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Le parti républicain, de plus en plus inquiet, fit une nouvelle tentative pour appeler uniquement l'attention sur la situation des affaires générales.

CONSEIL DES CINQ-CENTS. Séance du 24 fructidor an vi (10 septembre 1799).

Briot. Vous voyez se développer autour de nous la chaîne perfide qui amène toutes les forces de la coalition autour de nous. Depuis quelques jours l'œil inquiet des amis de la liberté se portait sur la république batave; le fait qu'on vous annonce justifie toutes nos craintes. Je demande pourquoi les hommes qui exercent la plus grande influence dans la Batavie ont négligé de prendre les mesures les plus propres à défendre le pays contre une descente; je demande pourquoi ces mêmes hommes ont négligé d'envoyer dans nos ports la flotte hollandaise, pour se réunir à la nôtre, et par cette négligence coupable, ont diminué d'un tiers nos forces navales, et ont augmenté celles de nos ennemis. Que penser de cet amiral batave qui raconte froidement qu'une insurrection dans les équipages l'a forcé de se rendre. Quoi! cet homme n'avait pas la Sainte-Barbe dans son vaisseau? Le lâche! il a mieux aimé se rendre que de sauter en l'air avec son vaisseau! L'insurrection de quelques matelots le force de se rendre! C'est à vous à marquer ce lâche, au front, du sceau de l'infamie.

Il est ici un objet qui mérite toute votre sollicitude. Vos frontières sont entourées, menacées. Vous devez vous assurer si elles sont en état de défense. On a vendu Mantoue, Turin, l'Italie; craignez qu'on n'en fasse de même pour vos places fortes. Les traîtres sont protégés, soutenus; vous avez tout à redouter. Quoi! citoyens représentans, les plus grands dangers vous menacent au dehors et au dedans, et vous resteriez dans une coupable inertie! Attendez-vous, pour vous réveiller de votre assoupissement, qu'une insurrection éclate aux portes du sena!? Vous devez tout faire pour empêcher l'explosion qui vous menace. Vous avez nommé au scrutin, et avec grand appareil, une com

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mission de sept membres, pour vous présenter des mesures propres à sauver la patrie, et cette commission est restée au dessous de sa mission; elle n'a point répondu à votre confiance; il est temps qu'elle se montre digne d'elle, digne de vous, et qu'elle remplisse vos intentions. Un vaste précipice est creusé sous vos pieds; gardez-vous de vous endormir sur le danger qui vous menace. Connaissez le secret de vos ennemis; déjà ils soufflent autour de vous le feu de l'insurrection. Il importe que vous sachiez si nos frontières sont en état de défense, si nos places fortes sont approvisionnées, dans le cas d'une invasion dans la Belgique. Depuis long-temps les papiers publics annonçaient les préparatifs de l'expédition secrète qui se préparait dans les ports de l'Angleterre. C'était le secret de la comédie, personne n'ignorait qu'elle était destinée contre la Hollande; comment donc est-il arrivé qu'il n'ait été pris aucune mesure de défense?

› Je demande : 1o qu'il soit dépêché un message au directoire pour en obtenir des renseignemens sur l'état de nos frontières et sur la situation de la République; 2o que la commission des sept soit tenue de vous présenter dans trois jours des mesures énergiques de salut public. › — Adopté.

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-Le directoire, pour détruire l'effet de ce discours, se hâta de transmettre le résultat des visites domiciliaires faites à Paris; elles avaient produit cinq cent quarante arrestations. Il proposait de plus d'appliquer la loi des otages à dix-huit départemens.

CONSEIL DES CINQ-CENTS.

·Séance du 27 fructidor an vii (15 septembre 1799.)

Jourdan (de la Haute-Vienne.) Par motion d'ordre : « Les dangers de la patrie sont si grands, qu'un représentant du peuple serait coupable de garder le silence sur les maux qui pèsent sur elle et sur ceux qui la menacent. Je vais déchirer le bandeau de mort qui couvre les républicains, et arracher le baillon que l'on s'efforce en vain de mettre à leurs bouches pour étouffer leurs plaintes. Cette entreprise n'est pas sans dangers, je ne me le dissimule point, mais je les brave. On périt honorablement,

quand on meurt pour la cause du peuple. (Plusieurs voix ‹ Oai, oui.)

Après cet exorde, l'orateur trace le tableau de tous les revers que la République a éprouvés en Italie, en Helvétie, en Hollande, puis il s'écrie: Nos places sont livrées par la trahison; nos soldats sont autant de victimes immolées aux mânes des tyrans; les barbares du Nord sont à la veille de souiller de leur présence le sol de la liberté; ils menacent d'une invasion prochaine nos départemens du Midi; c'est sur les cadavres sanglans des républicains, qu'ils veulent proclamer la destruction de la liberté, et le rétablissement du trône.

Dans l'intérieur, une vaste conspiration royale embrasse dans ses fils toute la République; son comité central réside à Paris; et dans peu le tocsin de l'esclavage sonnera dans la France, comme celui de la liberté sonna au 14 juillet. Et quand de pareils dangers nous menacent, les sentinelles établies par la Constitution gardent un coupable silence! Au lieu d'appeler les républicains aux armes, elles restent endormies! Représentans du peuple, c'est à vous de suppléer à ce silence, c'est à vous de signaler au peuple les dangers qui le menacent, c'est à vous de chercher dans votre sagesse les mesures de salut public que les circonstances commandent pour le sauver. En vain décrétez-vous des impôts, jamais il n'alimenteront le trésor public, si les voleurs restent impunis, et si on ne ranime l'enthousiasme des beaux jours de la liberté.

