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rapporter aux conseils, et de tâter leur opinion. Pendant ce temps, les amis de Bonaparte, sa femme, son frère, n'étaient pas inactifs. Voici comment se passa la séance qui décida de la fortune de ce général.

CONSEIL DES CINQ-CENTS.-Séance du 22 vendémiaire an VIII (14 octobre 1799).

On reprend la discussion du projet sur l'école Polytechnique. Il est définitivement adopté.

Au nom de la commission des finances, Arnould fait un rapport sur le nouveau mode de paiement des rentes et pensions. L'abonnement des contributions est-il compatible avec le mode actuel de paiemens des rentes en bons au porteur?

Le rapporteur commençait à entrer dans l'examen de cette question, quand tout à coup les portes circulaires de la salle s'ouvrent; un grand nombre d'employés descendent rapidement, une vive impatience se manifeste dans le conseil. L'orateur n'est plus entendu; il réclame l'impression de son rapport et de son projet. Le conseil l'ordonne, et à l'instant un message d'état du directoire est introduit dans la salle; la musique et une foule de citoyens l'accompagnent. Il remet un message dont la teneur suit :

Le directoire vient d'apprendre, par une dépêche du général Brune, que les pertes des Anglo-Russes à l'affaire de Calscroom surpassent de beaucoup les premiers calculs qui en ont été donnés, et qu'elles sont aussi considérables que celles qu'ils ont essayées à Berghem. Elles sont sensibles surtout par le grand nombre d'officiers qui ont été pris. Depuis le 16, l'ennemi battait en retraite ; l'armée républicaine l'a poursuivi, et, quoiqu'il eût trois heures d'avance, elle l'a atteint, lui a pris ou tué douze cents hommes. La fuite a été si précipitée, qu'il a laissé ses tentes, ses bagages, des magasins de munitions, de vivres et d'habillemens, et qu'il a abandonné une foule de femmes et d'enfans appartenant aux Anglais, et que ceux-ci avaient amenés avec eux, croyant se rendre maîtres de la Hollande sans coup férir.

L'armée ennemie comptait plus sur la corruption que sur son courage pour vaincre les républicains. Le général Douh avait été envoyé comme parlementaire au général Daendels. Celui-ci l'a fait arrêter, et on a trouvé sur lui des proclamations du duc d'York et du prince d'Orange.

› Le directoire annonce aussi avec plaisir au conseil que le général Berthier a débarqué le 17 à Fréjus avec Bonaparte. (A ce nom, les plus vifs applaudissemens partent à la fois de l'assemblée et des tribunes, et se prolongent long-temps; le secrétaire continue). Avec lui sont les généraux Lasne, Marmont, Murat, Andréossy, et les citoyens Monge et Berthollet. Ils ont laissé l'armée française en très-bon état en Égypte; elle est dans la position la plus satisfaisante. >

Les applaudissemens recommencent; la musique exécute les airs chéris de la liberté.

Carré des Bouches-du-Rhône. Bonaparte! Brune! Masséna! vos noms, portés sur les ailes de la Renommée, passeront à la postérité la plus reculée; vos triomphes ont vaincu de nouveau la coalition; vos succès sont si brillans que l'imagination ne peut suffire à les dépeindre. Soldats républicains, qui dans les champs d'Égypte, dans les marais de la Batavie et sur les rochers glacés de l'Helvétie, avez surmonté tous les obstacles, vaincu, dispersé des ennemis supérieurs en nombre, recevez le témoignage éclatant de la gratitude nationale. Je demande que le conseil déclare que l'armée française en Batavie ne cesse de, bien mériter de la patrie. Impression.

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Portiez de l'Oise. « C'est aujourd'hui que nous pouvons chanter victoire; c'est aujourd'hui que nous devons couronner de guirlandes la statue de la Liberté. Peuple français! c'est aujourd'hui ta fête. Trois fois attaqué par une immense coalition, tu te vis, à la première, réduit seul à te défendre. Tu te levas, tu dis: Je combattrai, je vaincrai. Tu as combattu, tu as vaincu. Du Danube au Nil, du Tibre au Rhin, tes victoires ont immortalisé ton nom. Tes ennemis défaits ont mordu la poussière. Qu'est devenu ce Souwarow, lâche assassin de femmes, d'enfans et de

vieillards? Il fuit, épouvanté, pressé plus encore par ses remords que par la valeur républicaine. Généreux Bataves, permettez à un représentant qui, chez vous, a été témoin de la chute du stathouder, de vous féliciter d'une victoire qui assure votre liberté. Reprenez votre place parmi les puissances de l'Europe, et influez aussi dans la balance politique.

