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revers, elles n'ont pas perdu le souvenir de leurs victoires. Quelle parité peut-on donc établir entre l'époque actuelle et celle de 1792! (Murmures.)

> On parle, il est vrai, d'un traité avec un roi, d'une constitution monarchique; mais, comme moi sans doute, vous n'ajoutez aucune foi à de pareils bruits, et ce n'est pas sur la parole de quelques hommes nouveaux que vous irez condamner un homme qui, dès l'aurore de la révolution, a servi la cause de la liberté avec tant de lumière et de courage. (Plusieurs voix : Ce n'est pas là la question. L'orateur : Je ne m'en écarte pas. Le président : Je rappelle les interrupteurs à l'ordre. Chénier continue.) Aujourd'hui ceux qui organisent nos moyens de défenseont la confiance nationale; en 92, ceux qui étaient à la tête du gouvernement avaient contre eux l'exécration du peuple. Tout cela démontre que les dangers de la patrie ne sont pas, à beaucoup près, aussi grands qu'ils l'étaient en 1792. › (Murmures.) Lamarque fait lecture d'un discours écrit, dont voici les traits les plus saillants. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de maintenir la Constitution de l'an 3; nous ne sommes divisés que sur les moyens d'atteindre ce but. Il serait dangereux de prolonger cette discussion; il faut la terminer promptement.

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> Faut-il, sans porter atteinte à la Constitution, imprimer à la marche constitutionnelle une force proportionnée au péril qui nous menace? L'affirmative ne peut souffrir aucun doute; mais cette force extraordinaire doit-elle conserver le caractère ministériel et secret, ou bien prendre le caractère national, et se déployer à la fois et dans le directoire, et dans la représentation nationale et dans le peuple? Voilà la question.

Les partisans de la première opinion se fondent sur les motifs suivans: Le secret est nécessaire dans les opérations, soit militaires, soit diplonfatiques du gouvernement. Dans la crise actuelle, il faut concentrer le pouvoir et les forces, au lieu de les subdiviser. Le directoire seul peut donner à nos forces la direction convenable, préparer la paix par la guerre et par les négociations, fermer les réunions politiques, ou leur donner la direc

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— DU 1er MESSIDOR AN VII (1799) tion qui convient au salut public. Si à ces mesures se joignent les finances, alors les barbares sont repoussés, et la liberté républicaine est inébranlable. Au contraire, si l'on déclare la patrie en danger, le gouvernement est entravé dans sa marche, et tout fait craindre le retour des excès de la démagogie.

› Ce système est faux ; il n'en est pas du gouvernement républicain comme du monarchique. Ce qui affaiblit l'un renforce l'autre. Dans les monarchies tout gît dans la force des gouvernans, et dans les républiques, tout est dans la force des gouvernans et dans celle du peuple. Les monarchies se soutiennent par le génie de quelques hommes, les républiques par l'énergie des représentations nationales. Nous sommes constitués en république; nous connaissons la grandeur des dangers qui nous menacent, et la nécessité d'y remédier par des moyens extraordinaires, qui, sans entraver la marche du directoire, ajouteront à sa force toute celle du peuple et de la représentation nationale.

» On craint que la déclaration de la patrie en danger ne trouble l'ordre public; et moi je dis que cette déclaration le maintiendra, en réunissant tous les Français vers un point commun, la défense commune.

» Lorsqu'au 12 juillet 1792, nous demandâmes à la législature, de déclarer la patrie en danger, des hommes, qui se prétendaient plus constitutionnels que nous, regardèrent cette motion comme une motion de désordre. Mais les amis de la liberté se réunirent, et le décret fut rendu. Ce cri de la patrie en danger opéra les plus salutaires effets; il releva le courage, ranima l'enthousiasme des Français pour la libèrté, et l'ennemi fut repoussé.

› Pendant que nous sommes tranquillement assis sur nos chaises curules, les barbares s'avancent, les conspirateurs de l'intérieur les appellent, et sont prêts à les seconder. Qu'attendonsnous donc? Levons-nous à la fois, et crions: Aux armes, citoyens! que ce cri, répété partout, retentisse à la fois dans toutes les communes, et vous verrez les républicains se lever en masse, se presser autour des autorités, s'organiser en bâtaillons. S'il était un parti qui voulût soutenir les barbares du Nord, ou seulement

transiger avec eux, qu'il aille loin d'ici chercher dans la honte un infâme repos. Quant à nous, nous voulons combattre et vaincre, nous voulons la liberté ou la mort. (Applaudissemens.) Je demande que le conseil déclare la patrie en danger, et qu'une commission présente les mesures que cette déclaration commande. » — Impression à six exemplaires.

Lucien Bonaparte. La liberté, ou la mort! tel est le cri que notre collègue vient de faire entendre; cri sublime! auquel nous avons tous répondu, en répétant après lui: La liberté, ou la mort! La liberté doit présider aux délibérations du conseil, et l'on y a porté atteinte par les violences qui se sont manifestées dans cette enceinte; leur récit va affliger la France entière ; maïs aucun de nous ne s'en laissera ébranler. Tous nous émettrons franchement et librement notre opinion sur l'importante question qui s'agite.

