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Jourdan. « Je demande à expliquer mes intentions. Les orateurs qui ont parlé jusqu'à ce moment se sont attachés à démontrer que nous avions l'intention de renverser le gouvernement. C'est une tactique perfide, que l'on n'emploie que pour éloigner la mesure salutaire que j'ai proposée. ›

Thiessé. Je demande à faire une observation sur ce que vient de dire Jourdan... (Plusieurs voix. Maintenez l'ordre de la parole.› Agitation.-Tumulte. - Poulain-Grandprey. « Je demande la parole pour éclairer le conseil...-Thiessé la conserve pour un fait.) Jourdan, dit-il, a exprimé une vérité qui est dans son cœur, lorsqu'il vous a dit que son intention n'était pas de renverser le gouvernement, et je pense aussi que ce n'est pas celle d'un très-grand nombre de nos collègues... A ces mots, une violente agitation se manifeste; Salicetti, Grandmaison, TexierOlivier s'élancent à la tribune; ils entourent l'orateur, et l'interpellent de la manière la plus violente. Des clameurs se font entendre de diverses parties de la salle; plusieurs membres, oubliant la gravité du costume qui les décore, se livrent aux agitations, aux vociférations, aux gestes les plus menaçans, contre ceux qui leur sont opposés. Plusieurs voix s'écrient: Rappelez l'orateur à l'ordre. - Après un long tumulte, le calme se rétablit.

Le président met aux voix le rappel de l'orateur à l'ordre. Il est adopté, et Thiessé est rappelé à l'ordre.

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Grandmaison. Quand nous voyons paraître sur la scène de vils flatteurs de l'ancien gouvernement; quand de pareils hommes prétendent ici en imposer aux républicains... (Les tribunes applaudissent; murmures, agitation.); oui, quand de pareils hommes accusent les autres de conspirer, peut-on contenir son indignation? Je le déclare, nous les signalerons, nous les poursuivrons jusqu'au fond des enfers..... L'orateur continue à parler sur ce ton, et avec la plus grande véhémence; mais le feu qui l'anime nuit à son débit; sa voix s'altère, on ne peut l'entendre; il quitte la tribune. - Texier-Olivier s'écrie: « Je demande que Thiessé déclare ceux qui conspirent! - Plusieurs voix. C'est › « cela.

Thiessé, avec calme. Je vais le faire ; je ne suis monté que pour cela à la tribune. Je tiens en main une motion d'ordre imprimée et signée de quatre membres, à la fin de laquelle on demande que la patrie soit déclarée en danger, et qu'une commission présente ensuite les mesures extraordinaires que les circonstances exigent. J'ai parcouru cet écrit, et j'y ai lu que le centre du mouvement à imprimer à toute la République devait prendre son impulsion dans les conseils. (Murmures.) Si l'auteur a prétendu que le centre de ce mouvement fût dans les conseils de concert avec le directoire, il a eu raison; si séparément, il a tort; et c'est ce qu'il n'a pas dit. Il va plus loin; il soutient que l'on ne doit pas être assez pusillanime pour s'assujettir à rester dans le cercle étroit que trace la Constitution: (Murmures.) Cette motion est de Déclerck du Nord. >>

Texier-Olivier et plusieurs autres. ‹ Lisez-la. » —— Thiessé. « Je vais la lire. Cette lecture était commencée, lorsque Bertrand du Calvados et Voussen du Nord paraissent à la tribune.

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Voussen. Mon collègue Declerck ne désavoue point la motion qu'il a fait distribuer; il la croit conforme à la Constitution; il demande qu'on en fasse lecture. >

» —

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Thiessé allait continuer la lecture, lorsque Texier-Olivier s'écrie Ce n'est pas à l'accusateur à lire l'écrit qu'il dénonce; qu'un secrétaire le fasse. Quirot, Je demande qu'on lise › — l'écrit de Bailleul. - Ici la discussion s'embrouille; la délibération s'enchevêtre ; motions sur motions sont faites. Les uns demandent que l'on continue la lecture; les autres qu'on la cesse ; d'autres qu'un secrétaire remplace Thiessé. Après deux épreuves douteuses, une voix s'écrie ; « L'ordre du jour sur le tout. » — L'ordre du jour est adopté, et la discussion est reprise sur la motion de Jourdan.

Doche-Delisle, Bertrand du Calvados et Poulain-Grandprey, y reproduisent en sa faveur les motifs développés par les précédens orateurs, et qui se tirent principalement des dangers qui menacent la patrie au dedans et au dehors. Nous les avons fait connaître.

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Chasal. La déclaration que l'on demande n'est pas celle de la vérité. L'Italie, il est vrai, est envahie; la République batave est sur le point de l'être; mais il est faux que la France soit en péril. (Murmures.) Non, s'écrie l'orateur, la France n'est pas en péril, parce qu'une nation de trente millions d'hommes ne peut périr; parce que ses périls, qu'on exagère, sont pour ses ennemis. J'en jure par vous-mêmes, j'en jure par ses magistrats, j'en jure par nos généraux, par nos conscrits; j'en jure par les républicains de la Haute-Garonne, du Midi et de l'Ouest; j'en jure par l'universalité des Français; j'en jure par la liberté et par ses miracles'; non, la République n'est point en péril; il n'appartient de la déclarer telle qu'à ceux qui en désespèrent.

