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Suivez leur marche sous Robespierre: les membres qui les composaient n'étaient plus que des satellites; et dès que le tyran en proscrivait un à la tribune, trente ou quarante d'entre eux allaient saisir la victime. Mon opinion n'est pas moins favorable aux sociétés qui se renferment dans les limites constitutionnelles. >

Chassey. On vous demande des faits, en voici; je les ai entendus (Murmures). Veut-on feindre de les ignorer? Ou vous allez à la réunion du Manége, ou vous lisez les journaux qui rendent compte de ses séances, et je vous demande s'il doit y avoir un président et des secrétaires. S'il n'y avait point d'affiliation et de correspondances, y rendrait-on compte de ce qui se passe à Toulouse, Marseille et ailleurs? On nomme des commissions; on entend des rapports, et, au lieu de citoyens qui peuvent se réunir comme individus, pour s'éclairer mutuellement, vous n'y trouverez qu'un corps délibérant. Dernièrement on invitait chaque membre à donner des notes sur les employés qui ne convenaient pas. Le directoire est lui-même circonvenu; les nominations se font d'avance, et on les met ainsi dans quelques journaux. Un des orateurs y parla même de telle sorte de nos affaires avec la Prusse et la Hollande, qu'on fut obligé de le rappeler à l'ordre. Voilà des faits. ›

Lavaux venge la réunion de ce que l'on envenime ainsi sa conduite, en transformant en arrêté une simple invitation relative à des employés contre-révolutionnaires. Quand on pourrait lui reprocher quelques fautes, n'entend-on pas tous les jours au conseil des anciens que telle résolution prise au conseil des cinqcents, dont les intentions républicaines ne sont pas douteuses; que telle résolution, dis-je, est inconstitutionnelle? Pourquoi donc jugeriez-vous plus sévèrement les membres de la réunion du Manège? >

On demande que la discussion soit fermée, et le conseil la termine en adoptant la proposition de Duffaut, et il se met sur-lechamp en comité général.

-La décision du conseil des anciens fut notifiée le lendemain aux sociétaires du Manége. Ceux-ci s'occupèrent aussitôt de trouver

un autre local. La municipalité du dixième arrondissement mit à leur disposition le Temple de la Paix. On avait donné ce nom à une ancienne église des Jacobins, située rue du Bac. Aussitôt la commission du club patriotique fit annoncer par affiches, dans Paris, et la notification qui lui avait été faite au nom des anciens, et le changement de domicile de la société.

Ce jour même, le 9 thermidor, les cinq-cents donnaient lieu d'observer la différence d'esprit qui les animait. Ils oubliaient de fêter cette date anniversaire de la chute de Robespierre; bien plus, ils avaient décidé la veille qu'ils continueraient leurs travaux, ce jour-là même, comme à l'ordinaire. La minorité fit entendre de vives réclamations; on argumenta de la loi qui avait ordonné que cet anniversaire fût fêté par toutes les autorités. On nia qu'on eût pris, la veille, une décision contraire. Enfin, on dit que le président n'avait pas son discours prêt, et l'on leva la séance après avoir décidé que la célébration aurait lieu le lendemain ; ce qui eut lieu en effet.

Cependant les anciens, présidés alors par Dubois-Dubay, l'un des compromis de vendémiaire, avaient demandé au directoire des renseignemens sur les sociétés politiques; tel avait été le résultat de leur comité secret du 8. Le directoire répondit qu'il ne pouvait mieux faire, pour satisfaire à leur demande, que de leur envoyer un rapport du ministre de la police. Ce rapport était rédigé selon les sentimens du conseil. Il accusait les sociétaires du Manège d'établir des affiliations secrètes, et de poursuivre le projet de couvrir la France d'un vaste réseau de sociétés populaires correspondantes entre elles, dans le dessein de gouverner la France par la terreur et le scandale des dénonciations, etc. Les anciens renvoyèrent ce message aux cinq-cents. Il fut lu à la fin de la séance du 17; aussitôt quelques voix de la minorité en réclamèrent l'impression : elle fut rejetée. On en demanda le renvoi à une commission; Delbrel fit observer que ce serait donner l'initiative aux anciens. On ajourna la discussion au lendemain.

Le lendemain 18, les tribunes étaient remplies. La séance s'ouvrit au milieu du tumulte. On relut le message. On demanda de renou

veler les épreuves de la veille; elles eurent le même résultat ; et le conseil vota l'ordre du jour, au milieu du bruit, des interpellations et des réclamations de la minorité. Les orateurs de la majorité parlèrent avec une violence qui ne permit à aucun de leurs adversaires de protester autrement que par des interruptions. Ils déclarèrent unanimement qu'il existait une conspiration royale; que l'on égorgeait en tout lieu les républicains isolés; que prendre des mesures contre les sociétés populaires, ce serait donner gain de cause aux conspirateurs. « On a jeté ici, disait Grandmaison, un brandon de discorde. Je n'ouvrirai pas la discussion sur des mensonges. Les rapports que l'on fait, depuis quelque temps, contre les sociétés politiques ne sont propres qu'à faire assassiner encore les républicains; mais, pour cette fois, ils ne laisseront pas réagir. Si les royalistes voulaient de nouveau attenter à notre vie, ils périront; car nous sommes bien déterminés à nous défendre. > - « On veut, dit Garau, diviser la France en égorgés et en égorgeurs; et c'est dans ces circonstances aussi difficiles que vous traitez de misérables questions!... Sauvez la République; sauvez les républicains! Les ennemis sont sur nos frontières occupons-nous d'organiser les moyens de les vaincre... Il faut, s'écria-t-il dans un passage de son discours, que la République entière sache... › Ici une violente et longue interruption coupa la parole à l'orateur; lui-même laissa sa phrase inachevée. Lorsque le tumulte fut apaisé, il reprit le fil de son discours. Que voulait-il apprendre à la France? voulait-il parler des dispositions hostiles du conseil des anciens, de Siéyès et de quelques autres directeurs? Nous l'ignorons.

