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de la République; par l'amiral espagnol Massaredo, à la liberté des

mers.

Il n'y eut point de toast à la Constitution de l'an ut dont les meneurs méditaient et préparaient le renversement.

Je n'entrerai pas ici dans les détails de la séance dans laquelle le conseil des anciens rendit, le 18 brumaire, le décret par lequel il ordonna la translation des deux conseils législatifs et du directoire exécutif dans la commune de Saint-Cloud. Je ne retracerai pas non plus les détails des séances des deux conseils du 19 brumaire. Ils sont assez fidèlement rapportés dans le recueil parlementaire (fait par Lallement) publié par Alexis Eymery sous le titre de Choix de rapports, opinions, discours, etc.

Je me bornerai à faire remarquer que la Constitution produite par cette révolution fut exactement la même que Siéyès avait proposée, et que la Convention nationale avait rejetée le 2 thermidor an 111.

Dans la Constitution de l'an vIII, on trouve en effet l'institution-d'un tribunat qui parlait; — d'un corps législatif muet; et d'un jury constitutionnaire qui, sous le titre de sénat conservateur, détruisit pièce à pièce l'édifice qu'il devait conserver, et désorganisa tout par des sénatus-consultes dérisoirement qualifiés organiques.

Ainsi se trouva justifié le mot de ce député qui, dans la séance du 2 thermidor an I, pour caractériser l'orgueil et la ténacité de Siéyès, me disait que si d'un projet par lui proposé, l'on retranchait une virgule, il ferait une révolution pour faire rétablir la virgule.

C'est donc pour satisfaire sa vanité et son orgueil que Siéyès prépara et réalisa le renversement de la Constitution républicaine de l'an III.

C'est pour faire triompher son système et son opinion qu'il employa la force des armes pour dissoudre la représentation nationale.

Sous ce rapport, sa vanité pouvait être satisfaite; mais son avarice ne l'était pas. Il voulait avoir une haute récompense na

tionale. En conséquence, ses collègues les consuls provisoires, Bonaparte et Roger-Ducos, adressèrent à la commission législative du conseil des cinq-cents, réduite à vingt-cinq membres, un message par lequel ils firent la proposition de décerner à Siéyès la propriété de l'un des domaines qui étaient à la disposition de l'état. Sur cette proposition la commission législative du conseil des cinq-cents rendit, dans sa séance du 30 frimaire an viii, une résolution qui, le lendemain 1er nivose, fut adoptée et convertie en loi par la commission législative du conseil des anciens aussi réduite à vingt-cinq membres. Par cette loi, on décerna à Siéyès la propriété du domaine de Crosne, département de Seine et Oise, ou tout autre équivalent.

En appelant à son secours le général Bonaparte, Siéyès avait cru se donner un instrument facile à manier, un auxiliaire subordonné et docile. Dans la séance du conseil des anciens, le 19 brumaire à Saint-Cloud, le général Bonaparte voulant dissiper les doutes qui s'élevaient déjà sur la pureté de ses intentions, chercha à calmer les inquiétudes et s'exprima ainsi : « On parle de César, on parle de Cromwel, on m'abreuve de calomnies. Eh bien ! je déclare que, ceci fini, je ne serai plus rien dans la République que le bras qui soutiendra ce que vous aurez établi.»

L'illusion fut bientôt dissipée. Dès le lendemain de la journée de Saint-Cloud l'on vit bien que le géneral voulait être non-seulement le bras, mais encore la tête du nouvel ordre de choses. Dès le lendemain, ceux qui l'avaient appelé virent bien qu'ils avaient un maître. C'est avec raison que la journée de SaintCloud fut appelée la Journée des dupes.

Dans les diverses crises politiques qui, dans le cours de notre révolution, amenèrent des luttes violentes entre les divers partis qui se formèrent dans le sein des assemblées nationales, le parti vainque abusa souvent de ses triomphes pour dénaturer les faits, en supposer de faux, tronquer et mutiler les discours des orateurs du parti vaincu. C'est ainsi qu'au 19 brumaire Lucien Bonaparte et ses complices abusèrent de la victoire qu'ils durent à la force des armes pour supposer la fable du coup de poignard

dont la fausseté est aujourd'hui bien reconnue et avérée; c'est ainsi qu'ils abusèrent de l'influence et de l'autorité que leur donna leur coupable victoire, pour contraindre les journalistes à supprimer, à tronquer ou à travestir les paroles et les discours des représentans fidèles ; c'est par suite de cette tactique qu'ils falsifièrent les miens.

Il est bien réconnu, dans tous les monumens historiques qui retracent l'histoire de notre révolution, que dans la séance du 19 brumaire à Saint-Cloud, ce fut moi qui, le premier, donnai le signal de la vigoureuse résistance que le conseil des cinq-cents opposa aux projets du Cromwel français; mais dans ces monumens historiques mes paroles sont rapportées d'une manière inexacte et incomplète.