» La proposition de déclarer la patrie en danger fut faite dans la commission des sept; je la combattis alors, je la combattrai encore. Que veut le conseil?... (Une voix répond: Sauver la République.» «Oui! oui!» s'écrient une foule de membres se levant à la fois. Une longue agitation se prolonge. L'orateur s'écrie: «Vos murmures ne m'effraieront pas. Talot s'écrie de sa place; il menace l'orateur de la voix et du geste. Le président : « Je rappelle Talot à l'ordre, et j'invite le conseil au silence. Continuez.»> ) Bonaparte continue.

. Nos intentions sont les mêmes...» («Non! non!» s'écrie-t-on d'une part. Oui! oui!» répond-on de l'autre...) ‹Oui, nos intentions sont les mêmes; nous ne sommes divisés que sur les moyens de sauver la République. On vous l'a dit, il existe à cet égard deux systèmes. J'ai repoussé loin de moi toutes les mesures semblables à une déclaration de la patrie en danger, à une fédération, etc.; je ne me suis décidé que pour tous les moyens contenus dans le cercle de la Constitution, qui consistent à donner au pouvoir exécutif toute la latitude...» (Quelques voix. «Ah! ah!» Une foule ́ d'autres. « Oui, oui. » Agitation, clameurs. Le président. « J'invite l'assemblée au calme qui doit présider aux délibérations des

représentans d'un grand peuple. ».) Le calme se rétablit : l'oraleur continue.

Oui, il faut donner au pouvoir exécutif toute la latitude constitutionnelle; il faut de la vigueur au bras chargé de sauver la patrie. Lorsqu'un état est en proie aux factions, il ne peut se sauver qu'en donnant de la force au gouvernement existant, ou en le changeant. Hors de là, point de salut. (Plusieurs voix. «Qui, oui.» Quelques autres. « Oui, créez une dictature. ») «J'entends parler de dictature, reprend avec fierté Bonaparte. Il n'est aucun de nous qui ne fût prêt à poignarder le premier qui oserait se porter pour dictateur de la France. (Applaudissemens.) Quand je propose de donner au directoire toute la latitude constitutionnelle de pouvoirs, je parle de la force qui naît de la confiance. Ce n'est pas en harcelant le pouvoir exécutif que nous lui donnerons la force dont il a besoin pour repousser l'ennemi. Imitons les Romains qui, à la vue du danger, ajournaient tout esprit d'opposition. Imitons les Anglais eux-mêmes. Du moment que nos phalanges eurent débarqué en Irlande, le parti de l'opposition se condamna au silence, parce qu'un danger moindre doit céder à un plus grand.

› Le remède aux dangers de la patrie est dans notre union, dans notre attitude, dans notre calme; toute mesure de salut public qui s'écartera de cette ligne ne sauvera point l'état. Car, je le répète, on ne peut sauver un état en proie aux factions qu'en donnant au gouvernement qui existe une grande force, ou en le changeant. Or, je vous le demande, quel est de ces deux systèmes celui qui peut sauver la République? Au 30 prairial, j'étais convaincu de la nécessité de la seconde mesure; mais, à moins que l'on ne veuille encore reprocher au directoire actuel l'ineptie et la trahison, je crois qu'il est de notre devoir de nous réunir à lui. Quant à moi, je le déclare hautement, je ne vois, dans le directoire, ni ineptie, ni trahison. › (Plusieurs voix. ‹ Il ne s'agit pas de cela. › )

Je pense donc que le système de Lamarque ne tendait à rien moins qu'à jeter l'alarme et la dé fiance dans les esprits, à aug

menter les troubles intérieurs ; je crois que l'intérêt de 1 a patri s'oppose à ce qu'on la proclame en danger; je crois que toutes ces fédérations, cette permanence de nos séances sont des moyens de renversement, et non des mesures conservatrices, car jamais on ne les a employées que pour détruire ce qui existait.

› La nécessité de donner, dans les circonstances actuelles, une grande force au directoire est reconnue de tous les bons esprits. Or, je vous le demande, vaut-il mieux nous exposer aux chances d'une force révolutionnaire qui pourrait nous entraîner tous, que de donner au directoire toute la latitude du pouvoir constitutionnel? Le second système tend à étouffer du même bras, et les royalistes, et les ennemis de la Constitution de l'an III. En fermant la réunion de la rue du Bac, qui leur servait de repaire, le directoire a fait un'acte méritoire, car le dépôt de la Constitution a été aussi remis entre ses mains. Ce n'est pas que je rejette les réunions politiques, mais je les veux organisées. Le système d'union avec le directoire est donc le seul qui sauvera la chose publique.

Les moyens qu'offre ce système sont simples, les anciens l'ont employé; non pas que j'approuve la conspiration chimérique qui a été dénoncée dans ce conseil, mais je parle de son attitude actuelle et de ses actes conservateurs. (Plusieurs voix. « Oui, oui !») Que peut-on espérer d'un pouvoir exécutif qui serait méprisé, bafoué même à la porte de son palais? ( Murmures. ) Il n'y a aucune personnalité dans ce que je dis; loin de moi d'en mettre dans une discussion qui touche de si près au salut public. Les mesures à prendre sont l'absence de tout acte révolutionnaire, la confiance au directoire, et l'éloignement de tout soupçon de trahison ou d'ineptie de sa part, sans quoi il faudrait le renverser encore, comme au 30 prairial. (Agitation.) C'est d'après ces observations que la commission des sept a rejeté la mesure proposée.

» Je persiste à croire que la déclaration de la patrie en danger ne produira rien, si elle est seule, et qu'elle excitera la défiance et le trouble, si elle n'est que le prélude de mesures nouvelles,

T. XXXVIII.

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