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⚫ On sait qu'il y a quelque temps, une foule de lettres sont parties de Paris pour inviter les mécontens dans les départemens à adresser au corps législatif des adresses qui puissent appuyer certaines prétentions. La lettre, dont un extrait suit, est sans doute un des premiers résultats de cette correspondance: • Extrait d'une lettre de Privas, du 1er thermidor an vi, écrite à un fonctionnaire public de Paris.

» Les administrateurs du département de l'Ardèche ont rédigé une adresse dans laquelle ils accusent le citoyen Barras d'être l'auteur de nos revers, d'être vendu à la coalition, à qui il a livré les places fortes d'Italie et du Piémont. Le citoyen Siéyès, d'après eux, est aussi vendu à la coalition; ils prétendent qu'il est l'auteur d'une convention secrète qui tendrait à nous donner une Constitution à la 91: ils ajoutent qu'il en a déjà reçu en partie la récompense par le don que le roi de Prusse lui a fait de son portrait, qui vaut, selon leur dire, plus de cent mille écus.

L'on colporte, en ce moment, cette adresse de commune en commune pour mendier des signatures. Il est à remarquer que les commissaires du directoire sont les premiers à la signer, et, au premier jour, elle sera envoyée au corps législatif. La même manoeuvre a lieu dans les départemens environnans, et déjà les deux directeurs sont dénoncés dans les clubs de Valence, de Grenoble, du Puy, de Nîmes, de Saint-Esprit et de l'Ardèche. Un commissaire ambulant, officier-général, parcourt le pays pour organiser l'affiliation de ces différens antres du jacobi

nisme..

Nous ne chercherons pas à expliquer pourquoi le gouvernement fit insérer dans son journal officiel des renseignemens de cette espèce. Il est probable qu'il se proposa par ce moyen d'arrêter les démarches de ses ennemis, et de provoquer un démenti qui empêchât la presse d'en faire le texte de ses articles journaliers. Il se trompa complétement dans ses prévisions. Les administrateurs du département de l'Ardèche réclamèrent; ils déclarèrent que les assertions dont il s'agit étaient fausses en ce

qui les concernait. Ils adressèrent cette réponse au conseil des cinq-cents; elle fut lue publiquement à la séance dú 28 thermidor. C'était, sans doute, tout ce que désiraient Siéyès et Barras. Mais cela n'empêcha pas le Journal des hommes libres de poursuivre le premier comme un homme dévoué par conviction aux opinions monarchiques. Ils se procurèrent une lettre confidentielle que Siéyès avait écrite en 1791, et où il faisait l'aveu de ses croyances politiques. Il s'y prononçait fortement pour le système de la monarchie héréditaire. On comprend facilement quelle influence de pareilles révélations devaient exercer sur les sentimens d'un homme aussi personnel et aussi haineux que le président du directoire.

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Aussi, pendant que les cinq-cents cherchaient à ranimer l'opinion publique, proposaient de porter l'armée, sans compter celle d'Orient, à quatre cent dix-sept mille hommes d'infanterie, soixante-douze mille hommes de cavalerie et gendarmerie, et trente-neuf mille artillerie et génie (séance du 17 thermidor); pendant qu'ils s'occupaient d'effrayer les dilapidateurs et les traîtres en discutant la question de la mise en accusation des exdirecteurs et de leurs complices (séances secrètes des 19, 21 et 22 thermidor); pendant qu'ils ouvraient la discussion sur un projet concernant les moyens de prévenir la corruption (séance du 22 thermidor); la majorité du directoire pensait principalement à imposer silence aux Jacobins. Le parti que représentait le club, chassé du Manége, lui paraissait le seul redoutable.

En effet, on y critiquait toutes ses mesures. On jetait sur lui des soupçons de corruption à propos de l'emprunt de trente millions fait aux banquiers, qu'on prétendait n'être qu'une affaire d'agiotage; enfin on y préparait une pétition au corps législatif, « sur la nécessité de chasser de toutes les fonctions publiques, civiles et militaires, les royalistes, les réacteurs et les voleurs. > Le directoire se détermina à essayer de dissiper cette réunion; en conséquence, le 26 thermidor, un juge de paix, accompagné de forts piquets de cavalerie et d'infanterie parmi lesquels on remarquait quelques compagnies de grenadiers du corps législatif,

vint apposer les scellés sur les portes du temple de la Paix, rue du Bac. Cependant les amis de l'égalité et de la liberté ne se tinrent pas pour battus. Ils annoncèrent qu'ils se réuniraient ailleurs; mais le Journal des hommes libres ne fait plus mention que d'une seule séance de cette société dans un local qu'il ne désigne pas. Ce fut probablement la dernière.

Cette mesure donna lieu à diverses observations, On remarqua que l'on avait essayé de compromettre le corps législatif aux yeux du peuple, en employant les grenadiers de sa garde à l'exécution d'un arrêté directorial. Cela donna lieu à des explications très-vives et publiques dans le conseil des cinq-cents, et le détermina à prendre diverses mesures de police et militaires, qui furent rejetées par les anciens. Le résultat définitif de ces explications fut d'apprendre que l'ordre d'employer les grenadiers du corps législatif avait été donné par la commission des inspecteurs du conseil des anciens. On remarqua encore que cette exécution avait eu lieu le jour même où l'on croyait que les cinq-cents devaient voter sur la mise en accusation des ex-directeurs. En effet, la veille, le 25 thermidor, on avait procédé dans ce conseil à l'appel nominal pour savoir s'il y avait lieu à ajourner la question. Il était donc naturel de penser qu'on s'en occuperait le lendemain, 26 thermidor; mais les nouvelles du Midi, celles de nombreuses insurrections aux environs de Toulouse, et un message du directoire qui demandait l'autorisation de faire des visites domiciliaires, occupèrent toute la séance. L'autorisation demandée fut accordée ; le premier usage qu'en fit le gouvernement fut de faire opérer une descente dans le bureau du Journal des hommes libres, où, au reste, il ne trouva rien.

