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tuaient une apparence qui était plus que toute autre chose propre à faire tomber le public dans une erreur qui lui était chère; c'est que le gouvernement représentatif était encore une réalité.

Les nouvelles lois sur l'organisation des préfectures, du système judiciaire et de la police mirent, au reste, à la disposition des consuls, un grand nombre de belles places, et par suite les moyens de s'assurer un grand nombre de partisans, et de créer au gouvernement un parti considérable, presque aussi nombreux et non moins influent que l'avait été celui des clubs à une autre époque.

Le nouveau pouvoir inspirait déjà une sécurité telle que l'on voyait apparaître les signes qui sont les indications les plus évidentes de la confiance des particuliers dans la stabilité d'un système politique. Le crédit renaissait; le taux des rentes sur l'état s'élevait à la bourse; le tiers consolidé était monté de 6 francs à 23 et 24 francs. Enfin, une association de banquiers s'était formée, et donnait naissance à la Banque de France. Le fonds capital était de trente millions, divisé en trente mille actions. Les opérations devaient consister à escompter des lettres de change, à se charger des recouvremens d'effets, à recevoir en compte courant sous dépôts et consignations, à émettre des billets aur porteur et à vue, et enfin à ouvrir une caisse de placemens et d'épargnes. C'était une entreprise particulière complétement indépendante du gouvernement, mais qui pouvait lui rendre de grands services. Aussi l'avait-il favorisée de toutes ses forces. Par arrêté du 23 nivose, il avait fait verser, pour prix de cinq mille actions, cinq millions qui furent inscrits au nom de la caisse d'amortissement; et, le 6 ventose an vn, lorsque les régens et les censeurs de la banque vinrent présenter leurs statuts aux consuls, ils fu rent accueillis par Bonaparte avec un intérêt tout spécial. Il leur promit protection et secours. En effet, le 15 ventose, par un arrêté il fut ordonné de verser à la banque les fonds déposés à la caisse des réserves de la loterie nationale pour la garantie des lots. Le 16 germinal suivant, la banque fut chargée du recouvrement des sommes à verser par les receveurs de la loterie;

enfin elle fut chargée, le 23 thermidor an VIII, de payer le second semestre des rentes et pensions. qui eut lieu, à compter de ce moment, en numéraire.

Pendant qu'ils cherchaient à reconstituer le crédit, les consuls préparaient la guerre : ils avaient prouvé, par des démarches publiques, qu'ils voulaient la paix, ce fut avec la même publicité qu'ils se préparèrent à pousser la guerre avec une nouvelle vigueur.

Le 17 ventose an vini (8 mars 1800), ils signèrent la proclamation suivante, qui fut de suite communiquée au tribunat et au corps législatif :

Les consuls de la République aux Français.

» Français, vous désirez la paix. Votre gouvernement la désire avec plus d'ardeur encore: ses premiers vœux, ses démarches constantes ont été pour elle. Le ministère anglais la repousse ; le ministère anglais a trahi le secret de son horrible politique. Dẻchirer la France, détruire sa marine et ses ports, l'effacer du tableau de l'Europe ou l'abaisser au rang des puissances secondaires; tenir toutes les nations du continent divisées pour s'emparer du commerce de toutes, et s'enrichir de leurs dépouilles, c'est pour obtenir ces affreux succès que l'Angleterre répand l'or, prodigue les promesses et multiplie les intrigues.

⚫ Mais ni l'or, ni les promesses, ni les intrigues de l'Angleterre n'enchaîneront à ses vues les puissances du continent: elles ont entendu le vœu de la France; elles connaissent la modération des principes qui la dirigent; elles écouteront la voix de l'humanité et la voix puissante de leur intérêt.

› Si elles balancent, le gouvernement, qui n'a pas craint d'offrir et de solliciter la paix, se souviendra que c'est à vous de la commander.

› Pour la commander il faut de l'argent, du fer et des soldats. Que tous s'empressent de payer le tribut qu'ils doivent à la défense commune! Que les jeunes citoyens se lèvent! Ce n'est plus pour des factions, ce n'est plus pour le choix des tyrans qu'ils

vont s'armer: c'est pour la garantie de ce qu'ils ont de plus cher; c'est pour l'honneur de la France, c'est pour les intérêts sacrés de l'humanité. Déjà les armées ont repris cette attitude, présage de la victoire. A leur aspect, à l'aspect de la nation entière réunie dans les mêmes intérêts et dans les mêmes voeux, n'en doutez pas, Français, vous n'aurez plus d'ennemis sur le continent! Que si quelque puissance encore veut tenter le sort des combats, le premier consul a promis la paix; il ira la conquérir à la tête de ses guerriers qu'il a plus d'une fois conduits à la victoire. Avec eux il saura retrouver ces champs encore pleins du souvenir de leurs exploits; mais au milieu des batailles il invoquera la paix, et il jure de ne combattre que pour le bonheur de la France et le repos du monde. »

