se garder de toutes espèces d'animosités et ramène le calme dans le sein du conseil.

Duffaut pense que cette discussion doit être l'objet d'un comité secret, et demande que le conseil s'y forme sur-le-champ. . J'appuie la proposition, dit Garat, non-seulement comme raisonnable, mais même comme indispensable. Voudriez-vous ne pas prendre la connaissance la plus exacte des faits qu'on vous dénonce? Dans une commune où siégent les premières autorités, ne devez-vous pas prévenir les dangers dont on vous environne? Vos ennemis vous entendent; ils recueillent vos délibérations, et se mettront en mesuré. Le message au directoire est inutile; car, d'après des projets aussi désastreux, notre collègue Courtois n'aura pas manqué, sans doute, d'instruire le directoire.

Qu'il me soit permis, à mon tour, de dire mon sentiment sur les réunions dont il s'agit. Jamais je ne me suis trouvé dans aucune. Reconnaissant des grands services qu'elles ont rendus à la patrie, j'ai toujours craint les désorganisateurs, et l'étranger surtout, qui, se glissant au milieu d'elles, vient, en les portant à des excès, empoisonner leur influence bienfaisante. En 90, 91 et 92, elles rendirent des services signalés à la liberté publique.

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