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• Quoique la réduction de l'armée eût facilité la solution du problème du recrutement, l'assemblée constituante prouvait par son irrésolution qu'elle ne comptait que faiblement sur les enrôlemens volontaires, et qu'elle n'avait aucun système sur les moyens de porter l'armée au pied de guerre en cas de nécessité.

› On avait développé avec talent les rapports de la constitution de l'armée avec la constitution de l'état (1); mais on n'avait nullement abordé la question la plus difficile, celle sur les moyens d'exécution. C'est toujours là que viennent échouer les auteurs des théories.

• Six mois s'écoulèrent sans qu'on reprît cette discussion. Vers le milieu de 1790, le comité militaire proposa de porter la force de l'armée sur le pied de paix jusqu'à cent cinquantequatre mille hommes, et d'en avoir constamment cinquante mille en réserve dans les départemens (2). Les moyens de recrutement pour cette réserve n'étaient pas même indiqués, et sa destination n'était guère moins incertaine. Quelle devait être cette destination? Écoutons le rapporteur: « Ces soldats, retirés dans ⚫ leurs départemens, pourraient s'occuper à l'agriculture et au > commerce, et pourraient aussi former la maréchaussée, les › gardes des bois, les commis des douanes. On voit ce que c'était que l'inactivité qu'on promettait dans ce système à une troupe qui ne devait avoir qu'une paie peu considérable (3).

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» Enfin on indiqua l'idée de prendre cinquante mille hommes de réserve dans ceux qui se retireraient de l'armée active. après y avoir servi six ans. C'était ajourner à bien long-temps l'organisation de ces auxiliaires; c'était vouloir remplacer les milices

(1) »Discours d'Alexandre Lameth et de Liancourt, séance du 9 février 1790. (2) » Rapport fait au nom du comité militaire pár Noailles, séance du 15 juillet 1790.

(3) » Ce n'est pas la destination de ces soldats que je blâme. Il n'avait pas une juste idée de l'institution militaire, ce paysan suédois qui dans la diète s'opposa à ce que les troupes fussent employées à la levée des impôts, en disant : Et que deviendra la dignitė du soldat?

» La dignité du soldat est de prêter main-forte aux lois, comme de défendre la patrie contre les ennemis extérieurs; ceux qui ont vanté ce mot n'étaient pas des esprits justes.

par des vétérans; et cependant, à l'époque de cette discussion," les rapporteurs mêmes du comité militaire disaient : « Il est in>stant d'organiser l'armée; les circonstances dont nous sommes › environnés, l'agitation de l'Europe, les événemens qui sem› blent se préparer nous le prescrivent impérieusement (1). ›

› Ce fut au milieu de cet orage que le décret du 18 août 1790 fixa la force de l'armée à cent cinquante-un mille hommes, sans faire aucune mention de l'armée de réserve.

› Ainsi, pendant un an, on avait écrit des volumes pour dix mille hommes de plus où de moins, et dans cet intervalle les événemens avaient décidé la question; il n'y avait plus d'armée.

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› L'indiscipline l'avait désorganisée; tous les soldats étaient en insurrection, tous les officiers étaient en fuite, et les dangers approchaient aussi dès le commencement de l'année 1791 viton se multiplier les décrets pour l'augmentation de la force militaire (2).

» On revenait toujours à cette idée favorite de former une réserve de soldats auxiliaires, à qui l'on assurait une paie de trois sous pour les porter à s'inscrire volontairement (5), et l'on comp tait tellement sur le succès de cette mesure qu'on crut devoir confirmer par une loi (4) l'abolition du régime des milices, pro

(1) » Rapport d'Alexandre Lameth, séance du 29 juillet 1790.

(2) » Décret du 14 février 1791 sur les moyens de pourvoir à la sûreté de la France, et de lever cent mille auxiliaires;

» Décret relatif aux recrutemens, engagemens, réengagemens et congés, du 25 mars 1791;

* Décret additionnel sur la levée de cent mille auxiliaires, du 20 avril 1791; » Décret contenant des mesures générales pour la sûreté de l'état, du 15 juin 1791;

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» Décret pour mettre la garde nationale en activité, du 21 juin 1791 »Décret du 24 juin 1791 qui autorise les généraux à armer les gardes nationales; » Décret du 9 juillet 1791 qui porte tous les régimens au complet de guerre et augmente le nombre des gardes nationales en activité;

» Décret du 29 juillet 1791 qui porte à quatre-vingt-dix-sept mille le nombre des gardes nationales en activité;

» Décret du 12 août 179† relatif à la formation des gardes nationales destinées

à la défense des frontières.

(3) « Rapport d'Alexandre Lameth et de Mirabeau, séance du 28 janv. 1791. » (4) » Du 20 mars 1791.

noncée tumultuairement dans la fameuse nuit du 4 août 1789.

» Cependant le ministre de la guerre avouait (1) qu'on n'avait pu encore compléter l'armée active.

Après avoir par quelques décrets essayé de réaliser ce système de l'inscription volontaire, on ordonna que les départemens frontières fourniraient le nombre d'hommes exigé par leur position, et que les autres fourpiraient de deux à trois mille hommes chacun (2).

› L'année 1792 était commencée, et il manquait encore cinquante et un mille hommes au complet de l'armée (3).

