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énergiques, extraordinaires. Ici je m'arrête, et j'attends que l'on s'explique sur les mesures, et je répondrai. Je demande la ques tion préalable. » — Impression à six exemplaires.

Quirot.« Il est nécessaire de rappeler les faits qui prouvent que la patrie est en danger. Lorsque du midi au nord, de l'est à l'ouest de la France, un système d'assassinats est organisé ; lorsque la révolte éclate partout contre la République; lorsque dix départemens de l'Ouest sont en proie aux fureurs des chouans; lorsque la terreur empêche les républicains de se lever en masse contre les royalistes; lorsque la flotte batave est livrée par trahison, que la Hollande est peut-être en ce moment conquise;· lorsque la Belgique est menacée ; lorsque l'ennemi nous cerne et menace nos frontières sur tous les points, comment peut-on dire que la patrie n'est point aussi en danger qu'en 1792? Je dis qu'elle l'est plus.

› A cette époque, il existait une masse imposante de citoyens, ardens et vigoureux, qui n'avaient été ni déshonorés, ni découragés, ni accueillis sous les dénominations odieuses de jacobins, de terroristes, d'anarchistes. Un système flétrissant d'ignominie n'avait point été employé contre les amis de la liberté. Alors la plus touchante unanimité régnait parmi les Français. Êtes-vous dans cette position? Qu'est devenu cet enthousiasme pour la liberté? Il a été enseveli dans le même abîme où ont été précipités tant de cadavres républicains, victimes des fureurs des royalistes et des réactionnaires. Partout les patriotes purs sont tombés sous le poignard des assassins. Au dehors, vous avez à combattre les Autrichiens victorieux, les Russes qui se recrutent sans cesse, les Italiens mécontens, exaspérés. Au-dedans, audehors, des ennemis puissans, nombreux, irréconciliables, vous entourent et vous pressent. Votre position est donc plus terrible qu'en 1792; vous devez donc déclarer la patrie en danger, parce qu'elle l'est.

>> Lucien Bonaparte n'ignore point ces faits, et il nous propose d'accorder au directoire une dictature. Mais n'est-ce pas cette dictature accordée à l'ancien directoire qui nous a amené

tous ces maux? Ce moyen est donc inutile et dangereux : son résultat a été de nous arracher les conquêtes de Bonaparte et de faire exécrer le nom français en Italie, en Suisse, en Hollande. Le pouvoir directorial a-t-il maintenu la liberté au-dedans? Vous le savez. On se demandait chaque jour quand se ferait donc la cisalpinade du corps législatif. Ses membres n'osaient coucher chez eux. Pour s'assurer une majorité dans la représentation nationale, on employait les menaces, la violence et l'argent.» (Murmures, agitation.) Plusieurs membres l'interpellent des deux extrémités de la salle. Briot s'écrie: « Je demande la parole pour nommer les députés. Le calme se rétablit, et l'orateur termine en demandant que la patrie soit déclarée en danger.

Aux voix! aux voix! Fermez la discussion! s'écrie-t-on dans plusieurs coins de la salle.

Daunou paraît à la tribune. Il a la parole. Calme.

< Lorsqu'en 1792, dit-il, l'assemblée législative déclara la patrie en danger, elle avait toute prête une loi organique de cette déclaration. Il eût été à désirer que les auteurs de la motion nous eussent présenté une loi pareille (Murmures.), une loi qui nous eût appris les résultats de la déclaration qu'ils proposent. Quant à moi, j'ignore quels seront ses résultats. Je doute qu'elle en produise aucun ; je ne crois point qu'elle soit propre à repousser nos ennemis, à diminuer leur nombre et leur force. Si du moins elle produisait d'heureux effets dans l'intérieur, je ne m'y opposerais point: fera-t-elle prendre des mesures législatives grandes, fortes, énergiques? Je n'approuve ni ne désapprouve ces mesures; car je ne les connais pas. Mais, la déclaration une fois faite, je crains qu'elle n'amène des mesures qui détruisent l'ordre actuel; et cependant il n'est aucun de nous qui veuille se jeter encore dans des mesures révolutionnaires. (Une foule de voix : Non! non!) Ce sentiment, je le sais, est dans toutes vos ames; mais, le premier pas fait, vous en ferez un second, et vous vous trouverez poussés au point où vous ne vouliez pas aller. Ce n'est pas tout d'un coup, mais par une progression insensible, que ce régime exécré s'avance pour dévorer le peuple ; c'est par des mo

tions incidentes, des propositions imprévues, adoptées de confiance et d'enthousiasme, que l'on y arrive. Croyez-vous que la Convention ait jamais eu la pensée de laisser se former autour d'elle ce colosse de puissance qui écrasa la sienne, et qui la tint, ainsi que la France, pendant dix-huit mois dans le plus cruel des esclavages? Non, elle eût reculé d'horreur devant la loi des suspects, devant celle du 22 prairial. Citoyens représentans, que ce grand exemple ne soit pas perdu pour vous. Dépositaires de la Charte constitutionnelle, vous devez la respecter pour votre salut et pour celui du peuple. Vous devez rejeter toutes mesures qui sortiraient du cercle qu'elle a tracé. Mais, pour prendre ces mesures, avez-vous besoin de la déclaration préliminaire que la patrie est en danger? Est-il une mesure que vous ne puissiez prendre sans ce préliminaire? Si vous ne pouvez prendre ces mesures sans un tel préliminaire, dites-le franchement. Si cela est, s'il est des mesures qui ne puissent être amenées sans ces préliminaires, alors je vous rappelle vos sermens. Vous avez juré de maintenir la Constitution de l'an 1. (Oui! oui! s'écrie-t-on de toutes parts.) Eh bien! ignorez-vous donc que déjà le signal de son renversement a été donné? Sans doute la position de la République exige le déploiement de toutes les forces et de toutes les autorités, mais des forces et des autorités constitutionnelles. Si vous avez le malheur de sortir de ce cercle, et de perdre le dépôt sacré de la Constitution de l'an .........› — Ici des murmures éclatent; le président, Boulay (de la Meurthe ), rappelle les interrupteurs à l'ordre. Le calme se rétablit; Daunou reprend. «Oui, une fois que nous aurons perdu cette boussole, nous serons conduits à travers des fleuves de sang, à la plus cruelle des contre-révolutions.

