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La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s'instruire par rapport à leurs fonctions; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études. Il faut donc borner l'instruction des femmes aux choses que nous venons de dire. Mais une femme curieuse trouvera que c'est donner des bornes bien étroites à sa curiosité: elle se trompe, c'est qu'elle ne connoît pas l'importance et l'étendue des choses dont je lui propose de s'instruire.

Quel discernement lui faut-il pour connoître le naturel et le génie de chacun de ses enfants, pour trouver la maniere de se conduire avec eux la plus propre à découvrir leur humeur, leur pente, leur talent, à prévenir les passions naissantes, à leur persuader les bonnes maximes, et à guérir leurs erreurs! Quelle prudence doit- elle avoir pour acquérir. et conserver sur eux l'autorité, sans perdre l'amitié et la confiance ! Mais n'a-t-elle pas besoin d'observer et de connoître à fond les gens qu'elle met auprès d'eux? Sans doute : une mere de famille doit donc être pleinement instruite de la religion, et avoir un esprit mûr, ferme, appliqué, et expérimenté pour le gouvernement.

Peut-on douter que les femmes ne soient chargées de tous ces soins, puisqu'ils tombent naturellement sur elles pendant la vie même de leurs maris occupés

au

u-dehors? Ils les regardent encore de plus près si elles deviennent veuves. Enfin saint Paul attache tellement en général leur salut à l'éducation de leurs enfants, qu'il assure que c'est par eux qu'elles se

sauveront.

Je n'explique point ici tout ce que les femmes doivent savoir pour l'éducation de leurs enfants, parceque ce mémoire leur fera assez sentir l'étendue des connoissances qu'il faudroit qu'elles eussent.

Joignez à ce gouvernement l'économie. La plupart des femmes la négligent comme un emploi bas qui ne convient qu'à des paysans ou à des fermiers, tout au plus à un maître d'hôtel, ou à quelque femme de charge; sur-tout les femmes nourries dans la mollesse, l'abondance et l'oisiveté, sont indolentes et dédaigneuses pour tout ce détail; elles ne font pas grande différence entre la vie champêtre et celle des sauvages du Canada. Si vous leur parlez de vente de bled, de cultures de terres, des différentes natures de revenus, de la levée des rentes et des autres droits seigneuriaux, de la meilleure maniere de faire des fermes, ou d'établir des receveurs, elles croient que vous voulez les réduire à des occupations indignes d'elles.

J.

Ce n'est pourtant que par ignorance qu'on' mé, prise cette science de l'économie. Les anciens Grecs

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et les Romains, si habiles et si polis, s'en instruisoient avec un grand soin: les plus grands esprits d'entre eux en ont fait, sur leurs propres expériences, des livres que nous avons encore, et où ils ont marqué même le dernier détail de l'agriculture. On sait que leurs conquérants ne dédaignoient pas de labourer, et de retourner à la charrue en sortant du triomphe. Cela est si éloigné de nos mœurs, qu'on ne pourroit le croire, si peu qu'il y eût dans l'histoire quelque prétexte pour en douter. Mais n'est-il pas naturel qu'on ne songe à défendre ou à augmenter son pays, que pour le cultiver paisiblement ? A quoi sert la victoire, sinon à cueillir les fruits de la paix? Après tout, la solidité de l'esprit consiste à vouloir s'instruire exactement de la maniere dont se font les choses qui sont les fondements de la vie humaine; toutes les plus grandes affaires roulent là-dessus. La force et le bonheur d'un état consistent, non à avoir beaucoup de provinces mal cultivées, mais à tirer de la terre qu'on possede tout ce qu'il faut pour nourrir aisément un peuple nombreux.

Il faut sans doute un génie bien plus élevé et plus étendu pour s'instruire de tous les arts qui ont rapport à l'économie, et pour être en état de policer toute une famille, qui est une petite république, que pour jouer, discourir sur les modes, et s'exercer à de

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petites gentillesses de conversation. C'est une sorte d'esprit bien méprisable, que celui qui ne va qu'à bien parler: on voit de tous côtés des femmes dont la conversation est pleine de maximes solides, et qui, faute d'avoir été appliquées de bonne heure, n'ont rien que de frivole dans la conduite.

Mais prenez garde au défaut opposé les femmes courent risque d'être extrêmes en tout. Il est bon de les accoutumer dès l'enfance à gouverner quelque chose, à faire des comptes, à voir la maniere de faire les marchés de tout ce qu'on achete, et à savoir comment il faut que chaque chose soit faite pour être d'un bon usage. Mais craignez aussi que l'économie n'aille en elles jusqu'à l'avarice; montrez-leur en détail tous les ridicules de cette passion. Dites-leur ensuite: Prenez garde que l'avarice gagne peu, et qu'elle se déshonore beaucoup. Un esprit raisonnable ne doit chercher, dans une vie frugale et laborieuse, qu'à éviter la honte et l'injustice attachées à une conduite prodigue et ruineuse. Il ne faut retrancher les dépenses superflues, que pour être en état de faire plus libéralement celles que la bienséance, ou l'amitié, ou la charité, inspirent. Souvent c'est faire un grand gain, que de savoir perdre à propos : c'est le bon ordre, et non certaines épargnes sordides, qui fait les grands profits. Ne manquez pas

de représenter l'erreur grossiere de ces femmes qui se savent bon gré d'épargner une bougie, pendant qu'elles se laissent tromper par un intendant sur le gros de toutes leurs affaires..

Faites pour la propreté comme pour l'économie. Accoutumez les filles à ne souffrir rien de sale ni de dérangé; qu'elles remarquent le moindre désordre, dans une maison. Faites-leur même observer que rien ne contribue plus à l'économie et à la propreté, que de tenir toujours chaque chose en sa place. Cette regle ne paroît presque rien; cependant elle iroit loin, si elle étoit exactement gardée. Avez-vous besoin d'une chose? vous ne perdez jamais un moment à la chercher; il n'y a ni trouble, ni dispute, ni embarras:quand on en a besoin, vous mettez d'abord la main dessus; et quand vous vous en êtes servi, vous la remettez sur le champ dans la place où vous l'avez prise. Ce bel ordre fait une des plus grandes parties de la propreté ; c'est ce qui frappe le plus les yeux, que de voir cet arrangement si exact. D'ailleurs, la place qu'on donne à chaque chose étant celle qui lui convient davantage, non seulement pour la bonne grace et le plaisir des yeux, mais encore pour sa conservation, elle s'y use moins qu'ailleurs ; elle ne s'y gâte d'ordinaire par aucun accident; elle y est même entretenue proprement: car, par exemple, un vase ne

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