Page images
PDF
EPUB

ses opinions, ses sentimens, ses vœux véritables. Je puis, j'ose le dire, en parler avec plus de connaissance de cause: je vois tous les jours la classe indigente et manouvrière; je la vois, cette classe respectable, ou dans sa chaumière ou dans son quatrième étage, et je puis attester avec vérité que nulle part l'horreur des lois prétendues populaires ne se manifeste avec plus d'énergie; que nulle part il ne se forme des voeux plus ardens pour le retour à un système de justice et de sécurité; que le peuple sait bien maintenant être seul capable de faire jouir tous les citoyens de la richesse de quelques-uns, et de faire circuler l'aisance dans toutes les parties du corps social. L'état des esprits en est même au point que, si le peuple ne vous voyait prendre les moyens de faire promptement dans l'ensemble de la législation tous les changemens que son intérêt exige, le désespoir, joint aux sentimens de ses droits, que rien ne saurait plus désormais étouffer en lui, peut d'un moment à l'autre le soulever, comme en 89, d'un mouvement suivi et spontané. Mais ce mouvement, sans règle et sans but précis, ne manquerait pas de précipiter dans le même gouffre et la Constitution, et la République, et la liberté ! Il périrait bientôt sans doute le tyran qu'un aveugle enthousiasme aurait investi d'un pouvoir arbitraire; mais c'en serait fait pour toujours de la grande nation! A la suite de ces nouvelles crises révolutionnaires, il ne resterait plus personne pour relever l'édifice de la liberté; et les peuples, étonnés, en contemplant nos débris, ne rappelleraient les grandes choses que nous avons opérées depuis dix ans que pour en faire tourner les derniers résultats à notre éternelle confusion.

› Non, vous ne pouvez plus balancer; il faut que vous tiriez la République de cet état d'angoisse, ou que vous périssiez avec elle! Il faut prendre un parti décisif, et le prendre sur-lechamp.

› En consultant les besoins du peuple, en vous élevant courageusement à la hauteur de votre mission, vous vous couvrez d'une gloire impérissable; et, ce qui vaut mieux que la gloire, les bénédictions de tout ce peuple reconnaissant vous attendent;

tous les heureux souvenirs qui suivent l'accomplissement du devoir vous sont promis.

» Que si, au contraire, vous veniez à méconnaitre votre situation, si vous persistez à laisser les choses rouler au hasard dans cet état d'incertitude et de désordre qui nous conduit si rapidement à notre perte, la République et la liberté ne périraient pas seules, je le répète, vous péririez tous avec elles, tous infailliblement, tous couverts du mépris et de l'exécration des siècles !

› Consultez l'expérience des âges écoulés; interrogez les cendres des peuples libres; ou plutôt lisez dans l'avenir votre propre histoire, comme vous lisez dans les temps passés l'histoire des Grecs et des Romains; et que les leçons qu'elle vous donne pour ainsi dire d'avance ne soient pas perdues pour vous!

>> Vous serez les dignes représentans de la grande nation! Tout l'atteste; jamais le sort de la patrie fut-il remis en des mains plus dévouées?

[ocr errors]

Que votre destinée est belle et grande, législateurs! Il vous est réservé de donner la paix à l'Europe; de rendre notre République plus stable et plus calme que ne le fut jamais aucune monarchie; d'embellir cet état tranquille, si nécessaire au développement de tous les genres de prospérités, par l'enthousiasme des sentimens généreux que la liberté seule peut nourrir.

› L'assemblée constituante brisa les fers du peuple français, et proclama l'égalité; l'assemblée législative sapa tous les fondemens de la monarchie; la Convention nationale fonda la République vous aurez plus fait que toutes ces assemblées immortelles; vous aurez réalisé, étendu, consolidé tous les biens qu'elles s'étaient promis de leurs efforts.

» Je ne vous ferai point l'injure de parler du sacrifice personnel et momentané que chacun de nous pourrait voir dans la détermination que votre commission vous propose; le seul effet que j'en pusse craindre c'est qu'il ne vous la fit adopter avec trop de désintéressement et de zèle: heureux du moins que ces sentimens soient ici, ce qu'ils n'ont pas été toujours à beaucoup près, d'accord avec l'intérêt national! Mais au reste nous allons tous,

tous

individuellement, concourir à l'affermissement définitif du système républicain : répandus parmi le peuple français, nous irons y porter l'heureuse certitude que la nation va bientôt jouir enfin du prix de tant d'efforts généreux, et qu'une paix glorieuse et durable va bientôt enrichir de tous ses dons le règne de la liberté !

> J'appuie donc la proposition de votre commission spéciale; et je crois de mon devoir et de mon honneur de déclarer au peuple que si elle n'est pas adoptée, il ne reste à ses représentans courageux et fidèles qu'à fuir dans quelque retraite inconnue, en attendant que la ruine prochaine de la République les avertisse de chercher un asile plus sûr dans la tombe des Brutus et des Caton!

» Je me résume. Il est impossible que la Constitution de l'an 1, telle qu'elle est, n'entraîne point très-rapidement la ruine de la liberté, et notre état actuel la dissolution de la nation française elle-même; il est donc indispensable de faire des changemens à cette Constitution. Or ces changemens ne peuvent être faits, ét la réorganisation exécutée, qu'au moyen d'un gouvernement provisoire; et celui que votre commission vous propose me paraît non-seulement le meilleur, mais encore le seul possible dans les circonstances où nous nous trouvons.