C'est ainsi que dans l'histoire de la révolution française par M. Thiers, tome 10, page 517, l'auteur, rendant compte de la séance du 19 brumaire, me fait dire ces mots décousus et détachés : la Constitution ou la mort!..... Les baionnettes ne nous effraient pas!..... Nous sommes libres ici. On voit l'historien remplace par une série de points les parties de mon discours qu'il ne rapporte pas......

que

Voici mon premier discours tel que je le prononçai.

A l'ouverture de la séance, dans la salle de l'Orangerie, à Saint-Cloud, Émile Gaudin, dans un discours concerté entre lui et ses complices, venait de parler des dangers de la patrie, dont l'imminence avait, disait-il, déterminé le conseil des anciens à rendre le décret qui transférait à Saint-Cloud les séances des deux conseils législatifs et du directoire exécutif. A peine Gaudin eut cessé de parler, que je m'élançai à la tribune où je m'exprimai en ces termes. (Voyez plus haut ce discours, p. 201.)

Ma proposition fut unanimement adoptée aux cris de vive la République! vive la Constitution de l'an !... On procéda à l'appel nominal et tous les membres du conseil appelés individuellement l'un après l'autre prêtèrent le serment prescrit par la loi.

Les conspirateurs le prêtèrent aussi : ils n'auraient osé le refuser; mais à la pâleur, à l'effroi qui se manifestaient sur leur

visage, il nous fut facile de les distinguer et de les compter. Ils n'étaient qu'environ vingt-cinq et le conseil des cinq cents était plus complet qu'il ne l'eut jamais été.

Si dans cette crise périlleuse le conseil des cinq-cents eût possédé et exercé sans partage la puissance législative, il aurait pu prendre des mesures et rendre des décrets dont la force morale aurait déconcerté et accablé les conspirateurs et leurs satellites; mais ce conseil n'était qu'une fraction du corps législatif. Ses résolutions restaient sans force et sans autorité si elles n'étaient revêtues de la sanction du conseil des anciens et les conspirateurs avaient eu la précaution d'empêcher toute communication entre les deux conseils en les tenant séparés par de nombreux corps de troupes (1).

DELBREL, ex-conventionnel.

(1) Cette notice historique se rattache à une autre notice que j'adressai le 10 octobre 1819 à messieurs les rédacteurs de l'histoire intitulée Victoires, Conquêtes, Désastres, pour réclamer la rectification des détails de la journée du 19 brumaire an VIII, dans le tome XI, p. 250 et suivantes. Ces détails, rédigés avec, une infidélité et une partialité révoltantes, étaient offensans pour le conseil des cinq-cents, le seul corps de l'état qui eût énergiquement fait son devoir dans cette fatale circonstance. (Note de Delbrel.)

CONSULAT.

HISTOIRE DE LA CONSTITUTION DE L'AN VIII.

DU 20 BRUMAIRE AN VIII (11 NOVEMBRE 1799) AU 5 NIVOSE AN VIII (26 DÉCEMBRE 1799).

Les consuls revinrent à Paris le 20 brumaire au matin, et allèrent prendre possession du palais du directoire. A peine arrivés au Luxembourg, ils tinrent leur première séance. Il s'agissait de donner la présidence; on convint qu'elle n'appartiendrait à personne particulièrement, et que chaque jour l'un des consuls serait président à son tour (Journal de Paris, n. 53). On lit dans les Mémoires de ainte-Hélène (tome IV page 398) que cette réunion fut signalée par une scène singulière. A peine les trois consuls furent-ils seuls, que Siéyès leur montra un meuble dans lequel était contenu 800,000 francs; c'était une caisse destinée à indemniser secrètement les directeurs sortant de place. Sieyès demanda ce qu'il fallait faire de cette somme. Bonaparte feignit d'abord de ne pas comprendre; puis il dit qu'elle appartenait à Siéyès et à Ducos. En effet, ces deux ex-directeurs se la partagèrent; mais le premier prit la part du lion. Thibeaudeau (Histoire de Bonaparte) met cette anecdote en doute; il ajoute que, par un arrêté des consuls du 21 frimaire, le restant en caisse de ce fonds montant, d'après le bordereau de Lagarde, secrétaire général, et le compte-rendu de Ramel, ex-ministre des finances, à 334,615 francs, fut affecté au remboursement des avances et dépenses extraordinaires faites dans les journées des 18 et 19 brumaire. Il convient cependant que la notoriété publique est que Siéyès et Ducos se partagèrent cette somme. D'un autre côté, Gohier, dans ses mémoires, assure que Ducos lui a affirmé «qu'il

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