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rent pas de suite. L'initiative, en fait de diplomatie, n'appartenait pas à la législature. Les directeurs lui répondirent dans les journaux et chassèrent de Paris le représentant de l'ex-directoire milanais, le général Lahoz. Les armées de la République retrouvèrent bientôt celui-ci à la tête des paysans insurgés dans les états de Venise; mais n'anticipons pas sur les événemens. Le directoire semait par cette politique des germes de mécontentement, des doutes et de l'insécurité dans les contrées qui protégeaient nos frontières. Il s'était aussi débarrassé du prince qui régnait à Turin; il avait provoqué une révolution en Piémont, et par suite forcé le roi de cette province à se retirer dans son île de Sardaigne. De cette manière encore il avait créé dans cette contrée deux partis dont l'un agissait activement contre l'influence et l'autorité de la France. Au lieu d'y compter seulement des amis, il s'y était fait des ennemis. Enfin l'inoffensif duc de Toscane . n'était pas lui-même tranquille; il était sous le coup d'un mouement militaire. On trouverait cette conduite moins imprudente si les directeurs avaient été assurés de la paix, s'ils n'avaient pas eu des ennemis prêts à profiter de leurs fautes et à saisir toutes les voies de guerre qu'il leur ouvrait. Cependant le cabinet du Luxembourg ne pouvait ignorer que ses armées seules lui donnaient l'autorité dont il usait; il savait que dans la plus grande partie des contrées qu'il administrait ainsi, la très-grande majorité des populations lui était opposée; que dans les contrées même les plus attachées au nouvel ordre de choses, la moitié au moins de la population était absolument hostile; il savait que la présence seule de ses armées maintenait une apparence de soumission, et que ces armées étaient trop faibles pour contenir tant d'ennemis, si elles venaient à être détournées de ce soin par une attaque sérieuse. Or, cette attaque allait avoir lieu, et ce furent les entreprises mêmes dont nous venons de parler, qui en furent .la cause. Ainsi, en même temps qu'il donnait à l'Autriche et à l'Europe un nouyeau motif, il se créait à lui-même des difficultés militaires, soit en agrandissant le terrain de la guerre par la conquête de l'Italie, soit en diminuant ses forces disponibles par la

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dispersion des corps destinés à garder tant de contrées où ses violences lui avaient fait des ennemis.

L'Autriche avait depuis longtemps déjà adressé au gouvernement français des observations sur ses envahissemens successifs. Cela fut l'objet d'une conférence, qui eut lieu au commencement de prairial, an vi, à Seltz, entre le ministre Cobentzel pour l'empereur, et François de Neufchâteau pour la République. Il y fut question des indemnités que l'Autriche réclamait en compensation des extensions de la France sur ses contrées. On y traita du partage de l'Italie, de diverses indemnités en Allemagne; mais les deux puissances ne purent s'entendre et la conférence fut rompue; on ignora alors complétement dans le public quelle avait été la nature de ces négociations. On pensa généralement qu'elles avaient eu pour but de s'expliquer sur l'insulte éprouvée par Bernadotte à Vienne. La députation des princes de l'empire, pas plus que les plénipotentiaires français réunis à Rastadt, n'en surent, à cet égard, plus que le public. Mais le directoire, mieux instruit, devait dès ce moment savoir que le congrès de Rastadt n'était plus qu'une ridicule comédie, puisque la puissance principale, l'Autriche, n'y prenait plus part qu'afin de conserver, tant qu'il y aurait nécessité pour elle, les semblans de la paix. En effet, l'empereur entrait dans une coalition nouvelle, il traitait avec la Russie, avec l'Angleterre, avec le roi de Naples, et recrutait rapidement ses armées.

Le directoire rendit ses craintes publiques le 3 vendémiaire, le troisième jour de l'an vir; il n'émit encore que des doutes sur la bonne foi de l'Autriche; mais il parla clairement de l'hostilité de la cour de Naples, et il demanda deux cent mille conscrits et 125,000,000 fr. Les conseils se hâtèrent de satisfaire à cette demande, à laquelle les hommes attentifs s'attendaient depuis quelque temps. Le 4 vendémiaire, sur la proposition de Jourdan, les cinq-cents autorisèrent le pouvoir exécutif à lever deux cent mille hommes, sur la première classe des conscrits, et ils arrêtèrent qu'il serait fait une proclamation aux Français. Le 7 ven

STORIA

BERIA & CONTEN

démiaire, cette loi fut affichée et proclamée au son du tambour dans les places et les rues de Paris.

La situation était grave. La mer nous était fermée. L'amitié des États-Unis était douteuse. Les Anglais dominaient sur les mers, ils assiégeaient nos côtes, ils bloquaient nos ports, On ne pouvait plus espérer leur disputer l'empire maritime. Dès l'an 5, les flottes de nos alliés avaient été détruites; celle des Espagnols aù cap Saint-Vincent; celle de Hollande à Camperdugn. Notre escadre de Toulon venait d'être écrasée dans la Méditerranée. On comptait encore sur le soulèvement de l'Irlande. Eu effe, on reçut, dans les premiers jours de vendémiaire, un rapport qui annonçait que le général Humbert était débarqué (le 5 fructidor an vi) dans la baie de Kilala, avait battu les Anglais et s'était emparé de Castelbar. Mais lorsque l'on apprenait ces nouvelles l'expédition était terminée. Le général Humbert ne rallia à lui qu'un millier d'Irlandais; il enleva aux Anglais deux comtés; il traversa l'île tout entière, se battant chaque jour, mais ne ralliant presque personne à ses drapeaux. Enfin, son corps étant réduit à huit cents hommes, et entouré par une armée commandée par lord Cornwallis, il capitula, mais aux conditions les plus honorables, lui-même et ses officiers, à la seule condition de ne point porter les armes contre l'Angleterre, Pendant ce temps, une escadre qui lui portait un secours de trois mille hommes fut attaquée par des forces supérieures; quelques frégates échappérent; le reste, accablé par le nombre, fut obligé de baisser pavillon. Ainsi toutes ces attaques partielles n'eurent d'autres résultats que de diminuer l'armée de quelques braves bataillons. De leur côté les Anglais essayèrent de surprendre le port d'Ostende, Ils débarquèrent deux mille hommes; mais ils ne furent pas plus heureux que nous ne l'avions été en Irlande. Leurs soldats furent tous ou tués, ou pris ou noyés.

