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Voilà donc où conduit le passage de l'Etymologicum comparé avec le texte de Diodore et de Strabon; et ce passage doit encore être regardé comme le premier témoignage historique sur la fondation de l'Adria du Picenum.

Quant à l'origine du nom de cette Adria, sans recourir à l'étymologie forcée d'Etienne de Byzance, sans avoir besoin, comme l'ont fait Mazzocchi et Cluvier, de donner la torture à son passage, il me semble que, comme rien dans l'antiquité ne nous dit que le nom fût ancien, il serait peut-être plus naturel de penser que Denys le tyran le lui aura lui-même imposé, en changeant le nom de l'ancienne ville, s'il est vrai qu'il en existât déjà une à cette époque. Denys, en bon politique, en roi qui connaissait les hommes, devait savoir toute la puissance d'un mot. Le nom d'Adriatique, donné très-anciennement au fond du golfe, prouve que l'Adria septentrionale avait été originairement le port le plus considérable de toute cette côte. Or, il était dans la nature de sa situation qu'elle perdît de bonne heure une partie de ses avantages maritimes, à cause des difficultés de jour en jour plus grandes que les atterrissemens successifs du Pô dûrent présenter aux navigateurs. Denys sentit donc que, pour appeler l'attention des commerçans sur la nouvelle ville, et les détourner tout à fait d'une route qu'ils commençaient à abandonner, il fallait tromper l'esprit de routine, afin

d'en mieux triompher. Il imagina donc d'emprun ter le nom déjà connu d'Adria. C'était le moyen, en accélérant la ruine de cet ancien marché, que son établissement héritât de tous les avantages dont le premier avait joui jusqu'alors.

Examinons maintenant quelles lumières les réflexions précédentes, dans ce qu'elles ont de positif, vont jeter sur la question qui nous occupe, qui est de savoir pourquoi le nom d'Adriatique, borné à la partie septentrionale du golfe, s'est étendu plus au sud postérieurement à Hérodote.

Cette extension du nom d'Adriatique se trouve très-bien expliquée par la fondation de la Nouvelle Adria, ou si l'on veut, par l'établissement de la nouvelle colonie. En effet, il est tout simple que la dénomination d'Adriatique, tout en restant appliquée à la partie septentrionale du golfe, soit bientôt descendue, graces à la réputation de la Nouvelle Adria, jusqu'aux environs de cette ville, et soit devenue une appellation générale étendue à toute la portion de mer comprise entre le parallèle d'Adria et le fond du golfe. De cette manière, les passages contradictoires des anciens sur l'origine du nom d'Adriatique sont conciliés, dès qu'il devient probable que les deux villes d'Adria ont chacune à leur tour contribué à faire naître de deux dénominations particulières une dénomination générale. D'ailleurs, cette hypothèse est décidément appuyée

par le texte même de l'Etymologicum, dont il importe de rappeler les paroles : « Denys a fondé » dans le golfe Ionien, Adria, qui a ensuite donné » son nom au golfe Adriatique ». Ceci veut - il dire autre chose, sinon qu'à l'époque de la fondation d'Adria, vers la quatre-vingt-dix-huitième olympiade (388 à 384), la portion de l'Adriatique qui baignait les côtes du Picenum, s'appelait encore golfe Ionien, et que, postérieurement à cette fondation, elle avait pris le nom d'Adrias ou Adriatique.

De toutes ces considérations, il faudrait conclure que le nom d'Adriatique fut appliqué à la partie septentrionale du golfe jusque vers la quatrevingt-dix-huitième olympiade, et que le reste portait celui de golfe Ionien.

Il s'ensuivrait que dans la pensée de Thucydide, qui a composé son ouvrage vers la quatrevingt-quatorzième olympiade (en 403), ou quinze à dix-huit ans avant la fondation d'Adria (1), le nom d'Ιόνιος κόλπος devait s'étendre beaucoup vers le Nord: nous devons toutefois nous en tenir à une simple induction; car Thucydide ne peut fournir à cet égard aucune lumière. Il ne prononce pas une seule fois le nom d'Adrias : quant à celui de golfe Ionien, il s'en sert pour dire que la ville d'Epidamne était sur ses bords (2); mais il est

(1) Dodwell. apparat. ad vit. Thucyd., §. 24. (2) Thucyd,, I, 24.

permis de penser, d'après tout ce qui a été dit plus haut, que s'il avait eu besoin de nommer un port plus avancé vers le Nord, il se serait servi de la même expression.

Le mot Adrias se retrouve dans l'orateur Lysias: il parle d'un vaisseau expédié ¿is tòv ’Adpíar (1), ou sis Thy 'Adpíav, selon un MS. (2). Si l'on conserve l'ancienne leçon, cela signifiera simplement dans le golfe Adriatique; mais si l'on adopte la variante du MS. εἰς τὴν 'Αδρίαν, cela voudra dire que le vaisseau était expédié pour la ville d'Adria : or, Lysias né en 459, devait avoir 71 ans dans la quatre-vingt-dix-huitième olympiade; et comme il a composé des plaidoyers jusqu'à l'âge de 80 ans, on pourrait supposer que celui contre Diogiton, où se trouve le passage cité, est postérieur à l'an 388 de sorte que le vaisseau dont il parle aurait pu faire voile pour la Nouvelle Adria, ce qui serait un exemple des relations commerciales de cette ville avec Athènes.

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Une fois que le nom d'Adriatique eut envahi les deux tiers du golfe, il devint la dénomination principale, et bientôt il acquit dans le langage des marins d'abord, des historiens ensuite, une extension de jour en jour plus grande.

Le premier auteur où l'on peut apercevoir des

(1) Lysias, contr. Diogit., p. 908, l. 7, Or. Gr. t. V. (2) Var, Lectt. Lysiac., t. VI, p. 720.

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traces de l'extension du nom de mer Adriatique, est Isocrate; dans sa lettre à Philippe, il parle des Illyriens du golfe Adriatique, et par le contexte on voit qu'il s'agit de ceux qui habitaient audessus d'Epidamne et de Lissus, vers l'embouchure du Drilus (1); ainsi le nom d'Adriatique devait être descendu jusque là, dès le milieu du quatrième siècle.

Ce que le passage d'Isocrate fait entendre, nous allons le voir positivement exprimé par un auteur qui a écrit peu de temps après, par Aristote, dans le livre connu sous le titre de de Mirabilibus auscultationibus. Sans croire avec JulesCésar Scaliger qu'il soit d'Aristote lui-même, il me semble qu'on ne peut guère se refuser à l'opinion de M. Camus, qui le regarde comme un recueil d'extraits composé sous les yeux du philosophe de Stagyre, et qui devait entrer dans le cadre d'un ouvrage qu'il projetait (2).

(1) Isocr. ad Philipp., §. 7, p. 83, ed. Coray. (2) Camus, Mém. sur l'ouvrage de Mirabil. Auscultation. dans les Mém. de l'Institut, Littérat. et Beaux-Arts, t. II, p. 213. Ce savant reconnaît que plusieurs passages ont été interpolés par des copistes postérieurs. Un de ceux qui ont le plus exercé la critique des savans est celui où il est dit que l'olivier xaλotéqavos était conservé dans le Panthéon (c. 25, éd. de Beckmann); comme il n'y a point eu de Panthéon à Athènes, avant Adrien, il s'ensuivrait que l'auteur de la compilation aurait vécu après cet

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