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Il faut pourtant, sans les presser, tourner doucement le premier usage de leur raison à connoître Dieu. Persuadez-les des vérités chrétiennes, sans leur donner des sujets de doute. Ils voient mourir quelqu'un; ils savent qu'on l'enterre; dites-leur: Ce mort est-il dans le tombeau? Oui. Il n'est donc pas en paradis? Pardonnez-moi; il y est. Comment est-il dans le tombeau et dans le paradis en même temps? C'est son ame qui est en paradis; c'est son corps qui est mis dans la terre. Son ame n'est donc pas son corps? Non. L'ame n'est donc pas morte? Non, elle vivra toujours dans le ciel. Ajoutez : Et vous, voulez-vous être sauvée ? Oui. Mais qu'est-ce que se sauver? C'est que l'ame va en paradis quand on est mort. Et la mort qu'est-ce ? C'est que l'ame quitte le corps, et que le corps s'en va en poussiere.

Je ne prétends pas qu'on mene d'abord les enfants à répondre ainsi : je puis dire néanmoins que plusieurs m'ont fait ces réponses dès l'âge de quatre ans. Mais je suppose un esprit moins ouvert et plus reculé ; le pis aller, c'est de l'attendre quelques années de plus sans impatience.

Il faut montrer aux enfants une maison, et les accoutumer à comprendre que cette maison ne s'est pas bâtie d'elle-même. Les pierres, leur direz-vous, ne se sont pas élevées sans que personne les portât.

Il est bon même de leur montrer des maçons qui bâtissent; puis, faites-leur' regarder le ciel, la terre, et les principales choses que Dieu y'a faites pour l'usage de l'homme; dites-leur Voyez combien le monde est plus beau et mieux fait qu'une maison. S'est-il fait de lui-même? Non, sans doute; c'est Dieu qui l'a bâti de ses propres mains.

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D'abord suivez la méthode de l'écriture: frappez vivement leur imagination; ne leur proposez rien qui ne soit revêtu d'images sensibles. Représentez Dieu assis sur un trône, avec des yeux plus brillants que les rayons du soleil, et plus perçants que les éclairs; faites-le parler; donnez-lui des oreilles qui écoutent tout, des mains qui portent l'univers, des bras toujours levés pour punir les méchants, un cœur tendre et paternel pour rendre heureux ceux qui l'aiment.' Viendra le temps que vous rendrez toutes ces connoissances plus exactes. Observez toutes les ouver tures que l'esprit de l'enfant vous donnera; tâtez-le par divers endroits, pour découvrir par où les grandes vérités peuvent mieux entrer dans sa tête. Sur-tout ne lui dites rien de nouveau sans le lui familiariser par quelque comparaison sensible.

Par exemple, demandez-lui s'il aimeroit mieux mourir que de renoncer à Jésus-Christ; il vous répondra, Oui. Ajoutez : Mais quoi! donneriez-vous

votre tête à couper pour aller en paradis? Oui. Jusques-là l'enfant croit qu'il auroit assez de courage pour le faire. Mais vous, qui voulez lui faire sentir qu'on ne peut rien sans la grace, vous ne gagnerez rien, si vous lui dites simplement qu'on a besoin de grace pour être fidele : il n'entend point tous ces. mots-là; et si vous l'accoutumez à les dire sans les entendre, vous n'en êtes pas plus avancé. Que ferezvous donc? Racontez-lui l'histoire de saint Pierre; représentez-le qui dit d'un ton présomptueux : S'il faut mourir, je vous suivrai; quand tous les autres vous quitteroient, je ne vous abandonnerai jamais. Puis dépeignez sa chûte; il renie trois fois Jésus-Christ; une servante lui fait peur. Dites pourquoi Dieu permit qu'il fût si foible: puis servez-vous de la comparaison d'un enfant ou d'un malade, qui ne sauroit marcher tout seul; et faites-lui entendre que nous avons besoin que Dieu nous porte comme une nourrice porte son enfant : par-là, vous rendrez sensible le mystere de la grace.

Mais la vérité la plus difficile à faire entendre, est que nous avons une ame plus précieuse que notre corps. On accoutume d'abord les enfants à parler de leur ame, et on fait bien: car ce langage qu'ils n'entendent point ne laisse pas de les accoutumer à supposer confusément la distinction du corps et de l'ame,

TOME III,

K

en attendant qu'ils puissent la concevoir. Autant que les préjugés de l'enfance sont pernicieux quand ils menent à l'erreur, autant sont-ils utiles lorsqu'ils accoutument l'imagination à la vérité, en attendant que la raison puisse s'y tourner par principes. Mais enfin il faut établir une vraie persuasion. Comment le faire? Sera-ce en jettant une jeune fille dans des subtilités de philosophie? Rien n'est si mauvais. Il faut se borner à lui rendre clair et sensible, s'il se peut, ce qu'elle entend et ce qu'elle dit tous les jours.

Pour son corps, elle ne le connoît que trop; tout la porte à le flatter, à l'orner, et à s'en faire une idole: il est capital de lui en inspirer le mépris, en lui montrant quelque chose de meilleur en elle.

Dites donc à un enfant en qui la raison agit déja : Est-ce votre ame qui mange? S'il répond mal, ne le grondez point; mais dites-lui doucement que l'ame ne mange pas. C'est le corps, direz-vous, qui mange; c'est le corps qui est semblable aux bêtes. Les bêtes ont-elles de l'esprit? sont-elles savantes? Non, répondra l'enfant. Mais elles mangent, continuerez-vous, quoiqu'elles n'aient point d'esprit. Vous voyez donc bien que ce n'est pas l'esprit qui mange; c'est le corps qui prend les viandes pour se nourrir; c'est lui qui marche, c'est lui qui dort. Et l'ame, que fait-elle ? Elle raisonne; elle connoît tout le monde; elle aime

certaines choses; il y en a d'autres qu'elle regarde avec aversion. Ajoutez, comme en vous jouant: Voyez-vous cette table? Oui. Vous la connoissez donc? Oui. Vous voyez bien qu'elle n'est pas faite comme cette chaise; vous savez bien qu'elle est de bois, et qu'elle n'est pas comme la cheminée qui est de pierre? Oui, répondra l'enfant. N'allez pas plus loin sans avoir reconnu dans le ton de sa voix et dans ses yeux, que ces vérités si simples l'ont frappé. Puis dites-lui : Mais cette table vous connoît-elle? Vous verrez que l'enfant se mettra à rire pour se moquer de cette question. N'importe, ajoutez: Qui vous aime mieux de cette table, ou de cette chaise? Il rira encore. Continuez. Et la fenêtre est-elle bien sage? Puis essayez d'aller plus loin. Et cette poupée vous répond-elle quand vous lui parlez? Non. Pourquoi? Est-ce qu'elle n'a point d'esprit? Non, elle n'en a pas. Elle n'est donc pas comme vous; car vous la connoissez, et elle ne vous connoît point. Mais après votre mort, quand vous serez sous terre, ne serez-vous pas comme cette poupée? Oui. Vous ne sentirez plus rien? Non. Vous ne connoîtrez plus personne? Non. Et votre ame sera dans le ciel? Oui. N'y verra-t-elle pas Dieu ? Il est vrai. Et l'ame de la poupée, où est-elle à présent? Vous verrez que l'enfant souriant vous répondra, ou du moins vous fera entendre, que la poupée n'a point d'ame.

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