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Vienne. C'est par une telle succession de faits que le traité de Campo-Formio, méconnu dès son principe, demeuré sans exécution de la part de l'Autriche dans plusieurs de ses parties principales, compromis et invalidé chaque jour par des préparatifs ou des actions hostiles, se trouve enfin sacrifié aujourd'hui à l'extravagante ambition du monarque russe et aux combinaisons perfides de l'Angleterre. C'est ainsi que l'empereur, jeté peut-être hors de ses propres résolutions, compromet en même temps le sort de l'Empire, lui ravit le bénéfice d'une paix commencée, et livre de nouveau l'Allemagne à toutes les chances d'une guerre dans laquelle l'empereur et l'Empire ne sont plus qué les auxiliaires de la Russie.

› C'est ainsi que les déterminations de la cour de Vienne entraînant celles de la cour de Toscane, il n'est pas permis au directoire exécutif de séparer l'une de l'autre.

› Forcé donc, aux termes de la déclaration qui a été faite à Rastadt, de regarder le silence de l'empereur comme une mesure hostile; instruit d'ailleurs que les troupes autrichiennes ont déjà fait, en Bavière et vers la Souabe, des mouvemens agressifs, le directoire exécutif renonçant avec regret à l'espoir de maintenir la paix en Allemagne, mais toujours disposé à entendre les propositions convenables qui seraient faites pour une nouvelle et com plète réconciliation, vous prévient, citoyens représentans, qu'il a déjà pris les mesures qu'il a cru nécessaires pour la défense de l'état et vous propose de déclarer la guerre à l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, et au grand-duc de Toscane. ›

Signé, BARRAS, président.

-Au milieu de tous ces embarras, une difficulté imprévue avait surgi, difficulté grave surtout si nos armées venaient à être battues. Mais cette dernière probabilité n'était percevable que pour le pouvoir exécutif. Les impôts ne rapportaient pas cè que l'on en attendait; le déficit allait croissant. Les cinq-cents, avertis par des messages, s'étaient mis en mesure d'y pourvoir. Voici l'analyse d'un rapport de la commission des finances, fait le

9 pluviose, un mois avant le commencement des hostilités ; c'està-dire lorsqu'on ne doutait plus qu'elles auraient lieu au printemps.

CONSEIL DES CINQ CENTS.

Séance du 9 pluviose.

Au nom de la commission des finances, Malès soumet à la discussion un projet sur les dépenses et les recettes publiques de l'an vII.

Les dépenses de l'an vii s'élèvent à la somme de 575,000,000, non compris les 25,000,000 pour l'entretien des routes, qui seront fournis par la taxe des barrières.

Les recettes ne sont que de 525,000,000. Partant il existe un déficit de 50,000,000.

Le rapporteur prouve qu'avec des économies dans les ministères de l'intérieur, de la marine et de la guerre, avec des bonifications dans certaines perceptions établies et quelques changemens dans la législation relative aux frais de procédure tombant à la charge de la République, on peut espérer de diminuer de moitié ce déficit.

Mais où trouver les 25,000,000 qui nous manquent? Le rapporteur passe en revue onze espèces d'impôts, qui furent proposés dans le conseil, lors de la discussion à la suite de laquelle on rejeta celui du sel.

Il prouve, 1o que l'impôt sur la fabrication du papier, le timbre sur les étoffes et les toiles, et sur les chapeaux, aurait pour but d'anéantir ces manufactures, sans profit pour le trésor public.

2o Que l'impôt sur les glaces ne rendrait rien, si on le percevait à la vente, et qu'il donnerait lieu à des visites domiciliaires si on voulait en faire une taxe sur les possesseurs.

5° Que l'impôt sur les amidons serait de bonne nature s'il n'exigeait, comme celui sur les glaces, une armée de commis-visiteurs, et s'il pouvait être productif en France, quand la mode y a voulu que ce ne fût ni le plus grand nombre, ni les plus riches, qui fissert usage de la poudre à poudrer.

4°. Que l'impôt sur les chiens de chasse, de salon et de compagnie, produirait une abondante moisson de ridicule.

5o Que doubler la taxe d'entretien des routes pour les étrangers serait impolitique, dans un moment où l'on cherche à les réattirer en France.

6o Que doubler, pour les célibataires et veufs sans enfans, les contributions foncière, mobiliaire et personnelle, serait un acte d'oppression que la Constitution condamne, et que la raison d'état réprouve.

7° Que tripler la taxe sur les domestiques serait outrer la mesure, et s'exposer à des non-valeurs sur la contribution somptuaire.

8° Que le droit de timbre sur les cartes de sûreté amènerait · l'obligation pour tout individu, dans toutes les communes, d'en prendre une; cet impôt serait une mesure dirigée contre la République.

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9° Qu'ouvrir un emprunt forcé sur les fortunes qu'on appelle colossales, faites pendant la révolution, et déterminer le maximum du fruit possible d'une honnête industrie, sont des mesures destructives de tout ordre social; il suffit, dit l'orateur, d'en avoir rappelé la proposition au conseil, dans les propres termes dans lesquels elle a été faite, pour exciter en vous de tristes souvenirs.