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La gravité de la situation fit taire un moment les vélléités d'opposition qui s'étaient manifestées dans les conseils; on s'y occupa surtout des moyens de remplir le trésor, qui était vide, et qu'avaient épuisé toutes les expéditions transmarines et d'Égypte et

d'Irlande. On délibéra sur cette question en comité secret, et, l'on se décida à recourir à une nouvelle aliénation des biens nationaux. Il fut résolu qu'il en serait vendu pour 125,000,000. Ce projet fut voté, en séance publique, aux cinq-cents, le 24 vendémiaire; et adopté le 26 par les anciens. Le 14 brumaire, on proposa de confisquer les biens des individus condamnés à la déportation et qui s'y seraient soustraits. Cette mesure fut attaquée comme inique par plusieurs députés. La majorité les écouta avec impatience, et après une discussion orageuse, qui occupa plusieurs séances, elle donna son approbation à la mesure. Le conseil des anciens lui donna aussitôt sa sanction. Ainsi, on cherchait à remplir le vide que l'on venait de creuser dans les fonds de la République en biens nationaux; ainsi la présence du danger rendait à la législature l'esprit qui l'avait animée au 18 fructidor. On s'occupa ensuite de réglementer avec le plus grand soin le détail de la perception des impôts; on créa celui des portes, fenêtres; on en proposa jusque sur les cheminées. Ces questions occupèrent une longue suite de séances, utilement remplies sans doute, mais sans intérêt politique.

Cependant Jourdan avait quitté les cinq-cents (le 22 vendémiaire il avait été prendre un commandement sur le Rhin. Le 16 frimaire, le directoire annonçait aux anciens que le roi de Naples avait commencé les hostilités. Ce prince avait formé une armée dont l'effectif était de soixante mille hommes. Il avait demandé à l'empereur un général; on lui avait envoyé Mack. Il hésitait à se mettre en mouvement le premier; mais lorsqu'il ap prit que l'armée russe était entrée en Gallicie; lorsque Nelson, vainqueur à Aboukir, vint l'encourager de sa présence, il remit à Mack le commandement de quarante mille hommes et lui or donna de délivrer les états romains de la présence des Français. Enfin, dans la prévoyance des revers, qui, par impossible, pouvaient arriver, il ordonnà d'armer et d'organiser tous ses sujets. C'était Championnet qui commandait dans les états romains. Il n'avaite opposer aux masses qui le menaçaient, et au soulèvement probable d'une population mal disposée, que dix

huit mille hommes, dispersés, mal armés, mal habillés, presque sans canons et sans munitions, mais pleins de bravoure et d'audace. Il recula, afin de rallier ses troupes; il évacua Rome, où le roi de Naples entra en libérateur; puis, lorsqu'il eut réuni ses divisions, il reprit l'offensive et rejeta l'armée napolitaine dans ses frontières, et la poursuivit vivement. Il n'est pas de notre sujet de raconter cette courte et glorieuse campagne ; Championnet en peu de temps se trouva maître de Capoue et de Naples, après avoir vaincu et l'armée régulière et des insurrections bien plus redoutables que les troupes réglées. L'invasion des Napolitains avait commencé le 24 novembre; Naples était au pouvoir des Français moins d'un mois après, le 23 décembre 1798 (4 pluviose an vij). Le royaume fut converti en république sous le nom de république parthénopéenne. Une partie de la gloire de cette expédition rejaillit sur le pouvoir exécutif; mais il ne tarda pas à tourner la satisfaction publique en d'amères critiques qu'il ne partagea avec personne. A peine le pays était-il soumis, que des commissaires des directeurs, accoururent pour tirer parti de cette riche conquête. Championnet les chassa; le directoire irrité ordonna à ce général de céder le commandement à Macdonald; puis on le rappella à Paris et on le mit en accusation. Le public fut indigné de cette conduite envers un homme qui venait de rendre de si grands services. Il trouva que le général avait bien fait en chassant ces agens civils qui suivaient nos armées comme des bêtes de proie qui vont à la curée. En vain, ces hommes écrivirent-ils dans les journaux que, cette fois, ils venaient pour empêcher le pillage et des concussions qu'on avait déjà commencées. On repoussa ces imputations, et l'on y ajouta d'autant moins de foi, qu'on ne foyait guères à la susceptibilité du directoire en ces affaires. D'ailleurs il donna bientôt une preuve que les infidélités de ce genre n'étaient point un grief bien sérieux à ses yeux : il nomma au commandement en chef de l'armée d'Italie, le général Scherer, contre lequel de justes accusations de dilapidation s'étaient élevées dans les conseils, et qui venait d'être forcé, malgré la protection de Rewbel, de donner sa démissio

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