› Tel fut le résultat des longues délibérations d'une assemblée recommandable par de grands souvenirs, mais qui dans les commencemens s'aveugla peut-être sur ses dangers; qui parut s'attacher à la conservation de sa popularité plus qu'à consolider son ouvrage, et qui détruisit l'armée du monarque sans organiser celle de la nation.

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› Cependant, en accusant son imprévoyance, avouons qu'elle y avait elle-même habilement suppléé. Cette assemblée en se séparant laissà la nation animée d'un esprit d'enthousiasme que les Pésistances ne firent qu'exalter; il semblait que le peuple français, plus sûr de lui-même que ses législateurs, n'attendît que le premier coup de canon de ses ennemis pour déployer tout l'appareil de sa puissance.

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Recrutement des armées pendant la guerre de la liberté.

» Ce fut un beau spectacle de voir au premier signal du danger ce peuple se précipiter vers ses frontières, et détromper, par des coups terribles, ces rois imprudens qui croyaient que `cette guerre ne serait pour eux qu'une marche triomphale.

› A peine le danger était-il certain, que les représentans du

(1) » Mémoire du ministre de la guerre d'où il résulte qu'au fer mars l'armée n'était encore que de cent trente mille sept cent quatre-vingt-deux sous-officiers ou soldats.

(2) » Décret du 21 juin 1791.

(3) » Rapport du ministre de la guerre, séance du 17 janvier 1792.

peuple vinrent déclarer à la tribune: « Ce ne sont pas les hommes › de bonne volonté qui nous manquent; c'est l'ardeur des volon› taires nationaux qui ralentit le recrutement (1). »

» Si nous ouvrons les comptes de ce ministre qui le premier a donné l'exemple de soumettre ses opérations au jugement de ses concitoyens (2), nous verrons une armée de cent soixante mille hommes s'élever dans quelques mois à six cent quarante cinq mille, et dans un an dépasser le nombre de ces armées fabuleuses dont les calculateurs ne pouvaient concevoir ni les mouvemens ni l'exis

tence.

▸ Ce recrutement sans exemple, occasionné par la guerre de la liberté, peut se distinguer en quatre opérations successives, dont les résultats méritent d'être consignés dans l'histoire :

› 1o La levée en masse ordonnée en 1791 (3), et qui ne s'effec tua que l'année suivante; - 20 la levée de trois cent mille hommes en 1793; - 3o la réquisition; - 4o la conscription.

» Levée en masse. Lorsque la guerre se déclara, l'infanterie de ligne n'était composée que de cent six régimens de deux bataillons. On porta les premiers bataillons à l'armée; on réserva les seconds pour la garde des places et l'instruction des recrues; et on éprouva dès cette première campagne que chacun de ces corps isolés ne présentait pas une masse assez considérable.

» Les volontaires nationaux montraient une telle ardeur pour passer de leurs bataillons dans ceux de l'armée de ligne, qu'il fallut les contenir (4); et en cela le législateur donna une grande preuve de sagesse; il prévoyait d'avance que ces bataillons de volontaires devaient non pas recruter les troupes réglées, mais les remplacer (5).

(1)» Discours de Dumas, rapporteur du comité militaire de l'assemblée législative, séance du 19 janvier 1792.

(2) » Premier compte rendu par le ministre de la guerre Petiet.

(3) » Lois du 24 juin 1791, des 12 et 18 août.

(4) Rapport de Dumas, séance du 19 janvier 1792.

(5) » Beaucoup de lois subséquentes organisèrent ces levées; celle du 28 août 1792 ajouta des compagnies de canonniers à chaque bataillon; celle du 2 septembre créa des troupes légères à cheval; celles des 9, 10 et 24 septembre

H serait difficile d'établir avec précision le produit de ce recrutement, auquel l'enthousiasme national eut une si grande part; mais il est certain qu'on n'exagère point en évaluant la première levée pour compléter les cadres de

l'armée à..

› La masse des bataillons de volontaires nationaux à..

› La seconde levée qui eut lieu en septembre 1792, à. . !

50,000 hommes.

100,000

100,000

⚫ Ainsi cette première opération donna 250,000 hommes. » Levée de 1793. Par la loi du 24 février 1793, tous les hommes non mariés, depuis dix-huit jusqu'à quarante ans, furent appelés à fournir trois cent mille hommes, répartis entre les départemens, suivant leur population. Le mode de la levée fut laissé au choix des citoyens.

• Les hommes désignés pour marcher furent autorisés à se faire remplacer, mais en équipant à leurs frais le remplaçant (1). > Deux mois après (2) une nouvelle loi ordonna une levée de trente mille hommes pour compléter la cavalerie.

Cette levée de trois cent trente mille hommes ne fut pas complète, parce que cette époque fut celle de l'insurrection des départemens de l'Ouest; cependant on en évalue le résultat . 144,000 hommes.

⚫ Les troubles intérieurs qui éclatèrent en mai 1793 donnèrent lieu à une nouvelle for, mation de bataillons, qu'on peut évaluer à. › Ainsi, dans les six premiers mois de 1793, l'armée reçut un accroissement d'environ

50,000

194,000 hommes.

permirent la levée des compagnies franches; celle du 12 septembre prescrivit des mesures pour l'armement et l'équipement des volontaires.

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(1) Le soin d'habiller et d'armer ces trois cent mille hommes fut confié aux administrations locales, auxquelles la loi fixait pour cet objet un délai de huit jours.

(2) » Le 16 avril.

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