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lait d'un extrême à l'autre, et donnait la majorité. Il se cachait dans ce centre plusieurs monarchistes. Dans les cinq-cents, le côté républicain était nombreux, il comptait plus de cent membres, il espérait pouvoir raviver les sentimens patriotiques en France; il ne croyait point à la Constitution de l'an 11. On l'accusa de penser à revenir à quelque Constitution plus populaire, rapprochée dans la forme de celle de 93; et l'on ne peut guère douter de la vérité de cette assertion, lorsque l'on voit les noms des meneurs de ce parti, et les actes dont il fut l'auteur. Sans doute, il se rattachait à la Constitution de l'an III, il protestait de son dévouement à cette loi; mais, en même temps, il se conduisait comme s'il n'y eût vu qu'un moyen transitoire; il imitait les premiers meneurs de la révolution, il recommençait en quelque sorte un club breton, ou un club des Jacobins, dans la société du Manége. Voulant s'emparer des élections, et par les élections des chambres il se faisait, à la manière démocratique, son club de Clichy. Le centre et tout ce qu'il y avait de gens froids ou désaffectionnés en France, considérait la Constitution de l'an III comme mauvaise et même comme morte. C'était une mauvaise loi organique que celle dans laquelle la société ne pouvait se maintenir que par des coups d'état. Il était évident que cette forme gouvernementale ne pouvait durer; il fallait à la société quelque chose de stable qui pût, disait-on, finir la révolution. - Quant aux directoriaux, ils étaient honteux et mécontens, mais dans la même persuasion. Ainsi tout le monde avait l'opinion que le moment où nous sommes était un passage à quelque chose de mieux ou de pire, mais où l'on ne pouvait rester.-Dans le conseil des anciens, les républicains démocrates étaient peu nombreux et peu convaincus, les directoriaux, les monarchistes et le centre en formaient la grande majorité. On y remarquait plusieurs noms déjà compromis dans des affaires royalistes; et quelquesuns devinrent fameux après 1815. Le directoire lui-même, sauf les républicains Gohier et Moulins, ne croyait pas à la Constitution, ni à la possibilité de la maintenir.

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L'histoire de la période où nous entrons, est donc celle d'une

époque transitoire, où chaque parti cherche à se saisir d'une force qui le mette à même de dominer l'avenir.

Ce furent les républicains qui, aux cinq-cents, conduisirent la majorité dans les premiers mois, ou plutôt il y eut une unanimité commandée autant par la nécessité des affaires que par l'indignation publique.

La séance permanente du 30 prairial se termina de manière à leur donner les plus grandes espérances et à les persuader de la majorité, c'est-à-dire par les promesses et les actes suivants. Le 3 messidor, François de Nantes, au nom de la commission, vint donner le programme des travaux dont elle était occupée. On cherchait un moyen de garantir les législateurs contre les séductions du pouvoir exécutif; on pensait qu'il suffisait dans ce but qu'ils prissent l'engagement de n'accepter aucune place à la nomination du directoire, pendant l'année qui suivrait celle où ils auraient cessé leurs fonctions de député. On se proposait de restreindre l'influence du directoire en diminuant la somme des fonds mis à sa disposition. On préparait des lois pour assurer la liberté politique, soit dans les élections, soit dans les chambres. On voulait limiter le droit de guerre et de conquête, organiser la liberté politique, déterminer les conditions de la mise en état de siége, rendre aux citoyens la liberté de se former des sociétés politiques, rappeler les patriotes dans les fonctions publiques, enfin rétablir la liberté des cultes. En effet, avant même que la permanence eût été levée, on présenta un long projet où une partie de ces mesures était énoncée. Les mécontens n'osèrent faire valoir qu'une seule objection; ils demandèrent qu'on fit autant de projets séparés qu'il y avait de questions particulières décidées dans celui que l'on présentait. Il ne faut pas, répondit Grandmaison, qu'il en soit ici comme du 18 fructidor; le lendemain de cette dernière journée, on signalait les républicains comme des anarchistes. Aujourd'hui, on est prêt à se comporter de même, et dans quel moment! c'est lorsque nous avons besoin de toute l'énergie des républicains pour repousser l'ennemi. On parle des républicains comme fait le directoire, lorsque, par ses ordres, les murs de

Paris étaient, au moment des élections, couverts d'affiches, où l'on lisait, gare aux boutiques, comme si le peuple eut été un vil ramas de brigands. Je demande l'ordre du jour. » Et l'assemblée passa outre sur ces réclamations timides, et vota les articles.

Le 9 messidor on touchait à la fin de ce projet réparateur, lorsque l'un des secrétaires tenant en main un message du directoire, demanda que le conseil se formåt, pour l'entendre en comité

secret..

Lucien Bonaparte. Ou le message est diplomatique, ou il contient les renseignemens promis par le directoire sur la situation de la République. Dans le premier cas, il doit être lu en comité secret; dans le second, il doit l'être en public, car depuis longtemps ces renseignemens sont attendus des armées et de toute la France.

Adopté.

On lit le message.

Le directoire, y est-il dit, vient vous rendre compte de l'état de la République. Ses plaies sont profondes, il faut les sonder. Nous ne devons point vous dissimuler les dangers qui environnent la France; ils sont grands. (D'une part, des murmures interrompent le secrétaire; de l'autre, on lui crie : Lisez, lisez.)