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› Quand le général Jourdan fut deux fois battu par le prince Charles, et qu'il effectuait sa retraite sur Kell, il destitua Châteauneuf-Randon pour avoir fait sonner le tocsin dans le département du Bas-Rhin. Ce qu'il désavoua alors, il le fait aujourd'hui. Ce n'est pas dans un département qu'il veut qu'on sonne le tocsin, c'est dans toute la République. Prenez cette mesure, et les lâches deviendront traîtres; les incertains, conspirateurs ; les patriotes s'exaspéreront, et l'exaspération amènera des vengeances, fureurs, des excès; l'ordre sera détruit, l'ordre sans lequel point de gouvernement, point de victoire ; le dernier écu s'enfouira, le commerce sera nul, les travaux seront suspendus, la classe ouvrière sera sans travail, vos conscrits resteront sans armes, et vos armées se dissoudront faute de solde. Qui retiendra alors ce Souvarow, que l'on affecte tant de redouter? Le péril n'existe point, vous le créez en le proclamant.

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» Ce cri, dit-on, entraînera des mesures de salut public. Mais ces mesures, quelles seront-elles? Proclamera-t-on que la France est un camp, les Français une armée, et qu'il ne faut, pour gouverner, qu'un état-major et des généraux ? Viendra-t-on, comme en 1793, nous arracher de nos chaises curules? La patrie est en péril!... Il faudra donc concentrer tous les pouvoirs, créer un comité de salut public, des tribunaux révolutionnaires, des comités révolutionnaires, faire des lois de suspects, etc. Le prin

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cipe une fois admis, serez-vous maîtres des conséquences? On enchaînera votre courage comme celui de la Convention, et vos cadavres sanglans iront au cimetière de la Madeleine joindre ceux des Vergniaud, des Gensonné, etc. Et toi, Lamarque, échappé aux fers de l'Autriche, tu as osé te proclamer l'ami de Condorcet; le même sort t'attend.

› Sous prétexte de salut public, la France sera encore une fois couverte d'échafauds; la moitié des terres sera sous le séquestre, les travaux seront suspendus, la famine couronnera ces excès, et bientôt après viendra l'horrible, la sanglante réaction.

⚫ Serions-nous donc condamnés à revoir les mêmes horreurs? Non, non, j'en jure par mon énergie. J'ai lutte contre toutes les tyrannies. J'ai protesté contre le 31 mai, source funeste de tous nos maux; j'ai combattu au 9 thermidor, au 13 vendémiaire; j'étais au 18 fructidor, au 30 prairial, et je prends acte de mon opposition à la mesure que l'on vous propose. Je me découvre pour être une des premières victimes. ›

Bertrand du Calvados s'attache à prouver que la proclamation de la patrie en danger ne ramènera point le régime exécré de 1795. Qu'y a-t-il de commun, dit-il, entre quelques scélérats, une municipalité conspiratrice, et un sénat composé de deux conseils, dictant les lois, et un directoire les faisant exécuter? Entre une Convention abandonnée à elle-même, et sans boussole sur une mer orageuse, et un gouvernement établi, qui a une Constitution? En donnant l'éveil au peuple, nous ne voulons point le précipiter dans les excès du crime, mais enflammer son courage, relever son énergie, et la diriger par des lois. ›

Sudot combat la motion; Cazalis en prend la défense.

Boulay de la Meurthe. Quoique l'on ait dit, à cette tribune, qu'il n'y a que les royalistes et les plats valets du directoire qui votent contre la mesure proposée, cette assertion, qui ne prouve autre chose que l'intolérance, ne m'empêchera point de la combattre..

L'orateur prouve que la déclaration de la patrie en danger ne produira aucun bien, mais qu'elle fer a beaucoup de mal.

Pour repousser l'ennemi extérieur, que vous faut-il? Des hommes et de l'argent. Vous avez décrété l'un et l'autre objet sans la mesure proposée, et elle ne fera pas entrer un écu de plus dans le trésor public, ni alier un homme de plus sous les drapeaux.

› Pour comprimer les ennemis intérieurs, que nous faut-il encore? des hommes et des lois sévères. Ces lois existent, et jamais aucun code n'en offrit de pareilles. Si elles ne suffisent pas, nous en ferons d'autres, mais tout cela est indépendant de la déclaration des dangers de la patrie.

› On nous fait de beaux tableaux de nos revers en Italie et ailleurs; on les attribue à la trahison; mais, d'après le cours ordinaire des choses, il était impossible qu'il en fût autrement. Nous nous étions tellement étendus, qu'il nous aurait fallu douze cent mille hommes pour nous soutenir sur tous les points. Il est plus aisé de conquérir que de conserver ses conquêtes. Ce principe s'applique à la coalition. Ses succès mêmes tourneront contre elle. Les élémens qui la composent sont hétérogènes; ils ne manqueront pas de se dissoudre. Cette coalition monstrueuse ne s'est formée que par les bruits répandus par l'Anglais que nous voulions républicaniser toute l'Europe. Démentons ces bruits par notre conduite: soyons sages; restons dans notre territoire; respectons les gouvernemens étrangers, et la coalition tombera.

› La mesure proposée est dangereuse. Ne serait-il pas insensé, le médecin qui dirait à son malade: Vous êtes en danger. Le peuple français est le malade: depuis long-temps il est travaillé, déchiré en tous sens par les factions. Il a besoin de calme pour se rétablir. Au lieu donc de lui crier: Levez-vous! recommandez-lui de rester assis. Dans son imagination, la déclaration des dangers de la patrie est liée à des mesures de subversion. Il n'y a, dans l'histoire, qu'un seul exemple d'une déclaration pareille, et cet exemple nous offre le renversement du trône en 1792. En vain at-on dit, que c'était pour avoir des troupes; mais un an auparavant les levées d'hommes avaient été faites, mais la Convention en a levé un million sans cet appareil. Le vrai motif de l'assem

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