Le 29 thermidor, un membre des anciens vint dénoncer à ce conseil un article du Journal des hommes libres, ainsi conçu : « Nous l'avons déjà dit, le 30 prairial ne s'est point fait pour la liberté; il a déplace des gouvernans astucieux, traîtres et méchans; il a conservé des gouvernans méchans, astucieux et traîtres: Siéyès et Barras n'ont pas cessé de conspirer contre leur patrie; et Siéyès et Barras dénoncent les amis de la patrie comme

des conspirateurs! Quelle sera l'issue de cette lutte de la tyrannie contre la liberté? faut-il le demander? les hommes passeront et les principes de la démocratie seront éternels..., etc. - Get article excita l'indignation du conseil. Garat monta ensuite à la tribune; il fit remarquer le danger de ces publications, et proposa de solliciter des mesures rigoureuses de répression contre le journal dénoncé. Le conseil accepta tout ce qu'on lui proposait. Il y eut dans le discours de Garat une insinuation, et, par suite, une explication qui méritent d'être recueillies. Le premier insinua qu'à la dernière fête, lorsqu'en signe de joie les troupes faisaient feu, on dirigea sur Siéyès des traits meurtriers. Un député prit texte de cette phrase, et ajouta qu'on ne devait pas à cause de cela mettre en doute les bonnes dispositions de l'armée; que souvent des cartouches à balles se trouvaient mêlées avec des cartouches à poudre, etc. Siéyès avait donc entendu siffler des balles à ses oreilles.

Cependant au conseil des cinq-cents on votait sur l'accusation des ex-directeurs. On fit autant de scrutins qu'il y avait de dénonciations différentes. Il y en avait quatre. Or le dépouillement de tous les scrutins montra que ceux qui voulaient l'accusation étaient moins nombreux que ceux qui ne la voulaient pas. Il y eut même dans les résultats des scrutins une progression décroissante remarquable. Dans le premier scrutin, il y avait presque égalité entre les oui et les non: deux cent quatorze oui contre deux cent dix-sept non, et, dans le dernier, qui fut dépouillé le 2 fructidor (22 août), il n'y avait plus que quatre-vingt-neuf oui contre trois cent quarante-cinq non. Cette épreuve montrait, d'une manière évidente, quelle était la force comparée du parti républicain et du parti qu'il faut appeler gouvernemental. Elle découragea le premier et donna de l'énergie au second; les résultats de cette nouvelle position ne tardèrent pas à se manifester.

Le 3 fructidor, on lut aux cinq-cents une pétition qui demandait la radiation de Siéyès du directoire, attendu que son élection avait été faite, comme celle de Treilhard, en oubli des délais fixés par l'article 156 de la Constitution. Cette lecture excita du

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tumuite; on réclama de toutes parts l'ordre du jour. Bertrand (du Calvados) soutint la validité de l'élection, et l'ordre du jour fut prononcé. On fit plus encore: on accueillit avec faveur le message des anciens sur la presse et on le renvoya, avec approbation, aux directeurs. Dans les séances suivantes, le conseil parut se résigner à remplir purement les fonctions administratives que les messages du directoire lui imposaient. Cependant la situation de la République sur ses frontières n'était pas rassu

rante.

Toute l'Italie avait été évacuée; les Français avaient été refoulés dans les vallées des Alpes, et ils se trouvaient à peu près dans la même position qu'en 1796, lorsque Bonaparte avait pris le commandement de l'armée. Toutes les places occupées par nos troupes avaient été reprises, à l'exception de la seule ville d'Ancône où flottait encore le drapeau tricolore. On ne pouvait attribuer ces revers qu'à l'incurie du directoire et à ses imprudences. Les troupes et les généraux avaient fait preuve d'un courage et d'une ténacité rares. L'opinion n'avait de reproches à faire parmi les généraux qu'à Schérer, qui s'était montré inhabile sur le champ de bataille, et à Latour-Foissac, qui avait manqué d'énergie dans la défense de Mantoue. Or le premier était le protégé de Rewbel, et le second de Barras. Macdonald après avoir, dans un combat de trois jours, tenté vainement à la Trebbia de passer sur le corps des Autrichiens et des Russes, avait cependant réussi à ramener son armée du fond du pays de Naples jusqu'au pied des Alpes et à opérer sa jonction. Aucun des corps si imprudemment dispersés en Italie n'avait été perdu. Tous étaient revenus sur les frontières nationales; et si leur effectif était diminué, au moins ils avaient conservé intact l'honneur de leurs cadres et de leurs numéros. Il ne resta sur les derrières du front austro-russe que les garnisons des places fortes; et encore la plupart ne capitulèrent qu'à condition de rentrer en France.

Ce serait une erreur de croire que cette campagne désastreuse pour la République le fut également pour la gloire de l'armée. C'est un spectacle admirable que présentèrent alors ces petits

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