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liberté. J'invite ceux de nos collègues qu'un retard dans la réception des lettres de convocation a portés à demander des preuves d'attendre à un autre moment... (Murmures.) d'attendre que la République soit sauvée du danger qui la menace, et alors' la commission ne fera aucune difficulté de donner les détails qu'on demande.

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Colombel (de la Meurthe.) « Quoique j'aie à me plaindre aussi de n'avoir pas reçu de lettre de convocation, je passerai sous silence cette petite omission. Je répondrai seulement à notre collègue Fargues que tous les représentans du peuple ont un intérêt direct à connaître la situation de la République. Nous n'en sommes plus au temps où le comité de salut public disait : « Qu'on m'en croie sur parole, › et dictait des décrets à la représentation nationale. Je pense que la commission se fera un devoir et un mérite de nous communiquer fraternellement les motifs qui ont pu l'engager à solliciter une mesure aussi extraordinaire que celle de la translation du corps législatif : mesure que j'approuve, quel qu'ait été le degré de danger qui nous a menacés; mais enfin il faut apprécier ce danger, afin de connaître les mesures ultérieures que nous aurons à prendre. Je m'oppose donc à l'ajournement demandé par notre collègue Fargues; je demande que l'on ne nous laisse pas plus long-temps dans l'incertitude; que la commission des inspecteurs fasse son rapport en comité général : là on pourra donner la plus grande latitude aux réflexions, et nous pourrons nous consulter et agir en famille. ›

Cornudet. «Sans doute notre collègue Savary n'a point entendu demander le rapport du décret irrévocable que vous avez rendu hier... (Savary. Non. ») Il ne s'agit donc que de savoir quand la commission entrera dans de plus grands détails des faits qu'elle vous a exposés à la séance d'hier. Je crois que, quant à présent, cette demande doit être écartée, et que vous devez donner suite dans les formes constitutionnelles au décret d'hier. Pour cela il faut que vous adressiez un message au conseil des cinq-cents et un au directoire, pour les avertir que vous êtes ici en majorité ; il faut aussi que ces deux autorités vous donnent la certitude, par

des messages, qu'elles sont réunies elles-mêmes en majorité dans la commune de Saint-Cloud; car, si elles n'y sont pas, vous savez dans quels délais et par quels moyens la Constitution prescrit de les compléter. Je demande donc que l'on ne s'occupe point, quant à présent, de la proposition de notre collègue Savary, que j'approuverai quand il en sera temps, et que l'on fasse les deux messages que j'ai proposés. ›

La discussion se prolonge quelques momens, réduite à des propositions dilatoires, à d'inquiètes observations sur la marche des relations entre les autorités constitutionnelles, qu'on sait bien ne plus exister. En attendant un signal ou un dénoûment qui leur permette de s'affranchir de toute réserve, les conjurés accordent successivement à l'impatience du conseil qu'il soit fait un message au directoire exécutif, un autre aux cinq-cents, et même une proclamation au peuple. Les deux messages partent; mais on ne s'occupe point de la proclamation, et dans l'incertitude où l'on feint encore d'être sur la réunion des cinq-cents et du directoire, est arrêté que la séance sera suspendue jusqu'à ce que ces deux autorités aient également donné connaissance de leur arrivée à Saint-Cloud.

il

A trois heures et demie, la séance est reprise pour entendre la lecture d'une lettre du secrétaire-général du directoire, qui annonce que le message n'a pu être reçu, attendu que quatre directeurs ont donné leur démission, que le cinquième a été mis en surveillance par ordre du général Bonaparte, et qu'ainsi il ne se trouve plus de directoire exécutif. ›

Sur la demande de plusieurs membres, le conseil ordonne le renvoi de cette lettre aux cinq-cents, afin qu'il soit procédé à la formation d'une liste de candidats au directoire.

La séance, de nouveau suspendue, est rouverte à quatre heures. La surprise et l'agitation se manifestent dans une partie de l'assemblée; l'autre ne comprime qu'avec peine sa profonde satisfaction. On annonce le général Bonaparte; il paraît suivi de ses aides. de-camp, et demande la parole, que le président lui accorde avec empressement.

Le général Bonaparte (1). ‹ Représentans du peuple, vous n'êtes point dans des circonstances ordinaires; vous êtes sur un volcan. Permettez-moi de vous parler avec la franchise d'un soldat, avec celle d'un citoyen zélé pour le bien de son pays; et suspendez, je vous en prie, votre jugement jusqu'à ce que vous m'ayez entendu jusqu'à la fin.

» J'étais tranquille à Paris lorsque je reçus le décret du conseil des anciens, qui me parla de ses dangers, de ceux de la République. A l'instant j'appelai, je retrouvai mes frères d'armes, et nous vînmes vous donner notre appui; nous vînmes vous offrir les bras de la nation, parce que vous en étiez la tête. Nos intentions furent pures, désintéressées; et, pour prix du dévouement que nous avons montré hier, aujourd'hui déjà on nous abreuve de calomnies! On parle d'un nouveau César, d'un nouveau Cromwel; on répand que je veux établir un gouvernement militaire.

» Représentans du peuple, si j'avais voulu opprimer la liberté de mon pays, si j'avais voulu usurper l'autorité suprêine, je ne me serais point rendu aux ordres que vous m'avez donnés, je n'aurais pas eu besoin de recevoir cette autorité du sénat. Plus d'une fois, et dans des circonstances extrêmement favorables, j'ai été appelé à la prendre. Après nos triomphes en Italie, j'y ai été appelé par le vœu de la nation; j'y ai été appelé par le vœu de mes camarades, par celui de ces soldats qu'on a tant maltraités depuis qu'ils ne sont plus sous mes ordres, de ces soldats qui

(!) Il y a deux versions de ce discours : l'une est le produit de notes prises pendant que Bonaparte parlait; l'autre est la rédaction officielle consignée dans le procès-verbal du conseil. Nous laissons la première dans le texte ; voici la seconde :

Citoyens représentans, les circonstances où yous vous trouvez ne sont pas ordinaires; vous êtes sur un volcan.

