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En effet, la république parthénopéenne était à peine organisée dans sa capitale, que déjà la guerre contre l'Autriche n'était plus douteuse. Le congrès de Rastadt continuait encore que les armées étaient en présence.

L'imprévoyance du directoire apparut en cette occasion de manière à frapper tous les yeux. Les forces de la coalition étaient réunies sous deux commandemens; celui d'Allemagne et celui d'Italie. L'archiduc était à la tête de l'armée d'Allemagne, qui · occupait déjà la Bavière, les Grisons et le Tyrol. L'effectif réuni sous ses ordres dans ces divers points était, d'après Jomini, de cent cinquante-sept mille hommes. L'armée d'Italie était forte de quatre-vingt-cinq mille Autrichiens; et elle allait être renforcée par soixante mille Russes, qui arrivaient à marches forcées. Suwarow devait en prendre le commandement. Qu'opposait le directoire à ces masses bien organisées et bien équipées? Du côté de l'Allemagne, il avait formé trois corps d'armée, trois commandemens. Bernadotte avait un corps d'armée de huit mille hommes à Mayence, avec lequel il avait ordre de passer le Rhin et d'envahir l'Allemagne pour détourner sur lui une partie des forces du prince Charles. Jourdan avait sous ses ordres, entre Strasbourg et Bâle, trente-huit mille neuf cent quatre-vingt-quatorze hommes, avec lesquels il avait ordre de prendre l'offensive. Masséna en Suisse était chargé de pousser les Autrichiens. Il devait avoir trente mille hommes; mais l'effectif des troupes sous ses ordres était loin de monter à ce nombre. Ainsi soixante-seize mille hommes étaient chargés d'en vaincre cent cinquante-sept mille, et encore dans des contrées dont une partie était fort mal disposée. Ils avaient en outre un désavantage considérable à la guerre ; ils étaient dispersés sous trois généraux différens, et ils allaient attaquer un ennemi massé sous un seul chef. L'archiduc était vis à vis d'eux dans la position avantageuse où se trouvait précisément Bonaparte, dans sa première campagne d'Italie, lorsqu'il attaqua les Autrichiens et les Piémontais séparés sous divers généraux. En Italie notre situation était peut-être moins bonne encore que du côté de l'Allemagne. On y comptait, il est vrai, selon Jomini, çent seize

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mille Français; mais l'effectif réel était bien au-dessous de ce nombre encore nos soldats étaient-ils dispersés pour garder le pays.Trente mille sous Macdonald occupaient la république de Naples et maintenaient de nombreuses populations prêtes à s'insurger; même situation dans les états romains, en Toscane et en Piémont; il avait fallu laisser des garnisons dans les places fortes, à Ancône, à Mantoue, à Milan, à Alexandrie, dans les états de Gènes, etc.; enfin il ne fut possible de réunir que quarante-trois mille hommes sur l'Adige sous les ordres de Scherer. Il faut ajouter que toutes ces troupes n'étaient point dans le meilleur état; leur artillerie n'était pas assez nombreuse; la cavalerie avait de mauvais chevaux ; on voyait à leur aspect que les agens du directoire avaient spéculé sur leur entretien.

Ce ne fut qu'après les défaites des armées, que le public connut parfaitement tous ces détails accusateurs; car les journaux étaient maintenus dans une sorte de mutisme, par la crainte de la police. Mais on n'était pas aussi mal instruit dans les conseils.

Cependant Bernadotte et Jourdan passèrent le Rhin le même jour, le 1er mars 1798 (7, 9 ventose an vi). Ainsi les hostilités commencèrent lorsque les plénipotentiaires de Rastadt étaient encore réunis, et avant que les conseils eussent reçu la déclaration officielle de la guerre. Ce ne fut que le 22 ventose, que le conseil fut instruit par le message suivant :

Message au conseil des cinq-cents, du 22 ventose an vII.

› Citoyens représentans, quelle que soit la grandeur des événemens qui ont eu lieu depuis la conclusion du traité de CampoFormio, on a présent encore le souvenir de ceux qui l'avaient précédé. On n'a point oublié que ce fut après cinq années de triomphes, et au moment où les armées françaises n'étaient plus qu'à trente lieues de Vienne, que la République consentit à suspendre le cours de ses victoires, et préféra au succès de quelques derniers efforts, le rétablissement immédiat de la paix. On se rappelle que, lorsque le traité fut connu, la modération du vainqueur parut si grande qu'elle eut en quelque sorte besoin d'apologie.

› Aurait-on prévu que ce pacte, où la force s'était montrée si indulgente, où la plus libérale compensation devait étouffer tout regret, loin d'obtenir la stabilité qui lui paraissait promise, ne serait même, dès son principe, que le gage imposteur d'une réconciliation éphémère, et que les atteintes subites' qui lui seraient portées émaneraient toutes de la puissance qui lui devait l'ample dédommagement des pertes qu'elle avait éprouvées par la guerre?

Quel contraste, en effet, étrange et soutenu! Tandis que la République apporte un soin constant à remplir chaque stipulation d'un traité qui n'est en proportion, ni avec ses succès, ni avec ce qu'elle pouvait tirer de vengeance légitime des plans de destruction formés et poursuivis contre elle, l'Autriche, au lieu de se montrer satisfaite d'un rapprochement qui lui a épargné les plus grands malheurs, ne paraît occupée qu'à détériorer, qu'à détruire le pacte qui a fait son salut.

