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rains la plus profonde impression. Et il est naturel que l'on ait attribué tous ces malheurs à l'excès de l'absolutisme et du gouvernement personnel.

Les premiers écrivains, qui aient réagi contre l'absolutisme, qui se soient élevés contre les abus de l'autorité monarchique, ce sont des protestants; ne venaient-ils pas d'être durement atteints par la révocation de l'édit de Nantes? Telle est l'attitude de l'auteur des Soupirs de la France esclave et de Jurieu, dans ses Lettres pastorales, de 1688-1689. Mais Jurieu n'est encore qu'un isolé, et sa théorie de la souveraineté populaire, issue de la conception du contrat social, n'exerce pas d'influence immédiate.

Plus intéressante à certains égards nous apparaît l'attitude d'écrivains, qui ne sont ni des révoltés, ni des révolutionnaires, mais qui cependant protestent énergiquement contre les pratiques du despotisme. Fénelon et Saint-Simon prétendent simplement demander qu'on revienne aux traditions anciennes de la France.

Fénelon ne conteste nullement le principe de l'autorité souveraine, déclare, comme Bossuet, que la révolte n'est jamais permise et considère que la monarchie est le meilleur des régimes. Mais il se distingue des théoriciens absolutistes par la

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façon dont il critique les fautes de l'administration

royale. Dans sa fameuse lettre au Roi, dans son Mémoire sur la situation déplorable de la France, qui date de 1710, dans son Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, il ne se contente pas de constater les faits, il en recherche les causes, il attribue les fautes du règne à l'excès du despotisme. Il en arrive à réclamer le respect des droits de la personne humaine, blåmant les expropriations arbitraires, les taxes injustes, les attentats commis sur la propriété des sujets, et il demande pour les individus des garanties légales. Comment supprimer le despotisme? Le roi doit obéir à la loi, et il convient de restaurer l'ancien régime, dans lequel l'aristocratie participait au gouvernement. Dans les Plans de gouvernement, Fénelon propose la création d'assemblées provinciales et d'États Généraux ou plutôt leur rétablissement; leur composition sera tout aristocratique et ils auront un pouvoir considérable, puisqu'ils seront périodiques, voteront la levée des subsides, étendront leurs attributions aux questions économiques et même à la politique étrangère. Il réclame aussi l'abolition d'un certain nombre d'abus, - les plus caractéristiques de l'Ancien Régime, comme les créations d'offices, la vénalité des charges. Par réaction contre la politique étrangère de l'époque, il affirme hautement la malfaisance de la

guerre et des conquêtes, énonce déjà des principes de justice internationale. Ainsi, bien qu'il prétende s'appuyer sur les institutions traditionnelles de la France on peut voir en Fénelon un précurseur direct des philosophes humanitaires du xvIII° siècle.

Les idées du duc de Saint-Simon présentent de fortes analogies avec celles de Fénelon. Comme ce dernier, il est très vivement frappé par le spectacle des événements contemporains, et, dans ses Mémoires, il peint avec une vigueur saisissante les misères résultant de la guerre et du mauvais gouvernement. Sa préoccupation du bien public est indéniable; mais il vient s'y mêler des préjugés aristocratiques, qui expliquent en partie son ressentiment contre Louis XIV, auquel il reproche d'avoir confondu tous les rangs et d'avoir détruit toute hiérarchie sociale.

Saint-Simon critique avec force l'organisation administrative du royaume, la toute-puissance tyran\nique de ces « gens de fort peu » que sont les ministres; il abhorre la bureaucratie, ainsi que la centralisation, qui se marque par l'autorité excessive conférée aux intendants des provinces, par la création du lieutenant général de police, par les réformes néfastes de Louvois. Le premier acte du nouveau gouvernement qu'il préconise et qu'il invite le duc de Bourgogne à réaliser, ce doit être de

rétablir la hiérarchie nobiliaire et de défendre l'ordre de la noblesse contre l'intrusion d'éléments roturiers. Mais, pour rétablir cet ancien état social, pour rendre à la haute noblesse une part prépondérante dans le gouvernement, il faut mettre à bas les institutions existantes. On enlèvera aux secrétaires d'État les pouvoirs exorbitants dont ils se sont emparés; on confiera toute l'administration à des conseils, dans lesquels toute l'influence appartiendra à la haute aristocratie. On rétablira aussi les États Généraux, sans cependant leur accorder une bien grande autorité; ils n'exerceront pas le pouvoir législatif, ils ne voteront pas les impôts; mais c'est d'eux et surtout des États provinciaux que dépendra toute l'administration financière, et en particulier la répartition des impôts; ils auront, en outre, le droit de présenter au roi leurs doléances.

Ce n'est pas un régime de libertés politiques que propose Saint-Simon, mais tout un plan de réformes, souvent hardies. Suppression de la vénalité des offices; abolition de l'œuvre militaire de Louvois; profonde transformation du régime fiscal; en matière ecclésiastique, union des bénéfices et accroissement des portions congrues du clergé paroissial: voilà les principaux articles de ce programme. Et il convient d'ajouter que Saint-Simon se montre partisan de la tolérance religieuse, réprouve les

persécutions dont les Jansénistes ont été les victimes et blâme vigoureusement la révocation de l'édit de Nantes dont il montre les conséquences désastreuses.

Fénelon et Saint-Simon s'appuient sur ce qu'ils croient être les institutions anciennes de la France. Mais opposer au régime établi un autre système de gouvernement, indiquer des abus à corriger, des réformes à accomplir, n'était-ce pas se distinguer nettement des théoriciens absolutistes, dont la doctrine se calquait sur les institutions existantes?

Les conceptions de Boulainvilliers ont beaucoup d'analogie avec celles de Fénelon et de SaintSimon. Son point de départ, c'est aussi la critique des procédés de gouvernement de Louis XIV, de la mauvaise organisation administrative, du pouvoir despotique des secrétaires d'État et des intendants. Comme Fénelon et Saint-Simon, il ne voit de remède que dans le retour aux traditions historiques du royaume, qu'il s'efforce de retrouver en étudiant les anciennes institutions d'une façon vraiment scientifique'. Il essaie de démontrer qu'à l'origine les rois ne faisaient aucune loi, ne prenaient aucune décision importante sans consulter la nation, et que telle est l'origine des États Géné

I.

Voy. ses Lettres historiques sur les États Généraux et sur les anciens Parlements de France (1727).

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