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Ce qu'à Plaisance eût fait son régiment,
Si par malheur on n'eût pas fait retraite.
Il vous le mène au col de la Bouquette;
A Nice, au Var, à Digne il le conduit:
Nul ne l'écoute, et le cruel poursuit.

D'autres oiseaux de différent plumage,
Divers de goût, d'instinct et de ramage,
En sautillant font entendre à la fois
Le gazouillis de leurs confuses voix :
Et dans les cris de la folle cohue
La médisance est à peine entendue.
Le chamaillis de cent propos croisés
Ressemble aux vents l'un à l'autre opposés.
Un profond calme, un stupide silence
Succède au bruit de leur impertinence;
Chacun redoute un honnête entretien ;
On veut penser, et l'on ne pense à rien.
O roi David', ô ressource assurée,
Viens ranimer leur langueur désœuvrée.
Grand roi David, c'est toi dont les sixains
Fixent l'esprit et le goût des humains!
Sur un tapis dès qu'on te voit paraître,
Noble, bourgeois, clerc, prélat, petit-maître,
Femme surtout, chacun met son espoir
Dans tes cartons peints de rouge et de noir:
Leur âme vide est du moins amusée,
Par l'avarice en plaisir déguisée.

De ces exploits le beau monde occupé
Quitte à la fin le jeu pour le soupé 2.
Chaque convive en liberté déploie
A son voisin son insipide joie.
L'homme-machine, esprit qui tient du corps,

En bien mangeant remonte ses ressorts;
Avec le sang l'âme se renouvelle,

Et l'estomac gouverne la cervelle.
Ciel! quels propos! ce pédant du palais
Blame la guerre, et se plaint de la paix :
Ce vieux Crésus, en sablant du champagne,

4) David est le nom d'un des rois du jeu de cartes.

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Gémit des maux que souffre la campagne,
Et, cousu d'or, dans le luxe plongé,
Plaint le pays de tailles surchargé.
Monsieur l'abbé vous entame une histoire

Qu'il ne croit point, et qu'il veut faire croire ;
On l'interrompt par un propos du jour,
Qu'un autre conte interrompt à son tour.
De froids bons mots, des équivoques fades,
Des quolibets et des turlupinades,

Un rire faux que l'on prend pour gaîté,
Font le brillant de la société.

C'est donc ainsi, troupe absurde et frivole,
Que nous usons de ce temps qui s'envole;
C'est donc ainsi que nous perdons des jours,
Longs pour les sots, pour qui pense si courts!
Mais que ferais-je? où fuir loin de moi-même ?
Il faut du monde; on le condamne, on l'aime ;
On ne peut vivre avec lui, ni sans lui.
Notre ennemi le plus grand', c'est l'ennui.
Tel qui chez soi se plaint d'un sort tranquille,
Vole à la cour, dégoûté de la ville.
Si dans Paris chacun parle au hasard,
Dans cette cour on se tait avec art;
Et de la joie, ou fausse ou passagère,
On n'a pas même une image légère.
Heureux qui peut de son maître approcher!
Il n'a plus rien désormais à chercher.
Mais Jupiter au fond de l'empyrée
Cache aux humains sa présence adorée:
Il n'est permis qu'à quelques demi-dieux
D'entrer le soir aux cabinets des cieux.
Faut-il aller, confondu dans la presse,
Prier les dieux de la seconde espèce
Qui des mortels font le mal ou le bien?
Comment aimer des gens qui n'aiment rien,
Et qui, portés sur ces rapides sphères
Que la fortune agite en sens contraires,
L'esprit troublé de ce grand mouvement,

4) L'auteur veut dire le plus redouté,

N'ont pas le temps d'avoir un sentiment?
A leur lever pressez-vous pour attendre,
Pour leur parler sans vous en faire entendre,
Pour obtenir, après trois ans d'oubli,
Dans l'antichambre un refus très-poli.
Non, dites-vous, la cour ni le beau monde
Ne sont point faits pour celui qui les fronde.
Fuis pour jamais ces puissants dangereux,
Fuis les plaisirs, qui sont trompeurs comme eux.
Bon citoyen, travaille pour la France,
Et du public attends ta récompense.
Qui? le public! ce fantôme inconstant,
Monstre à cent voix, Cerbère dévorant,
Qui flatte et mord, qui dresse par sottise
Une statue, et par dégoût la brise?
Tyran jaloux de quiconque le sert,
Il profana la cendre de Colbert,
Et, prodiguant l'insolence et l'injure,
Il a flétri la candeur la plus pure.
Il juge, il loue, il condamne au hasard
Toute vertu, tout mérite et tout art.
C'est lui qu'on vit, de critiques avide,
Déshonorer le chef-d'œuvre d'Armide1,
Et pour Judith, Pirame et Régulus 2,
Abandonner Phèdre et Britannicus;
Lui, qui dix ans proscrivit Athalie3,
Qui, protecteur d'une scène avilie,
Frappant des mains, bat à tort à travers

Au mauvais sens qui hurle en mauvais vers.

