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Peut-on entrer?

LA VIEILLE.

Oui, mes enfants.

GORGO.

LA VIEILLE.

On peut tout faire avec le temps,

La belle, c'est suivant les efforts qu'on emploie ;
Avec le temps les Grecs entrerent bien dans Troye.

GORGO.

Vieil oracle! elle parle et court sans s'arrêter.
Ces femmes savent tout: elles vont vous conter
Ce que, pendant l'hymen, Junon dit à son frere.
Mais quelle foule, ô Ciel! regarde donc ma chere.

PRAXINO E.

C'est à faire trembler. Viens, donne-moi la main.
Toi, prends garde, Eunoë, de nous perdre en chemin :
Tiens la main d'Eutychide; allons, qu'on se rassemble;
Bon, serrez-vous; fort bien : nous entrerons ensemble.
(à un étranger.)

Ma robe est déchirée! Ah, l'ami, par les Dieux,

Ménagez mon manteau.

L'ÉTRANGER.

J'y ferai de mon mieux,

Mais je n'en réponds pas.

PRAXIN OE.

Bons dieux! comme on s'empresse!

Nous voilà maintenant au plus fort de la presse.

L'ÉTRANGER.

Bien. Vous voici,la belle, enfin hors de danger.

PRAXINOE.

Grand merci de vos soins, généreux étranger:

Que suivant nos desirs le ciel vous récompense!

Le brave homme !... Eunoë ne vient pas... Pousse, avance. Tout le monde est entré. C'est comme dit l'époux,

Quand sur la mariée il ferme les verroux.

GORGO.

Praxinoë, vois donc cette tapisserie ;

Regarde sa beauté : quel goût, quelle industrie!
Ces tissus, qu'ils sont fins! c'est l'ouvrage des dieux.

PRAXINOE.

O divine Pallas! Quel peintre ingénieux

A tracé ces portraits? et quelles mains savantes
Ont donc pu rendre ainsi ces figures vivantes?

On croit les voir agir, elles vont se mouvoir.

Combien l'homme a d'esprit! Ma chere, ah! viens donc voir Sur ce beau lit d'argent Adonis qui repose;

Le duvet orne encor sa bouche demi-close;

Vois donc, qu'il a de grace! ah! quoique inanimé
Il est toujours aimable, il est toujours aimé.

UN ÉTRANGER.

Jaserez-vous toujours, colombes gémissantes,
Allongeant sans pitié vos syllabes traînantes ?

GORGO.

Oh! oh! d'où sort cet homme ? Et je veux jaser, moi.
Il est plaisant ! L'ami, fais fléchir sous ta loi
Des esclaves, mais, non une syracusaine,

Entends-tu ! Nos ayeux, afin qu'il t'en souvienne,

Etaient Corinthiens comme Bellerophon.
Si du Péloponese on nous trouve le ton,
Voyez, ne faut-il pas que cela le surprenne
Qu'on parle dorien quand on est dorienne?

Je tirerai le troisieme morceau de la premiere partie de l'idylle XXII®.

Les Argonautes étant descendus sur le rivage des Bébryces, Castor et Pollux s'avancent dans les campagnes solitaires. Ils découvrent, dans le creux d'une roche escarpée, des fontaines dont les ondes ont l'éclat et la pureté du crystal : les platanes, les cyprès étalent leur chevelure antique, et la terre est émaillée de fleurs odoriférantes.

Là, seul, n'ayant jamais d'autre toit que le ciel,
Habitait un géant, audacieux mortel;

Ainsi qu'un globe épais sa poitrine s'avance.
Horrible à voir, il semble, et par son dos immense,
Et la dureté des sillons de sa peau,

par

Un colosse de fer, forgé sous le marteau.

Les coups pesants du ceste ont meurtri ses oreilles ;
Des muscles de son corps les formes sont pareilles
A ces cailloux polis que roulent les torrents;
Et la peau d'un lion aux ongles déchirants
De son col monstrueux descendait jusqu'à terre.

Pollux l'aborde et le dialogue commence.

POLLUX.

Joie et salut! Quel peuple habite ces climats ?

AMYCUS.

Joie et salut, de gens que je ne connais pas !

POLLUX.

Ne crains rien; la justice est notre loi suprême.

AMYCUS.

Moi craindre! Un tel conseil, garde-le pour toi-même.

Le dialogue continue avec politesse d'un côté, avec insolence de l'autre ; Pollux demande s'il peut se désaltérer à la fontaine, Amycus lui répond qu'il n'y réussira qu'en s'armant du ceste, et en lui livrant un combat.

POLLUX.

Quels gages dois-je mettre? et quels seront les tiens?

AMYCUS.

Vaincu, je suis à toi; vainqueur, tu m'appartiens.

POLLUX.

Ce combat est celui des oiseaux de carnage!

AMYCUS.

Quel qu'il soit, combattons; je n'ai point d'autre gage.

Il dit, et fait aussitôt retentir dans les airs sa conque marine. A ce signal, les Bébryces à longue chevelure se rassemblent en foule sous un épais platane : Castor court vers le

rivage, et revient accompagné des Argonau

tes les rivaux arment leurs mains du ceste,

:

et le combat commence.

Ils tâchent quelque temps avec un soin pareil
De présenter le dos aux rayons du soleil ;
Mais plus adroit, Pollux eut enfin l'avantage;
Et le soleil à-plomb tombe sur le visage

Du géant, qui, d'un pas par la rage affermi,
S'avance, des deux mains cherchant son ennemi.
A terrasser Pollux déja même il s'apprête;
Le bras était levé; Pollux plus prompt l'arrête,
Et relevant le ceste avec rapidité,

Il le frappe au menton. L'autre, plus irrité,

Le poursuit; tout son corps est courbé vers l'arene;
Les Bébryces joyeux d'un cri frappent la plaine.
De leur côté les Grecs animent le héros;

Ils craignaient que, luttant dans un étroit enclos,
Le Géant, comparable aux enfants de la terre,
Ne fit tomber sur lui sa masse tout entiere.
Mais Pollux va, revient, s'éloigne, tourne autour;
De l'une et l'autre main le frappe tour à tour;
Et du fils de Neptune il domte la colere.
Amycus, malgré lui quelque temps se modere;
Sa figure est gonflée, à peine on voit ses yeux;
Le sang sort de sa bouche. Alors d'un cri joyeux
Les Grecs font à leur tour retentir le rivage:
Ils se plaisaient à voir cet athlete sauvage

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