Le rapporteur propose donc de chercher les 25,000,000 qui manquent, 1o dans la rectification du tarif des douanés et de la loi de l'impôt sur le tabac, ce qui produira 5,000,000; 20 dans une taxe sur le sel pris à l'extraction, à raison de cinq centimes par livre, ce qui rendra 20,000,000.

-La proposition d'un impôt sur le sel éprouva une vive opposition, dans laquelle Lucien Bonaparte se fit encore remarquer. · Après plusieurs séances de débats orageux, la majorité, déterminée sans doute par la nécessité des circonstances vota le prin ipė (17 pluviose); mais le conseil des anciens rejeta la resolution le 4 ventose. Ainsi l'embarras des finances n'était pas diminué; il restait tout entier.

Que devait penser le public de ces demandes iteratives de fon

et des refus également répétés du conseil des anciens? il devait croire que l'opposition voulait forcer le directoire à des économies, et que le déficit n'existait que par suite de l'excessive profusion qui régnait dans le ministère. Il porta ces sentimens dans les élections; elles avaient en effet lieu dans ce moment; et, malgré les proclamations des directeurs, malgré les longs articles contre les royalistes et les anarchistes, qu'ils avaient fait insérer en leur faveur dans les journaux, le public choisit en général ses députés parmi des hommes indépendans; il évita avec soin de ⚫ donner lieu aux prétextes dont on s'était servi déjà deux fois pour mutiler la députation. Il n'y eut que quatre sessions dans vingt-huit départemens. Un message transmit ce résultat aux cinq-cents le 3 floréal. Le corps législatif lui-même se comporta cette fois d'une manière constitutionnelle; car il sentait le besoin de se renforcer, et de s'assurer l'opinion que le pouvoir exécutif s'était complétement aliénée. Les choix de la majorité, soit qu'elle se fût ou ne se fût pas conformée aux lois, furent approuvés. Et dans le nombre des élus le directoire ne put compter que bien peu d'amis.

En effet, les mauvaises nouvelles commençaient à arriver. On apprenait que le mouvement offensif de Jourdan n'avait pas réussi; ce général avait perdu le 25 mars (premiers jours de germinal) la bataille de Stockach, et avait, par suite, été obligé de repasser le Rhin; il n'y avait aucun reproche à lui adresser, non plus qu'à son armée. Il avait suivi fidèlement ses instructions; ses troupes écrasées par le nombre, et par des réserves qui renouvelaient incessamment le combat, avaient rendu longtemps la victoire douteuse, et s'étaient encore retirées en bon ordre. On n'ignorait plus rien de ces choses dans les conseils, Car Jourdan avait donné sa démission, remis le commandement à Masséna, et il était de retour à Paris, prêt à accuser le directoire.

Il est probable que l'orage que le pouvoir exécutif accumulait contre lui eût éclaté de suite, si un événement désastreux ne fût venu détourner l'attention. Le 16 floréal on apprit que nos ministres plénipotentiaires avaient été assassinés à Rastadt. Cet

effroyable attentat contre le droit des gens excita une colère unanime dans les conseils et dans le public. Le directoire en profita pour obtenir des fonds. Cependant les projets d'attaque n'étaient pas abandonnés par tout le monde; il en était encore menacé. On en trouve la preuve dans un rapport de Génissieux, fait le 23 floréal, au nom de la commission des finances des cinqcents. Le rapporteur commençait par établir que le déficit était de 117,000,000.

< Si le montant du déficit, continuait-il, est problématique, l'augmentation des dépenses inopinées de la guerre ne l'est > pas. Il faut repousser les efforts d'une coalition nouvelle; il faut › tirer une vengeance éclatante de l'attentat commis à Rastadt; › il faut surtout réparer les suites funestes des marchés scanda‣ leux du ministre Schérer et les désordres auxquels ils ont donné > lieu au-dedans comme au-dehors de la République.

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Ces dés» ordres étaient poussés à tel point que, lorsqu'on a commencé la guerre, on n'a pas trouvé dans nos armées le nombre › d'hommes dont la solde avait été exactement acquittée, ni › celui des chevaux dont le prix avait été soldé. Telles sont les > dilapidations dont il faut tarir la source, prévenir le retour et › réparer les maux: Hommes ennemis de la République, vous ⚫ espériez que la vue de ces désordres allumerait des haines, » et opérerait des scissions entre les pouvoirs; vos projets seront › déçus. L'union la plus intime règne entre les autorités consti› tuées. Les revers, loin d'abattre, ne servent qu'à enflammer le › courage des républicains.

Il y avait beaucoup de gens qui ne pouvaient croire à un attentat du droit des gens pareil à celui que venait de commettre l'empereur. Les royalistes surtout ne pouvaient accepter cette pensée. Ils aimaient mieux l'attribuer au machiavélisme du directoire, et celui-ci en fut en effet formellement accusé dans des brochures. Les causes de cet événement restèrent longtemps un problème qui a été éclairci par la suite. Nous copions à cet égard la relation du général Jomini.

En entrant en Souabe, Jourdan avait déclaré Rastadt ville

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