Les mouvemens royalistes, dont arguaient les républicains, n'étaient que trop vrais. Les partisans de la monarchie déchue montraient en ce moment partout combien ils comprenaient peu les sentimens de l'indépendance nationale; ils s'efforçaient de venir en aide aux armées ennemics, en occupant les forces républicaines à l'intérieur. Il y avait en Bretagne des rassemblemens armés de plusieurs centaines, et quelquefois de mille hommes, contre lesquels il fallait employer la troupe de ligne. La

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chouannerie avait recommencé. Dans le midi, en Bretagne, en Vendée, en Normandie, on attaquait les diligences; on enlevait l'argent du gouvernement; des bandes d'hommes armées et souvent composées de plus de cent hommes à cheval, portant la cocarde, couraient les campagnes; on assassinait les républicains isolés ; quelques-uns même furent frappés en plein jour, au milieu des villes. Le Journal des hommes libres publiait presque tous les jours la liste de ces assassinats, et elle est considérable. A Amiens, à Bordeaux, etc., on affichait des proclamations royalistes, et il y avait des rassemblemens qu'on ne put dissiper qu'à coups de fusil. Enfin, il éclata une insurrection considérable dans le département de la Haute-Garonne. Les royalistes réunirent une petite armée, contre laquelle il fallut combattre et manoeuvrer en règle. Cependant elle fut dissipée après avoir tenu la campagne pendant plusieurs jours, et menacé même la ville de Toulouse.

Les orateurs des cinq-cents avaient donc résolu de déclarer qu'il existait une conspiration royale, et de refuser toute mesure qui eût empêché les républicains de se grouper et de s'entendre pour leur résister. Cependant Siéyès n'était point de cet avis; il choisit une occasion publique pour le faire connaître. Le 23 thermidor, à la fête anniversaire du 10 août, il prononça, comme président du directoire, un discours, dans lequel il dénonça clairement à l'indignation publique tous ceux qui parlaient ou agissaient comme les sociétaires du Manége. Ce ne sont point des républicains, disait-il, ceux dont l'ame servile ne saurait concevoir que les fondateurs de la République et de la liberté soient des républicains; qui, répétant les délirantes injures de cette même cour que le 10 août a renversée, et qu'ils vengent puisqu'ils l'imitent, cherchent encore aujourd'hui à leur imputer, comme l'objet de leurs vœux secrets, je ne sais quel fantôme de roi, tour à tour promené sur tous ceux qu'on a voulu perdre. Détracteurs insensés ou hypocrites qui s'obstinent à ignorer que les hommes, surtout les plus fréquemment attaqués par cette accusation absurde, ont mille fois, et dès l'origine de la ré

DU 1er MESSIDOR an vii (1799) volution,.manifesté leur ardent désir pour que cet homme (le duc d'Orléans), que je ne veux pas même nommer, fût resté à jamais, lui et les siens, dans les rangs ennemis, au lieu de porter l'inquiétude, la défiance et le danger dans les nôtres. —Non, ils ne sont point républicains, continuait-il, ceux qui, à travers leur démagogique langage, laissent percer la prédilection honteuse qu'ils conservent pour les superstitions royales, et semblent à chaque instant vous dire que, puisqu'on a attaqué un roi, ils peuvent, à plus forte raison, attaquer des magistrats du peuple. -Non, ce ne sont point des républicains ceux qui ne savent que recueillir, échauffer, soulever les mécontentemens..... qui ne sont heureux que par les haines, dénoncent avec audace..... qui parlent sans cesse des malheureux..., etc. Serait-ce donc parce qu'ils répètent avec plus de bruit les mouvemens réels de notre commune indignation contre les dilapidateurs et les traîtres, qu'ils espèrent vous en imposer!... etc. Le discours, se terminait par des menaces contre tous les ennemis qui conspiraient contre la République.

Le public fut étonné de cette violente diatribe. Il accueillit donc facilement ce que plusieurs journaux répétèrent ; c'est qu'il était sous l'influence des banquiers, et que ceux-ci, parmi lesquels nous remarquons les noms de Fulchiron et de Pérégaux, n'avaient accordé un emprunt de trente millions qu'à condition de dissoudre les clubs. L'emprunt avait en effet eu lieu dans les premiers jours de thermidor.

Ce n'était pas la seule raison d'état qui poussait Siéyès à ces exagérations, mais son égoïsme blessé. Ce prêtre apostat n'inspirait aucune confiance aux républicains. Ils mettaient en doute sa bonne foi, et se préparaient même à l'accuser. Déjà, le Journal des hommes libres lui avait adressé, sous forme d'avis, de violentes critiques.

D'un autre côté, on recueillait contre lui des documens qui ne tendaient à rien moins qu'à mettre en doute son dévouement républicain. On lisait dans le Rédacteur, journal officiel du directoire, la note suivante, à la date du 13 thermidor:

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