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› Une autre république est venue se former au milieu d'elle, s'y pénétrer de ses principes, et y reprendre à sa source l'esprit antique des Gaulois : attachée à la France par le souvenir d'une commune origine, par des institutions communes, et surtout par le lien des bienfaits, la république Italienne a pris son rang parmi les puissances comme parmi nos alliés; elle s'y maintiendra par le courage, et s'y distinguera par les vertus.

› La Batavie, rendue à l'unité d'intérêts, affranchie de cette double influence qui tourmentait ses conseils et qui égarait sa politique, a repris son indépendance, et trouve dans la nation qui l'avait conquise la garantie la plus fidèle de son existence et de ses droits. La sagesse de son administration -lui conservera sa splendeur, et l'active économie de ses citoyens lui rendra toute sa prospérité.

› La république Helvétique, reconnue au-dehors, est toujours agitée au-dedans par des factions qui se disputent le pouvoir. Le gouvernement, fidèle aux principes, n'a dû exercer sur une nation indépendante d'autre influence que celle des conseils ; ses conseils jusqu'ici ont été impuissans; il espère encore que la voix de la sagesse et de la modération sera écoutée, et que les puissances voisines de l'Helvétie ne seront pas forcées d'intervenir pour étouffer des troubles dont la continuation menacerait leur propre tranquillité.

› La République devait à ses engagemens et à la fidélité de l'Espagne de faire tous ses efforts pour lui conserver l'intégrité de son territoire : ce devoir, elle l'a rempli dans tout le cours des négociations avec toute l'énergie que lui permettaient les circonstances. Le roi d'Espagne a reconnu la loyauté de ses alliés, et sa générosité a fait à la paix le sacrifice qu'ils s'étaient efforcés de lui épargner : il acquiert par là de nouveaux droits à l'attachement de la France, et un titre sacré à la reconnaissance de l'Europe. Déjà le retour du commerce console ses états des calamités de la guerre, et bientôt un esprit vivifiant portera dans ses vastes possessions une nouvelle activi é et une nouvelle industrie.

› Rome, Naples, l'Étrurie, sont rendues au repos et aux arts

de la paix.

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Lucques, sous une constitution qui a réuni les esprits et étouffé les haines, a retrouvé le calme et l'indépendance.

› La Ligurie a posé, dans le silence des partis, les principes de son organisation, et Gênes voit rentrer dans son port le commerce et les richesses.

› La république des Sept-Iles est encore, ainsi que l'Helvétie, en proie à l'anarchie; mais, d'accord avec la France, l'empereur de Russie y fait passer les troupes qu'il avait à Naples pour y reporter les seuls biens qui manquent à ces heureuses contrées, la tranquillité, le règne des lois, et l'oubli des haines et des factions.

» Ainsi, d'une extrémité à l'autre, l'Europe voit le calme renaître sur le continent et sur les mers, et son bonheur s'asseoir sur l'union des grandes puissances et sur la foi des traités.

› En Amérique les principes connus du gouvernement ont rendu la sécurité la plus entière à la Martinique, à Tabago, à Sainte-Lucie; on n'y redoute plus l'empire de ces lois impru dentes qui auraient jeté dans les colonies la dévastation et la mort; elles n'aspirent plus qu'à se réunir à la métropole, et elles lui rapportent, avec leur confiance et leur attachement, une prospérité au moins égale à celle qu'elle y avait laissée.

› A Saint-Domingue, de grands maux ont été faits, de grands maux sont à réparer; mais la révolte est chaque jour plus comprimée. Toussaint, sans places, sans trésors, sans armée, n'est plus qu'un brigand errant de morne en morne avec quelques brigands comme lui, que nos intrépides éclaireurs poursuivent, et qu'ils auront bientôt atteints et détruits.

» La paix est connue à l'île de France et dans l'Inde; les premiers soins du gouvernement y ont déjà reporté l'amour de la République, la confiance en ses luis, et toutes les espérances de Ja prosperité.

› Bien des années s'écouleront désormais pour nous sans victoires, sans triomphes, sans ces négociations éclatantes qui font

les destinées des états; mais d'autres succès doivent marquer l'existence des nations, et surtout l'existence de la République : partout l'industrie s'éveille; partout le commerce et les arts tendent à s'unir pour effacer les malheurs de la guerre; des travaux de tous les genres appellent la pensée du gouvernement.

› Le gouvernement remplira cette nouvelle tâche avec succès aussi long-temps qu'il sera investi de l'opinion du peuple français: les années qui vont s'écouler seront, il est vrai, moins célèbres; mais le bonheur de la France s'accroîtra des chances de gloire qu'elle aura dédaignées.

› Le premier consul. - Signé : BONAPARTE. »

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· Après cette lecture, une partie de l'assemblée parut remplie d'enthousiasme. Le président du tribunat, Chabot (de l'Allier), prit la parole: Les destinées de la France, s'écria-t-il, vont être remplies; la victoire assure son indépendance; la paix affermira son bonheur. Le traité qu'on nous annonce est le complément de la paix générale. Français, soyez grands dans la paix comme vous avez été grands dans la guerre; que vos vertus et vos habitudes prouvent que vous êtes dignes de la liberté. »

Siméon monta ensuite à la tribune et demanda qu'une députation du tribunat fût chargée d'aller féliciter le premier consul. Cette proposition fut adoptée; mais on voulait obtenir davantage: en conséquence, le président Chabot quitte le fauteuil et vient prendre place à la tribune.

