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chambre. Moulins eut la la faiblesse de se soustraire à la surveillance de Moreau.

Au milieu de ces événemens, les habitans de Paris montraient de l'agitation, mais point de crainte : ils ne voyaient en tont que Bonaparte, et l'amour qu'ils lui portaient fermait leur coeur au soupçon. Prévoyait-on d'ailleurs le renversement de la Constitution, on applaudissait avec une impatiente curiosité, tant le gouvernement avait perdu la confiance nationale. Le titre de dictateur venait-il dans l'esprit, ce mot n'effrayait plus s'il était joint au nom de Bonaparte. Ainsi l'opinion publique combattait encore contre les députés républicains. Mais ils savent que cette même opinion, dégagée de l'enthousiasme, leur demandera compte un jour de leur mandat, et ils veulent y rester fidèles. Des réunions de patriotes se prolongent jusque dans la nuit ; on se consume en projets, et nulle ressource ne s'offre pour l'exécution. Le dernier vœu des pères de la patrie c'est de mourir sur la chaise curule; ils se rendent à Saint-Cloud en criant: Vive la République!

Les troupes, sous le commandement du général Serrurier, avaient occupé Saint-Cloud avant le jour. A une heure parut le général Bonaparte, accompagné de son état-major: il était venu dans une voiture qu'escortaient des grenadiers à cheval de la garde directoriale. Siéyès et Roger-Ducos arrivèrent à deux heures ; ils avaient avec eux Lagarde, secrétaire-général du directoire: descendus d'une même voiture, ils s'installèrent tous trois, et comme furtivement, dans une salle du palais éloignée des conseils. Informé de leur présence, le général Bonaparte vint sur-le-champ s'entretenir particulièrement avec eux; il y resta près d'une heure: les conférences s'établirent ensuite, et trèsactivement, avec tous les conjurés, qui tour à tour se partagèrent entre cette commission secrète et le conseil dont ils étaient membres.

Jusqu'à l'ouverture des séances il y eut à l'extérieur un concours de monde dont les mouvemens, bruyans et variés, offraient déjà l'image du grand spectacle qui se préparait. A leur air em

pressé, discret, et l'on peut dire hypocritement satisfait, on reconnaissait les conjurés ; ils saluaient avec affection les officiers et même les soldats ; ils prenaient l'accent de la douleur auprès des représentans qu'ils espéraient de séduire, préjugeant l'inévitable et nécessaire abandon de l'acte constitutionnel, accordant des demi-confidences; mais ils s'écartaient avec soin de ceux dont ils avaient résolu la perte, et qu'ils savaient être inébranlables dans leurs vues et fidèles à leurs sermens. On voyait Bonaparte, suivi de quelques grenadiers, traverser rapidement les cours et les appartemens, et, plusieurs fois, s'entretenant avec lui-même, on l'entendit répéter: Non, je ne veux plus de faction, il faut que cela finisse; je n'en veux plus absolument. Des officiers de tous grades, cherchant de l'emploi ou de l'avancement, étaient venus offrir leur dévouement au général en chef. Des hommes selon les circonstances, des intrigans politiques se montraient çà et là, inquiets et silencieux, calculant les forces des partis, n'osant encore se prononcer. Quant aux républicains, ils avaient brûlé leurs vaisseaux. Leur démarche était lente et fière; ils levaient sans contrainte un œil accusateur sur la force qui les menaçait; leurs traits réfléchissaient la profonde tristesse de leur ame; ils s'abordaient en se serrant la main avec émotion, et disant : La République est perdue! Ils relisaient, commentaient les proclamations déjà séditieuses que Bonaparte avait publiées à l'instant même de sa nomination par les anciens, et ils ajoutaient : Aurons-nous Cromwel ou César? Il dispersera le parlement! Il passera le Rubicon! Du reste, ils ne formaient qu'un projet; c'était, avant toute délibération, de lier la majorité des représentans par le renouvellement individuel du serment de fidélité à la Constitution. Ils voulaient ainsi contraindre les conjurés à lever le masque ou à se charger d'un nouveau parjure, et en même temps constater la défection présumée de plusieurs de leurs collègues. Salicetti éveillait leurs soupçons. Augereau, qui avait voulu se porter l'accusateur de Bonaparte, qui avait refusé de contribuer au repas de Saint-Sulpice, Augereau les avait abandonnés : dès la veille il était venu dire à Bonaparte, dans la commission des

inspecteurs: Général, lorsqu'il s'agit de sauver la patrie, tu oublierais Augereau!» L'accueil froid qu'il en reçut ne le découragea point; à Saint-Cloud il lui réitéra l'offre de ses services. Bonaparte persista à ne point l'employer. Augereau, en habit bourgeois, resta comme en observation dans les cours du palais de Saint-Cloud, et, selon l'événement, prêt à prendre l'épée ou la toge.

Les troupes, à qui des distributions extraordinaires avaient été faites; le peuple, plus agité par une inquiétude curieuse que par un vou déterminé; les troupes et le peuple confondaient encore dans leurs vivats et la République, et Bonaparte, et la Constitution.

Enfin les conseils ouvrent leurs séances.

CONSEIL DES ANCIENS. Séance du 19 brumaire an viii, tenuc dans la grande galerie du palais de Saint-Cloud.-Président, Lemercier.