» Permettez-moi de vous parler avec la franchise d'un soldat, et, pour échap» per au piége qui vous est tendu, suspendez votre jugement jusqu'à ce que j'aie » achevé.

» Hier j'étais tranquille à Paris lorsque vous m'avez appelé pour me notifier » le décret de translation et me charger de l'exécuter. Aussitôt j'ai rassemblé » mes camarades; nous avons volé à votre secours. Hé bien! aujourd'hui on

sont obligés encore aujourd'hui d'aller faire dans les départemens de l'Ouest une guerre horrible, que la sagesse et le retour aux principes avaient calmée, et que l'ineptie ou la trahison viennent de rallumer.

› Je vous le jure, représentans du peuple, la patrie n'a pas de plus zélé défenseur que moi; je me dévoue tout entier pour faire exécuter vos ordres. Mais c'est sur vous seuls que repose son salut, car il n'y a plus de directoire : quatre des membres qui en faisaient partie ont donné leur démission, et le cinquième a été mis en surveillance pour sa sûreté. Les dangers sont pressans; le mal s'accroît : le ministre de la police vient de m'avertir que dans la Vendée plusieurs places étaient tombées entre les mains des chouans. Représentans du peuple, le conseil des anciens est investi d'un grand pouvoir; mais il est encore animé d'une plus grande sagesse : ne consultez qu'elle, et l'imminence des dangers; prévenez les déchiremens. Évitons de perdre ces deux choses pour lesquelle nous avons fait tant de sacrifices, la liberté et l'égalité !... ›

Lenglet. Et la Constitution? >

Le général Bonaparte. « La Constitution! Vous sied-il de l'invoquer? et peut-elle être encore une garantie pour le peuple français ? Vous l'avez violée au 18 fructidor; vous l'avez violée au 22 floréal ; vous l'avez violée au 30 prairial. La Constitution! elle est invoquée par toutes les factions, et elle a été violée par toutes; elle est méprisée par toutes; elle ne peut être pour nous

» m'abreuve de calomnie! On parle de César, on parle de Cromwel, on parle » du gouvernement militaire. Le gouvernement militaire! Si je l'avais voulu >> serais-je accouru prêter mon appui à la représentation nationale? Après nos » triomphes en Italie, j'y ai été appelé par le vœu de la nation; j'y ai été appelé ⚫ par le vœu de mes camarades, par le vœu de ces soldats qu'on a tant maltrai»tés depuis qu'ils ne sont plus sous mes ordres; de ces soldats qui sont obligés » encore aujourd'hui d'aller faire dans les départemens de l'Ouest une guerre » horrible, que la sagesse et le retour aux principes avaient calmée et que » l'ineptie ou la trahison viennent de rallumer.

» Citoyens représentans, les momens pressent; il est essentiel que vous pre» niez de promptes mesures. La République n'a plus de gouvernement; quatre » des directeurs ont donné leur démission ; j'ai cru devoir mettre en surveillance

D

un moyen de salut, parce qu'elle n'obtient plus le respect de personne. La Constitution! n'est-ce pas en son nom que vous avez exercé toutes les tyrannies? Et aujourd'hui encore c'est en son nom que l'on conspire. Je connais tous les dangers qui vous

menacent.

Représentans du peuple, ne voyez pas en moi un misérable intrigant qui se couvre d'un masque hypocrite! J'ai fait mes preuves de dévouement à la République, et toute dissimulation m'est inutile. Je ne vous tiens ce langage que parce que je désire que tant de sacrifices ne soient pas perdus. La Constitution, les droits du peuple ont été violés plusieurs fois; et puisqu'il ne nous est plus permis de rendre à cette Constitution le respect qu'elle devrait avoir, sauvons au moins les bases sur lesquelles elle repose; sauvons l'égalité, la liberté! Trouvons des moyens d'assurer à chaque homme la liberté qui lui est due, et que la Constitution n'a pas su lui garantir. Je vous déclare qu'aussitôt que les dangers qui m'ont fait confier des pouvoirs extraordinaires seront passés, j'abdiquerai ces pouvoirs. Je ne veux être à l'égard de la magistrature que vous aurez nommée que le bras qui la soutiendra et fera exécuter ses ordres. >

Cornudet. « Vous venez de l'entendre, représentans du peuple ! Qui douterait maintenant qu'il y eût une conspiration? Celui à qui vous avez décerné tant d'honneurs, à qui vous avez tant de fois transmis les expressions de la reconnaissance nationale, celui devant qui l'Europe et l'univers se taisent d'admiration est

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» le cinquième en vertu du pouvoir dont vous m'avez investi. Le conseil des cinq-cents est divisé; il ne reste que le conseil des anciens. C'est de lui que je » tiens mes pouvoirs; qu'il prenne des mesures; qu'il parle; me voilà pour » exécuter. Sauvons la liberté, sauvons l'égalité!... (Une voix : Et la Consti» tution?)

» La Constitution! vous l'avez vous-mêmes anéantie. Au 18 fractidor, vous » l'avez violée; vous l'avez violée au 22 floréal; vous l'avez violée au 30 prai» rial. Elle n'obtient plus le respect de personne.

Je dirai tout.

» Depuis mon retour, je n'ai cessé d'être entouré d'intrigues, toutes les fac» tions se sont empressées autour de moi pour me circonvenir, et ces hommes qui se qualifient insolemment les seuls patriotes sont venus me dire qu'il fal

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