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LA DEUXIÈME MOITIÉ DU XVIII® SIÈCLE

PROGRÈS

DE LA CONCEPTION DÉMOCRATIQUE

En règle générale, les écrivains politiques de la seconde moitié du XVIIIe siècle tendent à renoncer à la méthode historique; c'est en suivant une méthode toute rationnelle qu'ils s'efforcent de rechercher les principes de l'organisation politique. Nous voyons aussi se manifester dans leurs œuvres le progrès de la conception démocratique; sans aucun doute, ils se préoccupent moins de la liberté des citoyens que de leur égalité ou du bonheur des individus.

Mais les uns pensent que cette égalité ne pourra être assurée que par un gouvernement populaire ou en vertu d'un contrat social: tel est le cas de Rousseau, de Diderot, plus tard de Condorcet ; d'autres, comme Helvétius et d'Holbach, font bon marché de

la forme du gouvernement et ne se préoccupent que des mesures propres à assurer le bonheur des individus ; d'autres enfin, les économistes de l'école de Quesnay, sont franchement partisans du despotisme éclairé, estimant que personne n'est plus capable que le monarque absolu d'améliorer le sort des citoyens.

I

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

C'est moins de l'expérience que de la raison et du sentiment que procèdent les idées de Rousseau. Ce n'est pas à dire cependant que les circonstances de sa vie n'aient eu aucune influence sur l'élaboration de sa doctrine. Né à Genève, il est toujours resté très attaché à sa petite patrie; il en vante la Constitution, le « gouvernement démocratique, sagement tempéré ». Pauvre, ayant mené dans sa jeunesse une existence vagabonde, sans pouvoir trouver dans la société la place à laquelle son talent aurait dû lui donner droit, il a senti plus qu'un autre quels pouvaient être les effets de l'inégalité; mieux qu'un autre, il s'est rendu compte des injustices sociales. Sa sensibilité maladive, l'un des traits les plus saillants de son caractère, - a encore accru sa haine de l'injustice.

LA MÉTHODE DE ROUSSEAU

Pour étudier les fondements de la société, Rousseau ne fait, pour ainsi dire, aucun usage de la méthode historique. S'il s'applique à dégager la nature primordiale de l'homme, ce n'est pas en recherchant ses origines, mais en s'efforçant de distinguer, dans l'humanité actuelle, ce qu'il y a de fondamental et ce qu'il y a d'artificiel1:

« Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels, plus propres à éclaircir la nature de l'homme qu'à en montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font tous les jours nos physiciens sur la formation du monde. >>

Cependant, dans le Discours sur l'inégalité, il est amené fatalement à se demander comment, de l'état de nature, l'humanité a évolué vers l'organisation sociale; il lui a fallu rechercher les origines de la propriété.

1. Discours sur l'origine de l'inégalité, 1re partie.

ORIGINES Et conséquences de la pROPRIÉTÉ

C'est, en effet, la création de la propriété individuelle qui a enfanté la société civile. A l'état de nature, l'homme était un sauvage, innocent et heureux, parce que ses besoins étaient bornés; il ne connaissait ni domination, ni servitude. Mais il arriva un moment où l'on ne se contenta plus d'une vie si simple; des « progrès » se firent et des besoins nouveaux apparurent:

<< Dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons 1. >>

C'est en effet de la culture des terres que devait naître la propriété ; c'est elle qui imposait le partage; et bientôt fatalement l'inégalité devait naître :

...

« Les choses en cet état eussent pu demeurer égales, si les talents eussent été égaux, et que, par

1. Discours sur l'origine de l'inégalité, 2o partie.

LES IDÉES POLITIQUES AU XVII SIÈCLE.

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