A deux heures les représentans entrent dans le lieu de leurs délibérations, précédés de la musique du conseil, qui exécute l'hymne à la liberté ( Allons, enfans de la patrie!).

Il résulte d'un appel nominal que le conseil est en majorité. Un secrétaire donne lecture d'une lettre de Barras qui contient sa démission. Elle est transmise sur-le-champ, par un message, au conseil des cinq-cents.

Savary (de Maine-et-Loire). « Je demande que le conseil veuille bien ordonner que le procès-verbal de la séance extraordinaire d'hier soit lu. J'ai besoin de connaître ce procès-verbal d'une séance où je n'étais pas. J'ignore quel motif on a pu avoir de cacher la tenue de cette séance à un certain nombre de membres du conseil ; je n'ai été instruit qu'elle avait eu lieu que par le rapport de notre collègue Cornet qui se trouve dans la distribution d'aujourd'hui. Ce rapport contient des assertions qui seraient bien faites pour alarmer si les bases en étaient connues; mais, quelque confiance que nous devions avoir dans la commission des inspecteurs, ce n'est l'ouvrage que de cinq de nos collè

et il importe à la sûreté, à la dignité nationale que chaque membre du corps législatif apprenne les terribles vérités qui ont pu engager à changer sa résidence, qu'on nous explique à tous les motifs d'une mesure à laquelle nous n'étions pas préparés. Je les crois très-puissans; mais je déclare pour ma part... ( Régnier. Je demande la parole. ») Je demande pour ma part que tous les périls soient connus, qu'ils le soient du conseil des cinq-cents, que tous les membres du corps législatif sachent en quoi la représentation nationale a pu être compromise. Si l'on ne croit point devoir rendre ces détails publics, je demande qu'on les donne au moins en comité général. (Quelques membres. ‹ Appuyé! appuyé! »)

Régnier. « J'ignore si le préopinant a été ou non convoqué par la commission; cela ne nous regarde point; mais le décret que le conseil des anciens a rendu est qualifié d'irrévocable par la Constitution; ainsi on ne peut plus le remettre en question aujourd'hui.>

Citadella. Ce n'est point là la question. ›

Régnier. Je prie le président de faire cesser les interruptions; il ne doit pas y en avoir plus ici qu'à Paris. On demande des détails sur les motifs qui ont déterminé la translation : vous avez tous senti la nécessité de ce changement de résidence ; je ne conçois pas comment le préopinant veut qu'on publie..... »

Citadella. Hé bien! en comité général... »

Régnier. En comité général ou en public, on ne doit point donner l'éveil à ceux qui ont causé les dangers du corps législatif. Il est irrespectueux de remettre en délibération la décision que vous avez prise hier. Si quelques membres ne se sont pas trouvés à cette séance, ceux qui étaient présens n'en avaient pas moins le droit de délibérer : ils étaient en nombre suffisant.

> Je demande l'ordre du jour. ›

· Guyomard. « Savary n'a pas demandé le rapport d'un décret irrévocable; il s'est plaint d'une chose dont je me plains moimême. Je demeure dans la maison du citoyen Régnier; et il est

bien étonnant que je n'aie point été averti comme lui de la convocation exraordinaire. »

Plusieurs membres. Nous n'en avons point été instruits non plus. ›

Guyomard. Au reste on m'a dit que dans cette séance on avait voulu faire des observations, et que la liberté des opinions avait été, sinon violée, au moins étouffée. La commission a dit bier que la liberté du corps législatif était menacée; je ne me suis point aperçu que dans aucune de nos dernières séances nous ayons été gênés dans nos opinions; la translation a donc été déterminée par d'autres motifs, et je demande, comme Savary, qu'on nous les fasse connaître en comité secret. >

Fargues. Comme membre de la commission des inspecteurs, je dois la justifier des reproches qui viennent de lui être adressés. Je déclare qu'elle a envoyé des avertissemens à tous les représentans du peuple; ces avertissemens ont été remis à sept heures du matin à des sous-officiers de la garde du corps législatif, dont l'exactitude est connue. Si quelques-uns de nos collègues n'ont point été avertis, la commission est exempte de tout reproche. J'ai entendu demander, avec un sang-froid qui m'a étonné, des preuves d'une conspiration qui est connue de Paris et de toute la République! S'il était permis à la commission de vous dire les propositions qui ont été faites à un général sur lequel reposent toutes les espérances de la patrie, propositions qui lui ont été renouvelées plusieurs fois depuis son retour, et qui lui ont encore été faites cette nuit même, il n'est aucun de vous qui n'affranchît la commission des preuves qu'on lui demande. Il y aurait autant de danger à dévoiler en comité secret qu'en public des vérités trop accablantes... (Murmures.) Je prie le conseil de remarquer qu'il y a peu de jours il a investi la commission d'une confiance qu'elle croit avoir justifiée par son dévouement, et que ce serait en manquer aujourd'hui que d'élever des doutes sur la vérité de ce qu'elle vous dit... (Murmures.) Il n'est aucun de vous qui ne sache que la République est en péril, que l'ennemi intérieur et l'ennemi extérieur sont coalisés pour renverser la

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