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posent. Mais je crois qu'en tout cas nul de vous ne peut soup

çonner... »

Un membre. « Aujourd'hui Bonaparte a terni sa gloire ! Fi!
Un autre. Bonaparte s'est conduit en roi! >

Le président. Nul de vous ne peut soupçonner de projets liberticides celui... >

Un membre. Bonaparte a perdu sa gloire! Je le voue à l'opprobre, à l'exécration des républicains et de tous les Français ! »

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Quelques voix. Oui, oui! (Applaudissemens et murmures.)

Le président. « Je demande au reste qu'on prenne tous les éclaircissemens nécessaires pour rassurer le conseil. ›

Un membre. Je demande que le général Bonaparte soit traduit à la barre pour y rendre compte de sa conduite. (Mouvemens divers.)

Le président. Et moi je demande à quitter le fauteuil. › Chazal, ex-président, remplace au fauteuil Lucien Bonaparte. Digneffe. Quand le conseil des anciens a usé du droit constitutionnel de changer la résidence du corps législatif, il a eu sans doute de puissans motifs; il faut qu'ils soient connus. Je demande que dans ce jour solennel, qui aura tant d'influence sur les destinées de la République, on déclare, on fasse connaître quels sont les chefs et les agens de la conspiration qui nous menace, puisqu'il a fallu pour les déjouer des moyens extraordinaires. Avant tout je demande que vous preniez des mesures pour votre sûreté; que vous déterminiez sur quels endroits s'étendra la police de votre enceinte, et que vous preniez des mesures à cet effet. (Un grand nombre de voix. ‹ Appuyé! Appuyé! » )

Bertrand (du Calvados). Lorsque le conseil des anciens a ordonné la translation du corps législatif en cette commune, il en avait le droit constitutionnel; quand il a nommé un général commandant en chef, il a usé d'un droit qu'il n'avait pas. Je demande que vous commenciez par décréter que le général Bonaparte n'est pas le commandant des grenadiers qui composent

votre garde. › ( Un grand nombre de membres. « Appuyé! Aux voix! Aux voix! »)

Talot. N'oubliez pas dans ce moment difficile le caractère auquel on doit vous reconnaître : conservez votre union; veillez à votre sûreté; veillez à la publicité de vos délibérations. Je suis convaincu que le conseil des anciens, en prenant une mesure si extraordinaire et si prompte, n'a pas eu l'intention de nous faire délibérer à huis clos et sous les baïonnettes. Eh quoi! nous représentons le peuple français, et c'est dans un village, entourés d'une force armée considérable, dont nous ne disposons pas, qu'on veut que nous délibérions! Non que je craigne les soldats qui nous entourent; ils ont combattu pour la liberté; ce sont nos parens, nos fils, nos frères, nos amis; nous avons été nousmêmes dans leurs rangs. Et moi aussi j'ai porté la giberne de la patrie! Je ne puis craindre le soldat républicain dont les parens m'ont honoré de leurs suffrages, et m'ont appelé à la représentation nationale; mais je déclare qu'hier la Constitution a été outragée ; le conseil des anciens n'avait pas le droit de nommer un général. Bonaparte n'a pas eu le droit de pénétrer dans cette enceinte sans y être mandé. Voilà la vérité. Quant à vous, vous ne pouvez voter plus long-temps dans une telle position; vous devez retourner à Paris. Marchez-y, revêtus de votre costume, et votre retour y sera protégé par les citoyens et les soldats; vous reconnaîtrez, à l'attitude des militaires, qu'ils sont les défenseurs de la patrie. Je demande qu'à l'instant vous décrétiez que les troupes qui sont actuellement dans cette commune font partie de votre garde; je demande que vous adressiez un message au conseil des anciens pour l'inviter à rendre un décret qui nous ramène à Paris. (Un grand nombre de voix. Appuyé!)

Grandmaison.

Il faut déclarer le décret rendu hier comme non avenu sous le rapport de la nomination inconstitutionnelle du général Bonaparte. » (« Aux voix! Aux voix ! »)

Crochon. Nous ne pouvons prendre une mesure précipitée...

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(Murmures,) Le décret était constitutionnel : il ordonnait votre

translation ; il fallait bien nommer un général pour assurer l'exécution du décret. (Murmures.)

"

Un membre. « Il faut avant tout déclarer que Bonaparte n'est point le commandant de votre garde. >

Un autre. « C'est donner le signal d'un combat. ›

'Destrem. « J'appuie l'avis de Talot. Les circonstances ne nous permettent point de rester ici; il faut retourner à Paris, ou aller ailleurs pour y retrouver de l'indépendance. »

La proposition d'un message au conseil des anciens est mise aux voix et adoptée.

Destrem. Cela ne peut suffire; vous avez des mesures urgentes à prendre. Sans entrer dans le détail de la validité de la nomination, et des observations faites sur votre garde et celui qui doit la commander, je demande que vous déclariez la per

manence. »

Blin. « Six mille hommes sont autour de vous; déclarez qu'ils font partie de la garde du corps législatif. ›

Delbrel. A l'exception de la garde du directoire. Marche, président! mets aux voix cette proposition! »

Un grand nombre de membres avec chaleur. « Aux voix! aux voix, président! Allons, allons! >

Lucien Bonaparte. « Je ne m'oppose point à la proposition; mais je dois faire observer qu'ici les soupçons paraissent s'élever avec bien de la rapidité et peu de fondement. Un mouvement même irrégulier aurait-il déjà fait oublier tant de services rendus à la liberté? (Murmures.)