> Je demande: 1o que le directoire soit invité à déclarer aux peuples alliés qu'ils ont bien mérité de la cause commune ; 2o que les décrets de bien mérité de la patrie soient proclamés dans toutes les communes avec la solennité convenable. »

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Briot. J'appuie la proposition de Carré, et je demande le renvoi de celle de Portiez de l'Oise à une commission. Il est difficile de rendre les sensations agréables que nous causent les heureuses nouvelles qui nous arrivent d'heure en heure. Nos succès élèvent la France au faîte de la gloire, et désormais elle conservera entre les nations de l'univers la place que lui assurent ses hauts faits et les merveilles de sa révolution. Peuples de l'Europe, et vous, ministres des cabinets, qui avez médité son abaissement et sa ruine, une funeste expérience a dû vous détromper; sachez que la France est invincible, sachez que c'est à elle à donner la paix au monde et à punir les forfaits dont on s'est renda coupable envers elle. C'est au milieu de la désorganisation de nos armées ; c'est lorsque, dénuées de tout, elles n'avaient pas encore reçu les renforts qui de toutes parts s'acheminaient vers elles, que nous avons triomphe de la coalition en Afrique et en Europe. Quels ne seront pas nos triomphes lorsque les nombreux bataillons qui s'organisent partout auront présenté sur nos frontières une ceinture de baïonnettes? Quels succès nous présage encore l'arrivée de ce héros dont le nom seul vaut une armée, dont l'épée, qui a triomphé en Orient, va briller de nouveau en Europe, rapporter la paix au monde et cimenter la régénération politique de l'Italie? Celui qui à CampoFormio dicta les conditions de la paix, qui à Mantoue rendit des honneurs à un vieux général, celui-là, toujours digne de la confiance des républicains, sera bientôt à la tête de nos armées;

bientôt nous n'aurons plus d'éloges à lui donner, il les aura tous épuisés. » L'orateur demande le renvoi des propositions de Portiez de l'Oise à une commission.

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Bonaparte arriva à Paris le 24 vendémiaire. Il fut reçu du public avec enthousiasme, comme ne l'avait été aucun général. On s'informait de ses moindres démarches; on recueillait ses moindres paroles; on lui prêtait même des mots. L'attention pu blique attira sur lui celle de tous les partis. Chacun voulut l'attirer à lui; et ainsi il reçut les confidences de tout le monde et fut mis au courant de tous les désirs et de tous les projets. Dès ce moment aussi les meneurs du directoire et des conseils furent plus occupés d'intrigues secrètes que de démarches publiques. Les séances du corps législatif devinrent froides, mornes et sans intérêt. Il ne s'occupa guère que des finances et de la réorganisation du jury. Cette monotonie fut interrompue deux ou trois fois par des observations sur l'oppression de la presse ou des dénonciations sur ce sujet ; on dit aussi quelques mots des chouans, mais les discours sur ces diverses questions ne produisirent point de conclusion. Nous trouvons cependant, au milieu de ces débats sans intérêt, un renseignement que nous croyons bon à recueillir. Il est relatif à la situation de notre marine militaire. La République possédait quarante-huit vaisseaux de ligne, cinquante frégates, quarante-deux corvettes, quatorze bricks, dix lougres, seize cutters, douze avisos, six chebechs, onze goëlettes, quatorze flûtes et gabares, vingt-cinq chaloupes canonnières, cent trente-cinq bateaux canonniers et cent soixante-dix-sept bateaux construits pour la descente en Angle- Il y avait sur le chantier treize vaisseaux de ligne, douze frégates, quatre corvettes et deux goëlettes.

terre.

Pendant que les républicains des cinq-cents gardaient un silence maladroit, et laissaient l'attention publique se préoccuper d'un homme et des fêtes qu'on lui donnait, on lisait, dans les journaux modérés, des articles où l'on s'entretenait des espérances que faisait naître le retour du vainqueur de l'Italie et du pacificateur de Campo-Formio.

JOURNÉES DES 18 ET 19 BRUMAIRE AN VIII

(9 et 10 novembre 1799 ).

Bien que la plupart des acteurs principaux de ces journées aient livré à la publicité des mémoires plus ou moins étendus, il est difficile, il est peut-être même impossible de faire une histoire exacte, soit des démarches secrètes qui précédèrent cette révolution, soit de la conjuration qui en prépara et en régla l'exécution. Chacun, dans ses mémoires, se donne le beau rôle, accuse ses adversaires, et cache avec soin le côté où il se sent coupable. Nous avons beaucoup de raisons de penser que les documens même qui semblent écrits avec le plus de franchise ne contiennent pas toute la vérité; nous ne croyons pas même à l'exactitude de la narration contenue dans les Mémoires de Sainte-Hélène. Napoléon ne s'explique pas sur beaucoup de faits importans: ainsi il avait à nous dire si c'était de son propre mouvement qu'il était revenu d'Égypte; il avait à prouver qu'il n'avait reçu aucun ordre à cet égard. Il y eut, a-t-on dit, un arrêté du directoire, en date du 7 prairial, signé Treilhard, Barras et Laréveillère, qui rappelait Bonaparte en France. Laréveillère déclare, il est vrai, dans ses Mémoires, qu'il ne se souvient pas d'avoir donné cette signature. Mais trop de contemporains ont assuré que Bonaparte avait reçu l'ordre de revenir; la situation du directoire avant le 30 prairial explique trop bien un tel ordre ; l'opportunité même du retour de Bonaparte à l'époque où nous sommes est trop évidente, pour que l'on puisse attribuer à la seule spontanéité du jeune général une démarche qui le compromettait dans l'opinion et dans l'armée. S'il n'y eut en France personne dans la confidence de cette démarche hardie, comment pourrait-on expliquer la brusque insertion dans les journaux des bulletins de nos victoires en Égypte et en Syrie, insertion manifestement calculée de manière à précéder la nouvelle du débarquement à Fréjus, et à dissimuler l'odieux d'un retour qui était une véritable désertion?

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