Le corps législatif répondit le même jour, 17, à cette proclamation en votant que « tous les Français qui ont terminé leur vingtième année au premier vendémiaire dernier sont à la disposition du gouvernement, pour être mis en activité de service à mesure que les besoins de l'armée le requerront. › — De leur côté les consuls avaient joint à leur proclamation un arrêté qui contenait toutes les mesures qui étaient dans les limites de leur autorité constitutionnelle, savoir: « Il sera créé une armée de réserve forte de soixante mille hommes. Elle sera directement commandée en chef par le premier consul. Les conscrits de première classe fourniront provisoirement un détachement de trente mille hommes. - Les anciens soldats qui auraient obtenu leur congé ; ceux qui même, faisant partie des compagnies de vétérans, sont encore en état de faire la campagne, les réquisitionnaires et les conscrits, tous sont sommés, au nom de l'honneur, ou de rejoindre leurs drapeaux, ou, s'ils ne sont attachés à aucun corps, de se rendre au quartier général de l'armée de réserve, à Dijon. Le premier consul les passera en revue dans le courant de germinal. Les citoyens français autres que ceux ci-dessus dénommés, qui dans cette circonstance extraordinaire voudront accompagner le premier consul, et participer aux périls et à la gloire de la campagne, se feront inscrire chez les préfets et sous-pré

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fets. Ils seront formés en bataillons volontaires. Le département qui, à la fin de germinal, aura payé la plus forte partie de ses contributions sera proclamé comme ayant bien mérité de la patrie. Son nom sera donné à la principale place de Paris. ».

C'était, disait la proclamation, pour commander la paix que l'on allait activer la guerre. Ces paroles furent commentées dans le tribunat; l'on y décida que l'on enverrait une députation au premier consul pour lui exprimer le vœu qu'il revînt vainqueur et pacificateur. Le sénat et le corps législatif prirent une délibération par laquelle ils s'unirent de sentimens à la démarche du tribunat. Ce premier éclat d'enthousiasme guerrier ne dura que quelques jours; l'étranger put croire qu'il ne serait point suivi d'effet, et aussi il resta dans une sécurité complète. Cependant un corps d'armée se réunissait à Dijon ; il était peu nombreux ; mais il détournait l'attention d'un rassemblement plus considérable qui avait lieu dans les environs de Genève. Celui-ci échappa complétement à l'espionnage de l'étranger, tellement que Mélas, qui en ce moment menaçait Gênes, ignorait qu'il eût si près de lui une armée nouvelle, et pensait que le camp même de Dijon n'était qu'une démonstration nullement redoutable. On le crut d'autant plus que, le 12 germinal, Bonaparte, renonçant au commandement de cette réserve, en nomma Berthier général en chef. A cette occasion Carnot fut appelé à prendre le portefeuille de la guerre, que quittait Berthier.

Bonaparte sentait que, pour asseoir sa position politique, il lui fallait un succès extraordinaire. Il avait choisi l'Italie, le premier théâtre de sa gloire. Il avait résolu en conséquence de tromper son ennemi avant de le vaincre; il voulait couper sa ligne de communication en s'emparant de Milan, de manière à se placer entre les états de l'empereur et l'armée autrichienne, qui était alors, sous les ordres de Mélas, dans le pays de Gênes, de manière que s'il était vainqueur de cette armée, elle n'eût point de voie de retraite, et tombât tout entière en son pouvoir. En se réservant la tâche de conduire cette opération brillante, le premier consul donna à Moreau le soin de la guerre d'Allemagne.

Bonaparte quitta Paris à l'improviste le 16 floréal (6 mai). Vingt-cinq jours après il passait en revue l'armée de réserve de Dijon ; le 18 floréal (8 mai) il était à Genève et donnait l'ordre de se mettre en mouvement à l'armée réunie autour de cette ville, et qui était forte de plus de trente-cinq mille hommes. En conséquence, ce corps, dont Lannes commandait l'avant-garde, se mit à gravir le grand Saint-Bernard, pendant que Moncey conduisait un autre corps par le Saint-Gothard et le Simplon, et que deux divisions de droite marchalent par le Mont-Genèvre, le Mont-Cenis et le petit Saint-Bernard. La totalité de ces forces formait un ensemble qui n'était pas au-dessous de soixante mille hommes. On ne comprend pas comment une pareille masse avait pu être réunie à l'insu des Autrichiens; c'est certainement l'un des faits les plus curieux du temps.

Le passage d'un corps d'armée de trente-cinq mille hommes par le grand Saint-Bernard est encore et doit être considéré comme l'un des plus beaux mouvemens militaires.. Cependant il faut faire remarquer qu'il n'était pas alors aussi extraordinaire qu'il le paraît aujourd'hui. Les soldats de cette armée avaient été habitués à des marches plus difficiles encore dans la campagne de Suisse.

Quoi qu'il en soit, l'avant-garde commandée par Lannes, composée de six vieux régimens habitués à la guerre de montagne, se mit en mouvement. Nous allons la suivre en Italie; car bien que l'espace nous commande d'être fort réservés sur la relation des faits militaires, nous croyons ne pouvoir nous dispenser de donner une idée de cette campagne rapide, qui assura la fortune de Napoléon Bonaparte. Nous en empruntons le récit abrégé à l'Histoire des guerres de la révolution, déjà citée. Nous nous bornerons à rectifier quelques dates.

Les trente-cinq mille hommes formant le centre s'entassèrent rapidement dans le Valais. Lannes, ouvrant la marche, s'engagea au sortir de Saint-Pierre dans le sentier glacé qui conduit au sommet de la montagne. On avait démonté les voitures des convois; les soldats s'attelèrent gaîment aux traîneaux qui les trans

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