Jourdan vole à la tribune. Je demande, dit-il, que le message soit lu en entier à la tribune. Il faut que le peuple français connaisse sa position. Avant de lui demander des hommes et de l'argent, il faut qu'il sache les dangers qui le menacent.

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On continue la lecture.—«C'est de l'imminence de ces dangers que vous ferez sortir les mesures grandes et fortes qui sauveront la République. Il est trop vrai qu'un système fatal, et une prévention aveugle avaient écarté des places les hommes les plus capables de les bien remplir, et de maintenir la nation à la hauteur de ses destinées. Partout les administrations, composées d'hommes faibles, ont besoin d'être réorganisées. Une funeste influence a réagi sur les tribunaux ; il n'est que trop vrai qu'au lieu de frapper les coupables du glaive de la loi, ils les ont, par une criminelle insouciance et une lâche faiblesse, enhardis au crime. Les brigands qui infestent l'intérieur ont reparu avec audace; l'assassinat

commis à Rastadt a été pour eux le signal de recommencer leurs brigandages et leurs meurtres; organisés en bandes nombreuses ils ravagent à force ouverte les départemens du Midi et de l'Ouest. Par eux les acquéreurs de biens nationaux sont égorgés, les voitures publiques et les contributions pillées, les voyageurs arrêtés, les hommes connus par leur attachement pour la République, assassinés au sein de leur famille, dans l'intérieur de leurs maisons, et tous ces crimes se commettent au nom de l'autel et du trône. Dans plusieurs points, la guerre civile est sur le point de s'allumer.

Une aveugle insouciance a fait fermer les yeux sur la formation d'une coalition nouvelle, elle a endormi sur ses progrès; elle a laissé nos magasins en proie au pillage, nos arsenaux dépourvus d'armes, nos armées dans le dénuement. Pendant les négociations de Rastadt, on a négligé le seul moyen de faire la paix, celui de se préparer à la guerre. Nous la soutiendrons cette guerre, avec courage, avec énergie, et encore une fois nous triompherons de nos ennemis. L'incohérent assemblage de leur coalition nous en donne la certitude; elle aura le même sort que la dernière.

»Nos frontières sont menacées; il faut lever des hommes, armer des bataillons, leur assurer la subsistance et les objets d'équipement; il faut en imposer aux ennemis du dedans par une armée formidable. Mais la rentrée des contributions est pénible; le trésor public n'en est pas suffisamment alimenté; les circonstances extraordinaires où se trouve la République exigent des secours extraordinaires. Le directoire doit vous le dire, il doit le dire à la nation; le corps politique est menacé d'une dissolution totale, si on ne se hâte de retremper l'esprit public. Nos maux sont grands, mais nos ressources sont plus grandes encore. Nos maux naissent de l'abandon que l'on a fait de tous les moyens; le remède à ces maux se trouvera dans la mise en œuvre de ces moyens.

› Le premier de tous, c'est l'énergie du peuple français, c'est son dévouement à la cause de la liberté. A votre voix, à la voix du directoire qui n'a qu'une même ame avec vous, la

France reprendra sa première attitude, la coalition nouvelle qui menace l'Europe sera vaincue ; cette coalition sera la dernière, la France en triomphera. >

Le directoire termine en annonçant qu'au présent message se trouvent joints les rapports de divers ministres, contenant l'état de nos besoins, et l'indication des moyens nécessaires pour y faire face.

On réclame l'impression à douze exemplaires. - Adopté. On demande le renvoi à la commission des onze.

Jourdan. « Le renvoi est inutile; la commission s'est occupée d'un travail relatif à cet objet, et tendant à vous proposer une nouvelle levée d'hommes et de fonds. Je demande au conseil la permission de lui faire part de ce travail. >> - Adopté.

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Jourdan. Vous venez de l'entendre. Les dangers qui menacent la patrie sont grands, mais ses ressources sont immenses, il faut les déployer, il faut que le peuple français reprenne cette attitude fière, qui fasse respecter la liberté ; il faut que les républicains se réunissent partout, et qu'ils opposent aux brigands un bataillon sacré qui les mette en fuite; il faut que la jeunesse française s'arme et vole aux combats; il faut que les citoyens dont les propriétés sont menacées paient de leur bourse. La commission vous propose un emprunt de 100 millions, et la mise en activité de tous les conscrits qui n'ont pas encore été appelés..

Le rapporteur fait lecture d'un projet qui est adopté avec urgence, et dont voici les dispositions principales :

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Les conscrits de toutes les classes, qui n'ont pas encore été appelés, sont mis en activité de service. - Ils seront organisés en bataillons et compagnies. Il sera affecté pour ces objets une somme de 100 millions. Cette somme sera remplie par la voie d'un emprunt sur la classe aisée des citoyens. La cotisation de cet emprunt sera progressive. Les domaines nationaux

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invendus sont affectés au remboursement de cet emprunt.

Sur la motion du même rapporteur, le conseil arrête : 1o Que la commission militaire fera incessamment un rapport sur l'organisation des nouveaux bataillons; 2° Que la commission chargée

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