› Parmi les violations du traité que cette puissance s'est permises, quelques-unes ont été si manifestes qu'elles ont déjà excité l'étonnement de l'Europe, et l'indignation des républicains; d'autres, moins publiques ou moins aperçues, n'ont pas été cependant moins hostiles, et le directoire exécutif ne peut pas différer davantage à retracer au corps législatif les circonstances de la conduite du cabinet autrichien, conduite vraiment offensive, attentatoire à l'état de paix, et qu'aucun effort, aucun exemple n'ont pu ramener à l'observation des engagemens contractés.

A l'époque même où le traité de Campo-Formio fut conclu, il avait été réciproquement stipulé, par un acte additionnel au traité, que toute la partie du territoire germanique qui s'étend depuis le Tyrol et la frontière des états autrichiens, jusqu'à la rive gauche du Mein, serait évacuée à la fois par les troupes françaises et par celles de l'empereur, ainsi que par celles de l'empire qui étaient à la solde de ce prince, sauf la position de Kell, qui devait rester à la République. Une convention encore plus particulière, conclue et signée à Rastadt le 11 frimaire, an vi, renouvela cet engagement, et marqua un terme fixe pour son exécution.

› De la part de la République, cette exécution a été prompte et entière.

› De la part de l'Autriche, elle a été différée, éludée, et n'est point encore obtenue.

› Dans Philisbourg, l'empereur a conservé une garnison et des. approvisionnemens qui sont à lui, malgré la simulation qui les

couvre.

› Dans Ulm, dans Ingolstadt, il n'a point cessé de tenir des troupes et un état-major disposé à en recevoir davantage.

> Toutes les places de Bavière sont demeurées à sa disposition; et loin qu'aux termes du traité, ce duché ait été jamais évacué, nous voyons qu'il renferme aujourd'hui cent mille Autrichiens destinés à la fois à la reprise des hostilités contre la République, et à l'envahissement d'un pays depuis si long-temps convoité par la cour de Vienne.

› Si cette cour avait eu jamais l'intention de se montrer fidèle à son traité, le premier effet de cette disposition eût été sans doute de presser le rétablissement simultané des légations respectives; mais bien loin que l'Autriche ait voulu prendre aucune Initiative à cet égard, quel a été l'étonnement du directoire exécutif, lorsqu'il fut instruit que l'on regardait à Vienne les plénipotentiaires envoyés de part et d'autre au congrès de Rastadt, comme suffisant à l'entretien des communications entre les deux états, et le traité de Campo-Formio, comme ayant besoin de recevoir, par le traité avec l'empire, des développemens ultérieurs, avant que les relations habituelles d'une parfaite intelligence fussent entièrement rétablies! Une interprétation si froide donnée au traité, un éloignement si formel pour ce qui tendait à en développer les résultats, ne présageaient point qu'il dût être long-temps respecté.

› Sur ces entrefaites, un gouvernement dont l'existence attestait aussi la modération de la République osa provoquer de nouveau sa vengeance par le plus affreux des attentats. Le sacerdoce expia son crime, et Rome acquit la liberté; mais le directoire exécutif, prévoyant qu'on ne manquerait pas de jeter l'alarme à la

cour impériale, et de donner aux plus justes représailles, l'aspect d'une agression ambitieuse, jugea à propos d'écarter toutes les considérations d'étiquette qui auraient pude retenir, et d'envoyer à Vienne le citoyen Bernadotte, comme ambassadeur de la Répu⚫ blique française, chargé d'y faire entendre que la destruction du gouvernement pontifical à Rome ne changerait rien à la délimitation des états d'Italie; que les républiques déjà existantes et reconnues ne s'accroîtraient d'aucune partie du territoire romain, ce qui laissait dans toute son intégrité le traité de Campo-Formio, puisqu'en fixant l'étendue de la république cisalpine, il n'avait pu prévoir ni empêcher, quant à leurs résultats, les événemens qui pouvaient changer la forme des autres états d'Italie, pour le fait de leurs propres agressions.

› Cependant, l'ambassadeur de la République ne fut accueilli à la cour de Vienne qu'avec froideur. Ce témoignage du plus loyal empressement, cet envoi d'un agent revêtu du caractère le plus auguste, demeura sans réciprocité, et bientôt un événement, moins injurieux encore par les circonstances qui l'ont accompagné, que par l'impunité qu'il a obtenue, manifesta les sentimens secrets de la cour de Vienne.

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Si, à la première nouvelle de cet attentat, le directoire exécutif n'eût pas été fondé à n'y connaître que l'œuvre de deux cours acharnées à rallumer la guerre şur le continent, s'il eût pu croire que l'empereur avait connu le complot tramé sous ses yeux, il n'eût pas hésité un moment à provoquer la vengeance nationale contre une violation si outrageante de l'état de paix et du droit des gens, si religieusement respectés par la République, au milieu même des plus violens orages de la révolution.

› Mais il était possible que les cabinets de Pétersbourg et de Londres eussent préparé et dirigé par leurs agens un tumulte que l'empereur n'aurait connu ni approuvé. Les expressions de regret portées dans le premier moment à l'ambassadeur de la République, par M. de Collorédo, l'envoi annoncé de M. Degelmann, à Paris, étaient des motifs pour penser que la cour impériale s'empresserait de poursuivre et de punir un attentat dont elle recon

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