Page images
PDF
EPUB

ceux qui avaient deux cents mesures payaient dix mines, ou la sixième partie d'un talent; ceux de la quatrième classe ne donnaient rien. La taxe était juste, quoiqu'elle ne fût point proportionnelle : si elle ne suivait pas la proportion des biens, elle suivait la proportion des besoins. On jugea que chacun avait un nécessaire physique égal; que ce nécessaire physique ne devait point être taxé ; que l'utile venait ensuite, et qu'il devait être taxé, mais moins que le superflu; que la grandeur de la taxe sur le superflu empêchait le superflu1. »

Montesquieu considère aussi l'assistance commeune des fonctions de l'État, surtout dans les pays riches, qui vivent principalement de l'industrie et du commerce :

« Dans les pays de commerce, où beaucoup de gens n'ont que leur art, l'État est souvent obligé de pourvoir aux besoins des vieillards, des malades et des orphelins. Un État bien policé tire cette substance du fond des arts mêmes; il donne aux uns les travaux dont ils sont capables; il enseigne les autres à travailler, ce qui fait déjà un travail.

« Quelques aumônes que l'on fait à un homme nu dans les rues ne remplissent point les obligations de l'État, qui doit à tous les citoyens une subsistance

1. Esprit des Lois, 1. XIII, chap. VII

assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit point contraire à la

santé.

1

<< ...Les richesses d'un État supposent beaucoup d'industrie. Il n'est pas possible que, dans un si grand nombre de branches de commerce, il n'y en ait toujours quelqu'une qui souffre, et dont par conséquent les ouvriers ne soient dans une nécessité momentanée.

« C'est pour lors l'État a besoin d'apporter un

que

prompt secours, soit pour empêcher le peuple de souffrir, soit pour éviter qu'il se révolte : c'est dans ce cas qu'il faut des hôpitaux, ou quelque réglement équivalent qui puisse prévenir cette misère'. »

Mais c'est seulement en matière économique et sociale que Montesquieu manifeste des tendances démocratiques; à tous autres égards, il est le représentant le plus caractéristique de l'école constitutionnelle et libérale; il estime que le despotisme, dont il est l'adversaire résolu, ne pourra être évité que grâce au maintien des privilèges de l'aristocratie.

[ocr errors]

Bibliographie. OEuvres de Montesquieu, éd. Ed. de Laboulaye, 1875-1879, 7 vol. in-8; Lettres Persanes, éd. Barckhausen, 1897, in-fol.; Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, éd. Barckhausen, 1900,

1. Esprit des Lois, 1. XXIII, chap. xxix.

in-4; Deux opuscules, publiés par le baron de Montesquieu, Bordeaux, 1891, in-4; Voyages de Montesquieu, publ. par Albert de Montesquieu, 1894-1896, 2 vol. in-4; Pensées et fragments inédits, publ. par Gaston de Montesquieu, 18991900, 2 vol. in-4; Barckhausen, Montesquieu, ses idées et ses œuvres d'après les papiers de la Brède, 1907, in-16; BruneTIÈRE, Études critiques, t. IV ; J. DEDIEU, Montesquieu et la tradition politique anglaise en France : les sources anglaises de l'« Esprit des lois », 1909, in-8 (thèse de doctorat ès lettres), et Montesquieu, Paris, 1913, in-8.

II

D'ARGENSON

Un autre écrivain de la première moitié du xvIII* siècle peut être rapproché de Montesquieu; c'est le marquis d'Argenson. D'ailleurs, il est moins purement un théoricien ; il a occupé des fonctions administratives et politiques', et les événements ont souvent exercé une influence très directe sur l'évolution de sa pensée. Il a écrit une seule œuvre systématique, ses Considérations sur le gouvernement ancien et présent de la France2, qui ont été rédigées avant 1737, qui ont été connues en manuscrit dès cette époque, mais qu'on n'a publiées qu'en 1764. Cependant, pour se rendre compte de

1. Il était fils du lieutenant-général de police et frère du comte d'Argenson, qui devint secrétaire d'État de la guerre en 1743. Né en 1694, il était déjà conseiller du Parlement en 1716; en 1720, il devint intendant du Hainaut; il fut ministre des Affaires étrangères de novembre 1744 à février 1747 ; il mourut en 1757.

2. Le véritable titre de cet ouvrage est: Traité de politique dans lequel on examine à quel point la démocratie peut être admise sous le gouvernement monarchique.

sa doctrine politique, il faut lire aussi son célèbre Journal, ses Mémoires pour le Testament politique de Son Eminence le Cardinal de Fleury, qui datent de 17381, ses Pensées sur la Réformation de l'État, dont Rathery donne des extraits, ses articles insérés dans le Journal Economique de 1751 à 1755.

LA MÉTHODE HISTORIQUE

Comme Montesquieu, il emploie la méthode historique; dans ses Considérations, on trouve des aperçus tout à fait remarquables sur la nature et les transformations des institutions politiques et sociales, comme lorsqu'il montre de quelle façon, à partir du XIIe siècle, les droits sur les personnes s'affaiblissent et se transforment en droits réels, et essaie de déterminer les conséquences politiques de ce mouvement d'affranchissement 2.

D'Argenson montre aussi comment l'absolutisme s'est peu à peu aggravé en France, comment il a abouti à un véritable despotisme; on a fini par ne plus réunir les États Généraux :

« L'autorité royale avait fort étendu ses bornes, mais elles tenaient encore du moins à des formes extérieures de liberté qui achèvent aujourd'hui d'ex

1. Publiés dans l'édition du Journal, de RATHERY, t. I, pp. 368 et sqq. 2. Considérations sur le gouvernement, ch. Iv, pp. 138 et sqq.

« PreviousContinue »