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mouches subalternes soudoyées... Je demande, selon la loi naturelle, pourquoi cette interception du travail d'autrui, pourquoi ces grosses sphères d'entreprises sans nécessité? Que chacun ne travaille-t-il en droit soi à cultiver son champ? Pourquoi entreprend-il l'ouvrage de cent autres pour faire travailler les autres comme des animaux subordonnés?»>

S'il admire le communisme, il ne pense pas qu'il puisse être réalisé dans la société actuelle ; il demande seulement que l'on réalise plus d'égalité grâce à de sages lois sur l'héritage.

RÉFORME DE LA LÉGISLATION

D'ailleurs, d'Argenson n'est pas un utopiste; bien au contraire, il propose, en matière administrative, des réformes très pratiques. Telle, la réforme de la législation, qui est beaucoup trop compliquée :

« ... L'uniformité [des lois] faciliterait le commerce et abolirait une science qui devrait être plus simple pour qu'il en sortit plus de clarté... La plupart de nos lois ont été dictées par l'aristocratie et par le crédit du plus fort. Il serait temps que les pères de famille fussent plus libres dans la disposition de leurs biens1. >>

1. Mémoire pour le testament de S. E. le cardinal de Fleury (Journal, éd. Rathery, p. 373).

D'Argenson demande aussi une réforme de la justice, et notamment l'établissement d'arbitres, véritables juges de paix1 :

« Il faut favoriser l'usage qui s'introduit de luimême d'être jugé par des arbitres sans appel, par des commissaires choisis des parties, sous des compromis bien entendus, et enfin par des juges dont l'intérêt soit de terminer et non d'allonger les procès par les incidents. >>

RÉFORME DE L'ADMINISTRATION

Il conçoit aussi toute une réforme de l'administration provinciale et locale, fort analogue à celle qui sera établie par la Constituante2:

<< Pour commencer à établir une meilleure police en France, si jamais j'étais le maître, je commencerais par diviser le royaume en autant de gouvernements qu'il y a d'élections et de subdélégations, et ces districts, je les arrondirais bien topographiquement auparavant, y donnant les limites les plus naturelles que la terre me présenterait. En chaque élection, un intendant, un commandant de troupes et un président de la justice... Les corps munici

1. Ibid., loc. cit., p. 373.

2. Pensées pour la réformation de l'État, no 70 (Journal, éd. Rathery, Introd., t. I, pp. XLIX et sqq.).

paux mèneraient par cantons, et sous eux, par chaque ville et village, les affaires de deniers et travaux publics, avis sur ce, commerce, agriculture, police, etc. »

D'Argenson est tout imprégné aussi de l'esprit humanitaire du xvme siècle ; il rêve pour la France le rôle d'arbitre de l'Europe, et il admire le projet de paix universelle de l'abbé de Saint-Pierre1 :

« Ce n'est plus le temps des conquêtes. La France en particulier a de quoi se contenter de sa grandeur et de son arrondissement. Il est temps enfin de commencer à gouverner, après s'être tant occupé d'acquérir de quoi gouverner. »

Bibliographie.

D'ARGENSON, Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France, Amsterdam, 1764; Journal et mémoire inédits, éd. Rathery, 1859-67 (Soc. de l'Hist. de France); A. ALEM, Le marquis d'Argenson et l'économie politique au début du XVIIIe siècle, 1899; A. LICHTENBERGER, Le socialisme au XVIIIe siècle, 1895 (thèse de doctorat ès lettres).

I.

Mémoire pour le testament... (Journal, t. I, p. 371).

III

VOLTAIRE

Si Voltaire n'a pas condensé en un corps de doctrine ses idées politiques, cependant ses conceptions sont beaucoup plus cohérentes qu'on ne se plaît parfois à le dire. On peut le considérer comme l'un des représentants les plus caractéristiques de cette génération de philosophes, qui, frappés surtout de l'intolérance de l'Église, des procédés arbitraires de l'administration, de la survivance déplorable d'une législation oppressive, ont pensé qu'il importait avant tout d'assurer le triomphe de la liberté individuelle et de travailler à l'émancipation de la personne humaine.

SA CONCEPTION DE L'HISTOIRE

Disciple de Bayle, nourri des idées anglaises, Voltaire pense que le gouvernement des hommes doit être soumis aux lois de la raison, que la science

politique, comme les sciences de la nature, doit reposer sur l'observation, sur les données de l'expé- {{ rience, c'est-à-dire de l'histoire. Il est donc nécessaire de savoir quelle est sa conception de l'histoire. Elle est déjà vraiment scientifique et critique.Voltaire considère d'ailleurs que l'histoire ne doit pas se borner au récit des événements, qu'elle doit s'attacher surtout à l'étude des institutions, des mœurs, de la civilisation. L'historien, dit-il déjà en 1744, doit écrire «< en citoyen et en philosophe » :

<< Il recherchera quel a été le vice radical et la vertu dominante d'une nation; pourquoi elle a été puissante ou faible sur la mer; comment et jusqu'à quel point elle s'est enrichie depuis un siècle; les registres des exportations peuvent l'apprendre. Il voudra savoir comment les arts, les manufactures se sont établis ; il suivra leur passage et leur retour d'un pays dans un autre. Les changements dans les mœurs et dans les lois seront enfin son grand objet. On saurait ainsi l'histoire des hommes, au lieu de savoir une faible partie de l'histoire des rois et des cours1. >>

Et, de fait, c'est une véritable histoire comparée de l'humanité que Voltaire a tentée dans l'Essai sur les mœurs, s'efforçant de dégager, dans les diverses

1. Nouvelles considérations sur l'histoire, 1744 (éd. Moland, t. XVI, pp. 138 et sqq.).

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