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DIALOGUES

SUR L'ÉLOQUENCE

EN GÉNÉRAL,

ET SUR CELLE DE LA CHAIRE

EN PARTICULIER,

Avec une Lettre écrite à l'Académie françoise.

ES

Les anciens et les modernes ont traité l'éloquence avec différentes vues et en différentes manieres, en dialecticiens, en grammairiens, en poëtes. Il nous manquoit un homme qui eût traité cette science en philosophe, et en philosophe chrétien. Feu M. l'archevêque de Cambrai nous le fait trouver dans ces dialogues qu'il a laissés.

On trouve, dans les anciens, de beaux préceptes d'éloquence et des regles très délicates portées jusques à la derniere finesse : mais leurs principes sont souvent trop nombreux, trop secs, ou enfin plus curieux qu'utiles. Notre auteur réduit les préceptes essentiels de cet art admirable à ces trois qualités, à prouver, à peindre, à toucher.

Pour prouver, il veut que son orateur soit un philosophe qui sache éclairer l'esprit tandis qu'il touche le cœur, et agir sur toute l'ame, non seulement en lui montrant la vérité pour la faire admirer, mais encore en remuant tous ses ressorts pour la faire aimer; en un mot, qu'il soit rempli de vérités pures et lumineuses, et de sentiments nobles et élevés.

Pour peindre, il veut bien qu'un orateur ait de l'enthousiasme comme les poëtes, qu'il emploie des figures ornées, des images vives, et des traits hardis, lorsque le sujet le demande : mais il veut que partout l'art se cache, ou du moins paroisse si naturel, qu'il ne soit qu'une expression vive de la nature. Il rejette par conséquent tous ces faux ornements qui n'ont pour but que de flatter les oreilles par des sons harmonieux, et l'imagination par des idées plus

brillantes que solides. Il condamne non seulement tous les jeux de mots, mais tous les jeux de pensées qui ne tendent qu'à faire admirer le bel esprit de Forateur.

Pour toucher, il veut qu'on mette chaque vérité dans sa place, et qu'on les enchaîne tellement, que les premieres préparent aux secondes, que les secondes soutiennent les premieres, et que le discours aille toujours en croissant, jusqu'à ce que l'auditeur sente le poids et la force de la vérité : alors il faut déployer les images vives, et mettre dans les paroles et l'action du corps tous les mouvements propres à exprimer les passions qu'on veut exciter.

C'est par la lecture des anciens qu'on se forme le goût, et qu'on apprend l'éloquence de tous les genres: mais il faut du discernement pour lire les anciens, car ils ont leurs défauts. L'auteur sépare les véritables beautés de la plus pure antiquité d'avec les faux ornements des siecles suivants; nous fait sentir l'excellent et le défectueux des auteurs tant sacrés que profanes; et montre enfin que l'éloquence des saintes écritures surpasse celle des Grecs et des Romains en naïveté, en vivacité, en grandeur, et dans tout ce qu'il faut pour persuader la vérité et la faire aimer.

Rien n'est plus propre que ces dialogues à garantir contre le goût corrompu du bel esprit, qui ne sert qu'à l'amusement et à l'ostentation. Cette éloquence d'amour-propre affecte les vaines parures, faute de sentir les beautés réelles de la simple nature: ses pensées fines, ses pointes délicates, ses antitheses étu diées, ses périodes arrondies, et mille autres orneż

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