› J'appuie le projet. »

Discours de Chabaud du Gart.

• Représentans du peuple, la sagesse et l'énergie du conseil des anciens a sauvé, il faut le dire, la République de son anéantissement, le corps social d'une dissolution prochaine et inévitable; mais si l'immortelle journée du 18 brumaire n'avait aucun résultat; si, comme celles qui la précédèrent, elle ne faisait que déplacer et replacer quelques individus; si elle ne posait enfin la liberté sur des bases inébranlables en organisant son exercice, cette divinité des ames libérales. serait perdue à jamais pour la France, pour notre patrie, qui retomberait sous le joug honteux du despotisme sacerdotal et nobiliaire, après avoir momentanément passé sous celui d'une horrible et sanglante démagogie.

› La vérité reprend ses droits; l'espérance est dans tous les cœurs: il vous appartient, citoyens représentans, de la réaliser. Vous allez être les bienfaiteurs de l'humanité : le monde vous observe; l'histoire et la postérité vous jugeront.

>> Nul homme de bonne foi ne peut défendre l'intégrité de la Constitution de l'an I depuis les violations ouvertes et peut-être nécessaires qu'elle a souffertés au 18 fructidor, au 22 floréal et depuis.

>

au

L'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété n'existent que pour quelques individus, pour quelques classes de citoyens, détriment de plusieurs autres. Il est temps qu'un tel ordre de choses cesse, et que la République une et indivisible existe de fait pour tous ses membres, comme elle existe de droit.

» Les moyens d'arriver à ce but si désirable sont tous contenus dans le projet soumis à votre discussion. Pourquoi tous les citoyens français, ne peuvent-ils faire entendre leur voix dans cette enceinte? Leurs vœux unanimes adopteraient avec transport cette mesure réparatrice des maux passés, et qui ouvre le champ aux espérances les plus libérales. Je vote pour l'adoption du projet. ›

Et le projet, immédiatement mis aux voix, est adopté sans aucune réclamation. Dans la nouvelle lecture qui en est faite on ne paraît pas s'apercevoir que l'article premier est ainsi complété :

ART. 1er. Il n'y a plus de directoire; et ne sont plus membres de la représentation nationale, pour les excès et les attentats auxquels ils se sont constamment portés, et notamment le plus grand nombre d'entre eux dans la séance de ce matin, les individus ci-après nommés:

› Joubert de l'Hérault, Jouenne, Talot, Duplantier de la Gironde, Aréna, Garau, Quirot, Leclerc-Scheppers, Brische de l'Ourthe, Poullain-Grandprey, Bertrand du Calvados, Goupilleau de Montaigu, Daubermesnil, Marquezy, Guesdon, Grandmaison, Groscassand-Dorimond, Frison, Dessaix, Bergasse-Laziroule, Montpellier, Constant des Bouches-du-Rhône, Briot, Destrem, Carrère-Lagarrière, Gorand, Legot, Blin, Boulay-Paty, Souilhé, Demoor, Bigonnet, Mentor, Boissier,

Bailly de la Haute-Garonne, Bouvier, Brichet, Honoré-Declerck, Housset, Gasting du Var, Laurent du Bas-Rhin, Beyts, Prudhon, Porte, Truck, Delbrel, Leyris, Doche - Delisle, Stevenotte, Jourdan de la Haute-Vienne, Lesage-Senault, Chalmel, André du Bas-Rhin, Dimartinelli, Collombel de la Meurthe, Philippe, Moreau de l'Yonne, Jourdain d'Ille-etVilaine, Letourneux, Citadella, Bordas. ›

(Pour la suite des articles, en tout conformes au projet, voyez plus haut Chazal.)

Cabanis pense qu'il est nécessaire d'accompagner cette résolution d'une adresse aux Français; il en a rédigé le projet, il le propose, et l'assemblée l'adopte.

Adresse du corps législatif au peuple français.

Du 19 brumaire an 8 de la République.

• Français, la République vient encore une fois d'échapper aux fureurs des factieux! Vos fidèles représentans ont brisé le poignard dans ces mains parricides. Mais après avoir détourné les coups dont vous étiez immédiatement menacés, ils ont senti qu'il fallait enfin prévenir pour toujours ces éternelles agitations; et, ne prenant conseil que de leur devoir et de leur courage, ils osent dire qu'ils se sont montrés dignes de vous.

› Français, votre liberté, toute déchirée et toute sanglante encore des atteintes du gouvernement révolutionnaire, venait de trouver un asile dans les bras d'une constitution qui lui promettait du moins quelque repos. Le besoin de ce repos était alors généralement senti; il restait dans toutes les ames une terreur profonde des crises dont vous sortiez à peine; votre gloire militaire pouvait effacer les plus gigantesques souvenirs de l'antiquité; dans l'étonnement et l'admiration, les peuples de l'Europe tressaillaient de votre gloire et bénissaient secrètement le but de tous vos exploits; vos ennemis vous demandaient la paix; "tout en un mot semblait se réunir pour vous assurer enfin la jouissance tranquille de la liberté et du bonheur; le bonheur, et la

« PreviousContinue »