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moins redoutable que toutes celles dont le génie tutélaire de la France a triomphé; faction qui menace la liberté par le renversement de la fortune publique et la démoralisation de la société ; faction dont tout n'atteste que trop la déplorable influence, qui est parvenne à étouffer les passions généreuses, par la plus vile de toutes, la cupidité; faction enfin trop peu signalée et trop faiblement combattue jusqu'à ce jour, et dont il est bien temps d'arrêter les progrès et de troubler la sécurité.

» Cette tâche vous appartient, et le peuple a le droit de l'attendre de ses représentans.

› Puisse ce premier trait lancé de cette tribune contre les dilapidateurs être le signal d'une guerre à mort, et porter dans leurs cœurs une inquiétude qui se lira sur leurs fronts, et à laquelle le fracas des plaisirs n'imposera point silence.

» Pour arriver à ce grand résultat, il est surtout nécessaire que vous dirigiez toute votre attention sur l'administration militaire; aucune n'exige une législation plus claire et plus soignée, une comptabilité plus rigoureuse, une surveillance plus soutenue. »

Ici l'orateur trace le tableau des changemens que cette administration a éprouvés depuis le commencement de la révolution; il développe ce qu'elle fut sous Robespierre, et après le 9 thermidor; puis il s'exprime en ces termes : « Le royalisme s'empara bientôt de cette grande journée, et son influence vicia toutes les parties du corps politique.

L'administration des armées en ressentit surtout les cruels effets. Un relâchement subit dans l'action du gouvernement amena la désorganisation de tous les services; le discrédit progressif du papier-monnaie embarrassà toutes les opérations; sa dégradation rapide embrouilla toutes les combinaisons. Alors se multiplièrent les marchés lésionnaires et les opérations les plus désastreuses. De cette époque datent les nouvelles fortunes. On vit sortir tout à coup de la fange un essaim de parvenus: enfans de l'agiotage et de l'immoralité, on les vit afficher, à la suite des camps, le luxe le plus effréné et l'esprit le plus contre-révolutionnaire. Tous les sacrifices de la République épuisée s'arrê

taient dans leurs mains impures, et ils ressemblaient plutôt à un corps ennemi posté sur les derrières de nos armées pour leur couper les vivres, qu'à des agens chargés de les alimenter. Tandis qu'ils nageaient dans l'abondance, nos braves défenseurs, qui ne se montrèrent jamais plus grands que dans les circonstances difficiles, éprouvaient toutes les horreurs de la disette. Sans habits, sans souliers, souvent sans pain, il ne leur restait que leur courage et leur patriotisme, dont le feu sacré se conserva toujours dans leurs rangs impenetrables. La valeur fut leur unique ressource; et ce qu'une administration impuissante ou malveillante n'avait pu leur procurer, ils l'obtinrent de l'ennemi par le fer.

› Telle était la situation des armées au commencement de l'an iv. L'administration n'était qu'une machine compliquée, un chaos inextricable, un gaspillage affreux. L'établissement de la Constitution vint enfin apporter un terme à ce désordre; une salutaire régénération commença à s'opérer; la régularité s'établit peu à peu; on parla de comptabilité, et la nation put reconnaître, dans ces premiers et bienfaisans effets d'un gouvernement stable, le gage certain de la cessation des grandes convulsions politiques et l'aurore de sa prospérité. Le ministère de la guerre fut organisé : celui qui le premier occupa ce poste important signala les courts instans de sa gestion par une foule de changemens utiles; mais il était réservé à son successeur de débrouiller ce chaos, et d'y porter la hache de la réforme. Les dépenses furent classées et régularisées; l'usage des revues se rétablit ; on constata l'effectif des corps; des entreprises furent substituées aux régies. Le même plan d'amélioration se suit avec persévérance : il est satisfaisant de pouvoir annoncer, cette année, une grande diminution dans les dépenses de ce département..

» Mais quelque grands et fructueux qu'aient pu être jusqu'à ce jour les efforts du gouvernement pour régulariser l'administration militaire, et détruire les abus qui y règnent, gardonsnous de croire qu'ils soient entièrement extirpés: nous sommes

bien loin de ce terme heureux ; et pour y parvenir, il faut, et des

efforts et de la persévérance.

› L'administration militaire réclame des dispositions législatives sur la comptabilité, les revues, la solde, les masses et les marchés. La commission s'en occupe. Le rétablissement des-masses, de l'aveu du ministre de la guerre, produira une économie de trente millions. La publicité des marchés est le vœu de tous les hommes probes; des traités conclus, résiliés, cassés, modifiés et renouvelés dans l'ombre, provoquent des soupçons fàcheux, et appellent la défiance. Un peuple libre a le droit de suivre de l'œil l'emploi de ses contributions; et les opérations mystérieuses ont rarement les faveurs de l'opinion. >

Le rapporteur annonce ensuite que le montant des dépenses de la guerre, qui devait être pour l'an vii de 298 millions, ne sera que de 262, attendu que les républiques batave et cisalpine paient 36 millions pour l'entretien des troupes françaises qu'elles ont à leur service. Ainsi, comme la dépense de l'an vi a été de 341 millions, il en résulte qu'il y a pour l'an vii une diminution de près de 80 millions.