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Plusieurs membres. Non, non! On ne les oubliera pas. > D'autres. « Le temps se passe! Aux voix, la proposition. > Lucien Bonaparte. « Je demande qu'avant de prendre une mesure vous appeliez le général. (Murmures, cris. Plusieurs voix. «Nous ne le reconnaissons pas!»)—Je n'insisterai pas davantage; mais certainement, quand la première effervescence des passions sera calmée, quand l'inconvenance du mouvement extraordinaire qui s'est manifesté sera sentie, vous rendrez justice à qui elle est due, dans le silence des passions... (Plusieurs voix.

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Au fait, au fait! - Un membre: Il n'y a plus de liberté ici; laissez donc parler l'orateur!»)

Un membre. Aux voix la mise hors la loi du général Bonaparte! »

Un grand nombre de membres appuient cette proposition; plusieurs veulent la motiver; ils se pressent à la tribune; Lucien Bonaparte, qui s'y est maintenu, veut encore justifier son frère; sa voix est étouffée sous les reproches qu'on lui adresse; cependant on l'invite à reprendre le fauteuil, à ne voir que la patrie, à la sauver. « Quoi! s'écrie-t-il, vous voulez que je prononce le hors la loi contre mon frère! - Oui, oui! répondent quelques membres; le hors la loi, voilà pour les tyrans! »

Lucien a repris le fauteuil : il espère que cette proposition sera rejetée. Et d'abord il met aux voix les différentes motions qui ont été faites. Le tumulte ne permet aucun ordre dans la délibération; néanmoins plusieurs membres déclarent successivement qu'il a été décrété : 1o que le conseil était en permanence; 2o qu'il se rendrait sur-le-champ dans son palais à Paris; 5° que les troupes rassemblées à Saint-Cloud faisaient partie de la garde du corps législatif; 4o que le commandement en était confié au général Bernadotte. Un cri: hors la loi! rappelle encore à Lucien la proposition fatale; il la croit soutenue, adoptée, et il tombe suffoqué par ses larmes. Bientôt après il s'arrache des bras de ses collègues, monte à la tribune, et prononce ces mots dans une extrême agitation: - Puisque je n'ai pu me faire entendre dans cette enceinte, je dépose, avec un sentiment profond de dignité outragée, je dépose les marques de la magistrature populaire. Et en même temps il a quitté sa toque et son manteau. • Reprenez le fauteuil! lui crient encore quelques membres. — Non, non! répond-il.-Tant mieux! ajoutent quelques autres. »

Cependant des représentans en assez grand nombre se pressent autour de lui, et cherchent à ramener le calme dans son ame; ils le revêtent de son costume; ils l'invitent à voir son frère, à le faire appeler, enfin à tout réparer par une explication

franche, que l'assemblée se montrera disposée à entendre. Lucien parle des résolutions qu'il croit avoir été prises; on lui prouve aisément qu'elles n'ont rien de légal. Enfin, il va céder... Mais en ce moment un peloton des grenadiers du corps législatif entre, l'arme au bras, dans la salle; l'officier qui le commande fend la foule, pénètre jusqu'au fauteuil du président, dit quelques mots à Chazal, feint de vouloir s'adresser au conseil, revient à Lucien, l'enlève, et se retire avec lui au milieu de ses grenadiers; et Lucien, dans le trouble de son esprit, dans l'incertitude où son frère l'a laissé sur les moyens de la conjuration, se frappe de l'idée que les républicains sont vainqueurs au dehors. Il s'écrie, pendant qu'on l'entraîne : « Vous me parliez de réconciliation, et vous me faites arrêter! »

La consternation succède un instant au tumulte et aux cris qui ont accompagné cette expédition. Mais bientôt après l'agitation recommence; les cris hors la loi le dictateur! se font entendre de nouveau. Talot rappelle les mesures déjà proposées; il exhorte ses collègues à venir réclamer du peuple et de l'armée la protection due à leur caractère; les uns objectent que cette démarche serait inconstitutionnelle; d'autres déclarent qu'ils veulent mourir à leur poste. C'est en ce moment qu'un officier de la garde du corps législatif, le seul défenseur que la représentation nationale eût rencontré parmi les troupes, pénètre dans la salle en s'écriant: Citoyens représentans, donnez-moi des ordres; je les ferai exécuter (1). A cette offre généreuse un mouvement éclate dans la minorité; on entend répéter: ⚫ Suivons notre président!.. Levez la séance!.. Il n'y a plus de conseil.... Une voix. A bas les agitateurs!.. Et l'on voit sortir plusieurs députés, hommes faibles ou conjurés. Ils vont se mettre sous la protection de la force; déjà l'un d'eux pressait Bonaparte de mettre fin à une résistance devenué coupable.

Le représentant Scherlock annonce que, dans les corridors et

(1) Le soir même Bonaparte destitua cet officier; mais, quelques jours après, il le réintégra dans son grade.

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