› Après le 30 prairial, vous avez senti ces vérités, et déjà les sociétés politiques relevaient l'esprit public, elles excitaient les conscrits à se rendre sous les drapeaux; mais du moment qu'elles ont signalé les traîtres, les voleurs, on les à taxées de contrerévolutionnaires. Elles ont dénoncé une vaste conspiration royale, et on les a traitées de conspiratrices. On les a fermées, et par-là, on a arrêté l'élan du patriotisme; et déjà le tocsin de la réaction, qui s'est fait entendre à la tribune des anciens, a ranimé l'espoir des royalistes, découragé les républicains; les patriotes dispersés n'ont plus su à quel fil se rattacher. Confondus avec les

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royalistes les plus effrénés, ils ont été obligés de rester dans une inaction nuisible à la chose publique. Ce système machiavélique a éteint toute énergie républicaine.

> › On craint la terreur et les comités révolutionnaires; craintes chimériques, suscitées par les royalistes pour empêcher l'union si nécessaire entre les patriotes. Quant à moi, je le déclare, tout mon vœu est pour le maintien de la Constitution; et si je parle aujourd'hui, c'est pour empêcher que nous retombions dans les horreurs d'une révolution nouvelle.

» Repoussons ce système machiavélique, poursuivons de bonne foi nos uniques ennemis, les royalistes et les voleurs; faisons un appel aux républicains; qu'ils se lèvent en masse et se précipitent aux frontières, alors le soleil de l'espérance luira pour notre patrie.

› La patrie est en danger, proclamons cette grande vérité, et qu'ensuite une commission vous présente les mesures énergiques qui seront une conséquence de cette proclamation. >

L'orateur présente un projet conforme.

Aux voix, aux voix, s'écrient plusieurs membres.-L'ordre du jour, répondent d'autres.-Une vive agitation se manifeste dans le conseil; une vingtaine de membres, parmi lesquels figurent Blin, Stévenotte, Bigonnet, Sallicetti, Lesage-Sénault, Augereau, etc., se répandent dans la salle et volent à la tribune. Villetard et Chenier s'y trouvent avec eux; ceux-ci ont de vives altercations à essuyer de la part des autres. Blin surtout se fait remarquer par ses cris et par la violence de ses gestes; le marbre de la tribune retentit des coups dont il le frappe. Le tumulte augmente dans la salle, l'agitation est à son comble. Le président se couvre. Ce signal, si révéré de la Convention même dans ses séances les plus orageuses, n'est point respecté. L'agitation continue, les membres assis aux deux extrémités de la salle se menacent de la voix et du geste. Briot debout fait signe de la main aux tribunes; celles-ci répondent au signál, en criant: vive la République ! leurs clameurs augmentent l'agitation du conseil. On réclame à

grands cris l'urgence. Enfin, le calme se rétablit, le président en profite, et demande la parole pour lui.

Le président, « Je prends à témoin le conseil, que dans cette scène orageuse je me suis comporté comme je le devais. Il était impossible de délibérer dans un pareil tumulte. J'ai dû me couvrir pour le faire cesser; et si l'on continue de se livrer aux mêmes clameurs, je déclare que je me couvrirai de nouveau, et que l'on m'arrachera plutôt de mon fauteuil que de me faire mettre aux voix aucune question, tant que le calme ne sera pas rétabli. ›

Bertrand (du Calvados). « Quelle que soit l'évidence des dangers de la patrie et la nécessité d'y porter remède, c'est dans le silence des passions que cette question importante doit être discutée. Jourdan vous a dit que la liberté du peuple était menacée. Sans doute, l'élan qui vient de se manifester dans le sein du conseil provient du sentiment des dangers de la patrie; mais s'il se trouve ici des hommes qui ne veulent pas que l'on déclare au peuple les dangers qui le menacent, je demande qu'ils soient entendus. Afin que le peuple connaisse ses amis et ses ennemis. (Une foule de voix : Oui, oui. ) Puisque l'union ne règne pas dans. cette enceinte, il faut que la scission éclate, afin que les républicains connaissent leur point de ralliement. Je demande que l'on accorde la parole pour et contre. » — Adopté.

Chénier. Une motion de cette nature exigeroit l'attention la plus réfléchie, et l'on veut qu'elle soit discutée sans préparation; l'auteur de la motion a développé ses idées dans un écrit médité à loisir, et l'on exige qu'elle soit combattue par des orateurs qui ne peuvent qu'improviser une faible réponse. Lorsque la législature, en 1792, déclara la patrie en danger, il existait un trône conspirateur qu'il fallait détruire. (Quelques voix : Il existe aujourd'hui des traîtres.) Nos armées étaient composées à la hâte, inaguerries, peu nombreuses, et commandées par des généraux nommés par des conspirateurs. Aujourd'hui nous avons des généraux républicains (Un membre: Latour-Foissac.); nos armées sont aguerries, elles se renforcent chaque jour, et malgré leurs

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