La commission propose le projet suivant :

• ART. Ier L'état de l'armée, pour l'an vii, est maintenu au pied de guerre.

» II. Les dépenses pour l'ordinaire et l'extraordinaire sont réglées à la somme de 262,581,902 f.»

-On verra bientôt quel fut le résultat de la proposition de Chabert. Pour le moment nous allons suivre l'histoire des travaux financiers de l'assemblée.

Villetard, rapporteur de la commission, présenta le budget des recettes pour l'an vi le 22 thermidor. Il proposa de fixer les revenus de la manière suivante :

-

Contribution foncière, 210 millions.- Contribution personnelle, 30 millions. - Enregistrement, 80 id. Greffes, 10 id. - Timbre, 50 id. - Amendes, droits divers, 2 id. - Hypothèques, 8 id.- Patentes, 20 id.-Douanes. 10 id.-Poste aux lettres, 10 id,-Droit sur les voitures publiques, 1 id. - Taxe des

routes, 30 id.

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Droit de garantie de l'or, 1 id.

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Salines et

marais salans, 30 id.-Poudres et salpêtres, 500 mille francs.— Tabacs, 10 millions. Loterie, 10 millions. Revenus des forêts, 25 id. Revenus des domaines nationaux, 20 id. - Vente du mobilier, 10 id. - Rentes foncières, 20 id. - Créances sur les pays conquis, 10 id. - Reprises sur les comptables, 22 millions 500 mille francs. Total, 600 millions.

Parmi les impôts proposés, il y en avait un nouveau que le souvenir des anciennes gabelles rendait particulièrement odieux; c'était l'impôt sur le sel. On espérait en tirer 30 millions en mettant un droit de dix centimés par livre. La question de cet impôt fut longuement débattue; elle occupa un grand nombre de séances; il fut enfin repoussé. On remarqua Lucien Bonaparte parmi les opposans; il se fit distinguer par une énergie de langage qu'on trouvait rarement parmi les députés de cette époque.

Pendant qu'on discutait l'impôt sur le sel, vint un rapport sur les dilapidateurs. Nous en donnons l'analyse :

CONSEIL DES CINQ-CENTS.

Séance du 2 fructidor, an vi.

Duplantier de la Gironde, au nom de la commission chargée d'atteindre les dilapidateurs, fait dans cette séance le rapport qui a été lu en comité secret. La commission, dit l'orateur, inaltérable dans son travail,comme dans sa haine contre ces ennemis de la morale publique, sondera d'une main hardie la profondeur de l'abîme qu'ils ont creusé sous nos pas. Elle a vu les maux présens; elle s'est occupée de leurs remèdes. Ces maux sont sans nombre.. Il n'existe aucune partie de l'administration publique où l'immoralité et la corruption n'aient pénétré. Vous voulez atteindre les coupables, aucune considération particulière ne vous arrêtera. Vous êtes responsables de toutes les atteintes portées à la morale publique. Une plus longue indulgence vous rendrait complices de ces hommes que la voix publique accuse. Ils seront frappés du haut de leurs chars somptueux, et précipité dans le néant du mépris public, ces hommes dont la fortune

colossale atteste les moyens infâmes et criminels qu'ils ont em◄ ployés à l'acquérir.

› La bureaucratie est devenue un pouvoir qui brave tous les autres. En vain, l'union qui règne entre le corps législatif et le directoire, doit assurer l'exécution des lois; les employés des bureaux en décident autrement, et leur inertie coupable, lorsqu'il s'agit d'exécuter la loi, équivaut au vető royal. Ainsi ceux que l'erreur a fait mettre sur la liste des émigrés languissent dans l'attente de leur radiation, tandis que les coryphées des conspirateurs ont à peine senti les effets de la loi du 19 fructidor. N'at-on pas vu des surveillances se vendre dans les bureaux du ministre de la police? Chaque jour on entend dire que l'or seul peut faire ouvrir les cartons des bureaux des administrations et des ministres. Veut-on obtenir justice, il faut payer tant à tel employé, tant à la maîtresse de tel autre, etc. La corruption et l'immoralité sont à leur comble: aux maux extrêmes il faut de grands remèdes. >

Le rapporteur les propose dans un projet qui porte en substance, 1° qu'aucun citoyen exerçant des droits qui lui ont été soit médiatement, soit immédiatement délégués par le peuple, aucun fonctionnaire civil et militaire, aucun agent de la République, auçun individu attaché aux administrations et aux tribunaux civils et militaires ne peut être fournisseur, ni employé dans les bureaux des administrations des vivres, hôpitaux, etc., ni fermier de contributions, ni intéressé dans les fermes, ni agent, ni caution;

2° Que ceux qui seront dans ce cas seront tenus, dans le mois, d'opter;

5° Que tout fonctionnaire, etc., qui n'aurait pas opté dans le délai déterminé, sera puni de la dégradation civique, destitué de son emploi, et déclaré incapable de servir la République;

4' Que tout ce qui sera dû à ce fonctionnaire sera confisqué au profit de la République ;

5° Que tout fonctionnaire, etc., qui sera convaincu d'avoir reçu

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