Citoyens tribuns, dit-il, chez tous les peuples on décerna des honneurs publics et des récompenses nationales aux hommes qui par des actions éclatantes avaient honoré leur pays, ou l'avaient sauvé de grands périls.

› Quel homme eut jamais plus que le général Bonaparte des droits à la reconnaissance nationale?

› Quel homme, soit à la tête des armées, soit à la tête du gouvernement, honora davantage sa patrie, et lui rendit des services plus signalés?

Sa valeur et son génie ont sauvé le peuple français des excès de l'anarchie, des fureurs de la guerre; et ce peuple est trop

grand, trop magnanime, pour laisser sans une grande récompense tant de gloire et tant de bienfaits.

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Soyons, tribuns, soyons ses organes. C'est à nous surtout qu'il appartient de prendre l'initiative lorsqu'il s'agit d'exprimer, dans une circonstance si mémorable, les sentimens et la volonté du peuple.

» Je propose que le tribunat prenne l'arrêté dont la teneur suit : » Le tribunat émet le vœu qu'il soit donné au général Bonaparte, premier consul de la République, un gage éclatant de la reconnaissance nationale.

par

» Le tribunat arrête que ce vœu sera adressé des messagers d'état au sénat conservateur, au corps législatif et au gou

vernement. »

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La proposition de Chabot fut adoptée à l'unanimité et sans discussion. Personne ne pouvait encore prévoir quel en serait le résultat.

Le sénat, saisi de cet arrêté, rendit le 18 un sénatus-consulte longuement motivé. Il réélisait le citoyen Napoléon Bonaparte premier consul de la République pour les dix années qui suivraient immédiatement les dix ans pour lesquels il avait été nommé par l'article 39 de la Constitution.

Cette marque de confiance ne satisfit point Bonaparte; il attendait et il voulait davantage. Il vit avec peine, sans doute, que l'on ne comprît point ses désirs; et il résolut de prendre lui-même l'initiative et d'indiquer clairement sa volonté, laissant au sénat la liberté de s'y refuser, mais assuré en même temps qu'il n'oserait pas s'y opposer. Il écrivit modestement qu'il acceptait les fonctions honorables qu'on lui imposait, mais qu'il ne voulait les tenir que du peuple; il demandait que celui-ci fût appelé à voter en cette circonstance comme il l'avait été lors de l'établissement de la constitution consulaire; et en même temps il dicta aux deux consuls, ses collègues, un arrêté dans lequel ils décidaient que le peuple français serait consulté sur la question de savoir si Napoléon Bonaparte serait consul à vie. Cet arrêté fut adressé au tribunat, au corps législatif. Dans l'une et l'autre assemblée,

il cut les résultats qu'on en attendait. Ainsi qu'on l'avait prévu, personne n'osa s'y opposer; loin de là, on s'empressa dans les deux conseils de manifester son adhésion. Au tribunat, on vota des remercîmens aux deux consuls pour avoir pris le moyen le plus convenable et le plus constitutionnel de remplir le vœu du tribunat; et de plus on ouvrit un registre pour recevoir les votes individuels des tribuns. Carrot et Duchesne seuls votèrent contre la proposition. Le corps législatif imita le tribunat. On ouvrit des registres dans toute la République. Grâce au zèle d'une administration qui était dans les mains de Bonaparte, en moins de trois mois ces registres furent couverts d'un nombre suffisant de signatures, parmi lesquelles il y en avait, dit-on, beaucoup de fausses, et un plus grand nombre obtenues par des obsessions de diverses espèces. Tous ceux qui dépendaient directement ou indirectement de l'administration furent obligés de donner un avis qui leur était dicté; et, parmi les hommes véritablement indépendans, il n'y eut guère que ceux qui approuvaient la mesure qui se donnèrent la peine d'aller voter. Enfin lorsqu'on crut les registres suffisamment remplis, les deux consuls qui avaient signé le premier arrêté en signèrent un second par lequel ils a tressaient au sénat l'expression de la volonté du peuple. Le sénat se borna à faire le dépouillement des votes. Il en trouva trois millions cinq cent soixante-huit mille huit cent quatre-vingtcinq pour le consulat à vie, et huit mille trois cent soixante-quatorze contre. En conséquence, le 14 thermidor (2 août 1802), il proclama Napoléon Bonaparte consul à vie.

Le premier consul ne s'arrêta point dans cette carrière. Il voulait avoir le droit de choisir son héritier, non, sans nul doute, pour garantir à la France le meilleur successeur dans le système républicain, mais certainement, ainsi que le prouve le reste de sa conduite, pour acquerir l'autorité d'une royauté béréditaire. La question etait dé icate, le succès difficile; mais on espéra tout obtenir en procedant à l'improviste et avec hardiesse. En conséquence, le sénat fut convoqué extraordinairement à midi, le 16 thermidor. Vers deux heures on distribua un projet de séna

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