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HARMONIES AQUATIQUES

ᎠᎬ ᏞᎪ ᎢᎬᎡᎡᎬ :

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines:
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau.

LA FONTAINE, fable des deux Pigeons.

Un simple ruisseau est une image de l'Océan. Il a son pôle et sa source dans un rocher qui attire les vapeurs; son courant entre des collines, comme entre deux continents; ses contre-courants latéraux, lorsqu'il passe d'un lieu plus large dans un plus étroit. Il forme dans son cours en spirale des promontoires, des bancs, des îles. Il plaît à notre vue par ses réverbérations lumineuses et par ses reflets, à notre toucher par sa fraîcheur, à notre ouïe par ses murmures. Sa circulation même semble avoir des analogies avec celle de notre sang; il la règle, il la calme, et, ce que ne peuvent les eaux salées de la mer, il nous désaltère par la douceur de la sienne. Tel est un ruisseau, lorsqu'il coule dans les rochers même les plus arides; mais, lorsqu'il traverse des prairies et des forêts, mille fleurs éclosent sur ses bords, les oiseaux habitent les arbres qui l'ombragent, et font retentir les

échos de leurs amoureux concerts. La bergère y mène boire ses troupeaux et y vient consulter ses charmes. Elle y voit ses chiffres gravés sur les troncs des aunes et des peupliers. Son amant peut même, de la montagne voisine, les tracer sur des écorces, ou sur les coques dures des fruits, et les abandonner au cours des eaux, qui les porteraient jusqu'aux extrémités de l'Océan. Mais l'amour aime le mystère ; et l'homme, qui désire pour confident de sa gloire ou de ses malheurs tout le genre humain, ne veut d'autre témoin de ses amours que l'objet aimé.

N'anticipons point ici sur les harmonies conjugales; parlons de celles des eaux avec la terre toute nue. La terre a des attractions hydrauliques, d'abord à son centre, qui mettent autour d'elle toutes les mers de niveau; aux sommets de ses montagnes, qui y attirent les nuages; enfin à ses pôles, qui y fixent en glace les vapeurs atmosphériques. Toutes ses attractions extérieures paraissent des rameaux de son attraction centrale. Si elles n'existaient pas, les vapeurs nageraient incertaines dans l'atmosphère sans se fixer à aucun point. Le puits," le ruisseau, l'Océan, n'auraient pas de sources

permanentes.

Toutes les matières que l'on trouve dans le sein de la terre, à l'exception peut-être des granits, y ont été déposées par les eaux. Nos carrières ne sont formées que de vastes lits de coquillages, de pierres de taille, de pierres à chaux et à plâtre, de marbres, d'ardoises, de grès, d'argile, de marne,

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de pierres à fusil, de sables, la plupart disposés par couches horizontales, et remplis de corps marins dont ils ne sont souvent que des amalgames ou des débris. Les laves même des volcans que l'on trouve au sommet des montagnes de l'Auvergne du Vésuve, de l'Etna, de l'Hécla; les basaltes, qui ne sont que des laves cristallisées, ont été, dans l'origine, des productions des eaux marines, puisque c'est aux bitumes dont elles sont chargées, et à leurs fermentations, que les volcans doivent leurs feux et leur entretien. Nous avons observé, dans nos Études, que tous les volcans étaient dans le voisinage des mers ou des grands lacs.

Ce qui me paraît le plus extraordinaire dans la dissémination de tous ces fossiles, qui semble faite au hasard, c'est qu'on trouve au milieu des terres de l'Europe, et surtout dans les plus septentrionales, les débris des végétaux et des animaux que nourrit aujourd'hui la zone torride. Il y a dans les carrières de la Touraine une quantité prodigieuse de cornes d'ammon. Ce sont des coquillages, ainsi nommés parce qu'ils ressemblent à des cornes de bélier, sous la forme duquel l'antiquité représentait Jupiter Ammon. Ils sont tournés en volute, et il y en a depuis le diamètre d'une lentille jusqu'à ⚫ celui d'une petite roue de carrosse. On n'en a point trouvé, jusqu'ici, d'analogues vivants dans aucune mer; mais il est probable qu'il y en a dans celle du Sud, encore si peu connue de nos navigateurs. Le détroit de Magellan, qui est à l'entrée de cette mer, nous a montré une petite coquille vivante,

que l'on ne connaissait que fossile dans les vignes du Lyonnais. On l'a nommée le coq et la poule, parce qu'elle ressemble à un coq qui coche une poule. Elle a été découverte, en 1772, par Bougainville dans son voyage autour du monde. J'ai vu dans les falaises de la Normandie, près de Dieppe, la grande tuilée ou le bénitier, coquillage de plusieurs quintaux, qui pave aujourd'hui les archipels de l'Océan indien. Il y a, dans le territoire de la Hollande, un banc très-étendu d'une terre brune, légère et fine, que ses habitants mélangent avec leur tabac. Ce n'est qu'un détritus de palmiers et de plantes, dont les feuilles et les tiges apparaissent encore. On voit à Paris, au Muséum d'histoire naturelle, un grand morceau de pierre de taille, trouvé dans les carrières de Maestricht, où sont incrustées deux mâchoires de crocodile, avec des oursins de mer. On les a dégagées avec le ciseau, de manière qu'elles ressemblent à un bas-relief. On parviendrait peut-être, avec un peu plus d'art, à détacher de même de plusieurs de nos marbres les madrépores qui y sont amalgamés, et dont les branches, quoique sciées, apparaissent encore sur nos tables en forme d'épis. Les rivages de l'Irtis, en Sibérie, couvrent, à quatre-vingts pieds de hauteur, des os et des dents d'éléphants et d'hippopotames. Il y a des mines d'or en exploitation dans cette contrée. Du temps que j'étais à Pétersbourg, des voyageurs russes y trouvèrent une pierre transparente, tout étincelante des couleurs de l'or, et de la grosseur d'un œuf, que l'impératrice reven

diqua aussitôt, parce qu'on crut que c'était un diamant jaune; mais ce n'était qu'une topaze, ou selon d'autres, un quartz coloré. Quoi qu'il en soit, les mines d'or et les topazes, que l'on trouve aujourd'hui en Bohême et en Saxe, paraissent avoir été formées originairement dans la zone torridé. Il y a apparence qu'on pourrait trouver dans les fossiles de cette zone les débris matériels des végétaux et des animaux des zones tempérées et glaciales, puisque celles-ci renferment dans leur sein ceux de la zone torride.

Non-seulement les matières de l'intérieur de la terre prouvent qu'elles ont été formées et déposées par les eaux, mais sa forme extérieure semble encore être leur ouvrage. Les vallons dont elle est sillonnée ont des angles rentrants et saillants en correspondance, qui paraissent avoir été creusés par le cours sinueux des rivières et des fleuves qui coulent au milieu. Les collines qui bordent ces vallons ne sont, pour la plupart, que les flancs des terres latérales, excavées par la circulation des eaux ; et leurs croupes paraissent avoir été formées par les pluies, qui en ont arrondi les sommets et réglé les pentes. Ces dispositions se manifestent depuis les parties les plus élevées des continents jusqu'aux rivages des mers.

Il est évident que l'Océan abandonne de tous côtés ses rivages; j'en pourrais citer quelques preuves en détail. Par exemple, j'ai vu à l'Ile-deFrance de grands bancs de madrépores, qui ne se forment que dans la mer : ils étaient à sec sur la

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