› Je réclame donc la question préalable sur la proposition qui a été faite de déclarer la patrie en danger: 1o parce que cette déclaration n'est accompagnée d'aucune loi organique ; 2o parce qu'elle ne peut produire aucun effet salutaire; 5o parce qu'elle inspire des craintes fondées aux amis de la Constitution. >

Le président quitte le fauteuil et demande la parole pour un fait. « Je ne connais, dit-il, dans les annales du monde, qu'un

seul exemple où la patrie ait été déclarée en danger : c'est celui de l'assemblée législative; nous pouvons donc la prendre pour modèle. Or, le dernier article de la loi qu'elle a rendu à cet égard porte qu'en aucun cas, un pareil décret ne pourra être porté le jour même que la proposition en aura été faite. D'après cela, comme il est quatre heures, qu'il y a encore des orateurs inscrits pour la parole, que je le suis moi-même, je demande l'ajournement à demain. Je le réclame pour l'intérêt public; je le réclame pour la dignité même de l'assemblée, qui vient d'être compromise par les passions qui se sont manifestées dans son sein. >

Plusieurs voix. « L'ordre du jour! Une foule d'autres. L'ajournement! »>

Lamarque. ‹ Ou vous regardez la loi que l'on vient de citer comme existante, ou comme abrogée. Si, comme existante, j'en demande acte (Murmures.), vous ne pouvez vous dispenser de déclarer la patrie en danger...Le président me fait observer qu'il n'a cité cette loi que comme un exemple; mais l'exemple ne peut nous lier. Je m'oppose à l'ajournement. Au reste, je veux que la nation française connaisse mon opinion sur cette déclaration de la patrie en danger. Je ne pense point que cette grande mesure ait provoqué le renversement de la Constitution de 1791; je le déclare, j'étais sincèrement attaché à cette Constitution. Cette déclaration produisit le plus grand bien; elle poussa cent cinquante mille hommes aux frontières. C'est lorsqu'on eut découvert que le chef du pouvoir exécutif conspirait et trahissait lui-même, que son trône fut renversé; voilà la seule cause du renversement de la Constitution de 1791. Lors donc que l'on demande que la patrie soit déclarée en danger, ce n'est point pour renverser le gouvernement, car nous sommes tous intéressés au maintien de la Constitution de l'an 11. »

On réclame l'ajournement. Le président le met aux voix. Il prononce qu'il est adopté. De vives réclamations se font entendre.

Destrem. « Je réclame l'appel nominal. Il faut, dans cette

séance, nous prononcer de telle manière que le peuple entier soit assuré à quelle majorité la grande mesure que l'on propose sera adoptée.

Blin. «< Puisque l'on réclame l'ajournement, je demande que le conseil se déclare en permanence... » A ces mots, des applaudissemens partent des tribunes. Des murmures se font entendre; une vive agitation se manifeste dans le conseil. Le président, debout, s'écrie : « Je réclame le silence; je demande la parole pour moi. (Calme.) L'ordre public vient d'être troublé, il est de mon devoir de le rétablir. Au mépris du réglement, des applaudissemens sont partis des tribunes. Quelques voix. Non! non! » Une foule de voix. Oui! oui!« Je rappelle les citoyens des tribunes au respect qu'ils doivent à la représentation nationale, et j'ordonne aux huissiers de surveiller et d'exclure les interrupteurs. ›

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Blin continue. « Je ne veux point m'élever contre la décision de la majorité du conseil ; mais les dangers qui nous menacent, qui nous pressent, qui nous entourent, sont si grands, que je demande que le conseil se déclare en permanence. »

On réclame l'appel nominal. Bertrand du Calvados s'écrie: • Ce n'est qu'après deux épreuves douteuses que l'appel nominal doit avoir lieu. Je demande que l'épreuve soit renouvelée. » Le président renouvelle l'épreuve, et il prononce encore que l'ajournement est adopté.

On réclame à grands cris l'appel nominal.

Marquésy s'élance à la tribune; il s'agite avec violence, il s'écrie: Il est tuant pour la République de demander l'ajournement. Lorsqu'au siége de Toulon... » Des murmures couvrent la voix de l'orateur. Le président lui rappelle qu'il n'a la parole que pour parler contre l'ajournement, et que l'on va procéder à l'appel nominal, que l'on réclame de toutes parts.

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Soulhiez. Les dangers de la patrie sont grands, sans doute. Le déclarerez-vous au peuple français ? Les uns disent oui; les autres, non. On a beaucoup parlé là-dessus; on veut parler encore. Je ne vois pas pourquoi on s'opposerait à l'ajournement.

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