Mais il, revient, il répare sa honte,

Le temps l'éclaire: oui, mais la mort plus prompte
Ferme mes yeux dans ce siècle pervers,

En attendant que les siens soient ouverts.
Chez nos neveux on me rendra justice;
Mais moi, vivant il faut que je jouisse.

Quand dans la tombe un pauvre homme est inclus,
Qu'importe un bruit, un nom qu'on n'entend plus?
L'ombre de Pope avec les rois repose,

4) Opéra de Quinault. 2) Mauvaises tragédies.

3) Tragédies de Racine.

Un peuple entier fait son apothéose,
Et son nom vole à l'immortalité ;
Quand il vivait il fut persécuté.

Ah! cachons-nous! passons avec les sages
Le soir serein d'un jour mêlé d'orages;
Et dérobons à l'œil de l'envieux

Le peu de temps que me laissent les Dieux.
Tendre amitié, don du ciel, beauté pure,
Porte un jour doux dans ma retraite obscure ;
Puissé-je vivre et mourir dans tes bras,
Loin du méchant qui ne te connaît pas !

LA MORT.

QUAND de la vie essayant le voyage,
L'enfant sourit à son naissant destin,
La Mort est là; comme un léger nuage
Elle apparaît à l'horizon lointain :
Sans redouter cette ombre fugitive,
Qu'aperçoit seule une mère craintive,
Il rit bercé d'ignorance et d'espoir;
Son beau matin ne prévoit point de soir.
La Mort est là, quand des jeux de l'enfance
Aux mains du temps le sable est écoulé.
Avec effroi, la vive adolescence

Distingue alors son fantôme voilé:

Au sein des jeux, aux heures de l'étude,
Une soudaine et vague inquiétude
Vers cet objet ramène son regard;
Le voile obscur se soulève plus tard:
Il est une heure où l'aveugle jeunesse
D'un vain espoir laisse échapper l'ivresse;
Heure funeste, où les premiers malheurs
Font à nos yeux verser les premiers pleurs,
Où tout entier le monde se révèle !

La Mort est là; mais la mort paraît belle!
C'est un jeune ange, au maintien triste et doux ;

VOLTAIRE.

D'un léger deuil le voile l'environne ;

De pâles fleurs son beau front se couronne ;
C'est un ami qui s'approche de nous;
D'aucun effroi sa marche n'est suivie !
Ses chastes mains du flambeau de la vie
Contre le sol pressent l'éclat mortel;
Mais d'un regard il endort la souffrance,
Mais tous ses traits rayonnent d'espérance,
Mais il sourit et nous montre le ciel !
Du jour bientôt le midi nous éclaire,
Et, dégagé des vapeurs du matin,
L'ange grandit; son front devient sévère
En dépouillant ce nuage incertain.
Plus il avance et plus on le redoute;
Tous les trésors amassés sur la route,
Sa vaste main s'ouvre pour les ravir,
Et c'est alors que la Mort fait pâlir!
Mais elle approche et s'agrandit sans cesse ;
L'âme entrevoit le terme du chemin ;
Déjà s'enfuit sous l'ombre qui s'abaisse
L'éclat mourant d'un soir sans lendemain ;
Du poids des ans s'accroît notre faiblesse ;
La Mort est là! courbés par la vieillesse,
Quand nous touchons à ses pas redoutés,
Son front immense est caché dans la nue;
Mais si le spectre échappe à notre vue,
Nous le sentons debout à nos côtés.

Quoi! je mourrai! quoi! le temps à sa suite
Amènera l'irrévocable jour,

Le jour muet et sombre où sans retour
S'arrêtera ce cœur qui bat si vite!
Qui, quand les biens que garde l'avenir
Me chercheront, j'aurai quitté la terre!
Comme au vallon une fleur solitaire
Se fane et meurt, laissant pour souvenir
Quelques parfums et des feuilles légères,
Faible jouet des brises bocagères.
Vous, de la lyre amis harmonieux,
Oh! recueillez avec un soin pieux

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