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peau. Les Japonais attribuent, non sans raison, un grand nombre de maladies à la stagnation et à la putréfaction de cet air intérieur : voilà pourquoi ils emploient fréquemment la ponction et l'adustion pour les guérir. Ils piquent la partie où ils supposent qu'est le foyer du mal, avec un poinçon d'or, ou ils brûlent dessus le moxa, qui n'est autre chose que le duvet d'une espèce d'armoise. La chirurgie des peuples tient toujours de leur caractère : celle des Japonais est cruelle comme eux; mais la nature ne nous invite point à la guérison d'un mal par la douleur cela est vrai au physique, au moral, et même en politique; c'est une vérité que je répéterai plus d'une fois, à cause de sa nouveauté et de son importance. Les Grecs et les Romains, qui n'étaient féroces que par ambition, et dont les mœurs, au fond, étaient douces, remédiaient aux mêmes maux que les Japonais, par les bains chauds et les frictions. Les Indiens orientaux, les plus humains des hommes, y emploient des moyens encore plus agréables; ils se font masser, c'est-à-dire, pétrir les chairs, souvent par les mains des enfants. C'est ainsi que non-seulement ils se guérissent de leurs rhumatismes, mais qu'ils réussissent à les prévenir. Nos savantes théories ne se sont point assez occupées des effets de l'air intérieur dans le corps humain. Il y a grande apparence que c'est à sa pureté et à sa circulation qu'on doit attribuer la légèreté et la souplesse des membres; et à sa stagnation et à son altération les pesanteurs, les douleurs de tête, les rhumatismes, la goutte, la pa

ralysie, et même les maladies humorales, telles que la plupart des fièvres, qui viennent d'un air corrompu que nous respirons. Il est certain que l'air intérieur de notre corps provient en partie de celui de nos poumons, et en partie de celui de nos aliments. Nous ne pouvons douter que cet air ne joue un grand rôle dans l'économie animale; c'est lui qui, après la mort, échauffé par la putréfaction, dilate les chairs, en décompose toutes les fibres, et en emporte les miasmes au loin. Nous observerons ici que les animaux morts se détruisent à l'air bien plus promptement que les végétaux morts. On voit par là que le temps de la dissolution des êtres organisés n'est pas réglé sur celui de leur accroissement, comme on serait tenté de le croire, d'après le temps de la décomposition de la plupart des plantes. Ce temps, dans les animaux, paraît en rapport avec celui du renouvellement de leur nourriture : il en résulte que les animaux qui jeûnent sont déjà disposés à la putréfaction; en effet, toutes les famines traînent à leur suite des épidémies. Mais il y a une raison morale de la rapidité de cette dissolution dans les animaux, et de sa lenteur dans les végétaux; car c'est toujours à des convenances morales que la nature assujettit les causes physiques : la plante a été faite pour l'animal; il était donc nécessaire qu'elle subsistàt assez long-temps pour lui être utile, lors même qu'elle ne végète plus, surtout dans l'hiver. C'est par ces mêmes convenances que beaucoup de fruits se conservent long-temps dans un état de vie, sans

J.

prendre aucune nourriture. Mais l'animal diffère beaucoup de la plante, puisqu'il est doué de sentiment c'est un être sensible qui, pendant sa vie, est sans cesse agité par le désir de l'entretenir et la crainte de la perdre. Il convenait donc qu'un animal qui craint la mort n'en offrit pas le spectacle effrayant à ses semblables par son cadavre. Aussi il entre bientôt en putréfaction; l'air qu'il renfermait se dilate, ses émanations attirent des nuées d'insectes et d'oiseaux qui n'en laissent que le squelette, et des quadrupèdes carnassiers qui en brisent et en digèrent les os.

Le développement de cet air intérieur qui s'élève des cadavres avait fait croire aux anciens que les ames des animaux, et même celles des hommes, étaient aériennes. Lorsque le bon Virgile parle de la mort de ses personnages, il emploie souvent, au sujet de leur ame, l'expression effugit in auras, elle s'enfuit dans les airs. Si les ames, même celles des bêtes, n'étaient qu'un air animé, rien ne serait si facile que de les recevoir, à leur départ, dans des fioles on en ferait sans doute des collections fort curieuses. Mais nous ne saurions y renfermer un rayon du soleil, qui nous fait tout voir, ni un filet de son attraction qui fait tout mouvoir : comment donc captiverions-nous des êtres immatériels, des ames qui sentent, pressentent, désirent, raisonnent? Sans doute elles appartiennent à d'autres mondes que celui que nous habitons passagèrement, et leur connaissance à d'autres intelligences que les nôtres. Avec nos sciences et

nos machines, et tous nos échafaudages, nous ne connaissons que quelques dehors de l'édifice de la nature; nous n'en voyons ni les fondements ni les combles, encore bien moins les dedans; nous n'en pouvons saisir les éléments les plus communs.

Les animaux sont en harmonie avec l'air extérieur par l'aspiration et l'expiration. La nature leur a donné, pour cet effet, un organe et un viscère qu'elle a refusés aux plantes: ce sont des narines et un poumon. Les trachées des plantes ne ressemblent qu'aux vésicules aériennes des muscles des animaux et à leurs pores cutanés. Chaque animal a deux narines, et nous remarquerons ici que tous ses organes sont doubles, afin que si l'un était empêché par quelque obstacle, l'autre pût lui être utile. Nous observerons aussi que les deux canaux des narines ne sont point parallèles, mais qu'ils sont un peu divergents, afin de donner plus d'étendue à leur action. C'est ainsi que les rayons visuels des deux yeux partent aussi de deux nerfs optiques et divergents qui se réunissent au même centre; cependant ces rayons se croisent au-dehors, divergent et embrassent une plus grande partie de l'horizon que s'ils étaient parallèles, ou que s'il n'y en avait qu'un seul. Il en est de même des deux conduits du nez. Leur respiration ne se croise pas, mais elle est divergente, afin de donner plus de latitude à leur action coordonnée au nerf olfactoire. Mais nous nous occuperons du sens de l'odorat aux harmonies végétales des animaux; nous ne parlerons ici que de celui de la respiration, qui n'a pas

été compté jusqu'ici au nombre des sens, quoiqu'il soit le plus nécessaire de tous à la vie, et le premier et le dernier en exercice. Il en est de même de quelques autres qui ont été également oubliés par les naturalistes, qui n'en comptent que cinq; la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher.

Tous les animaux n'odorent pas, mais tous respirent; l'air est nécessaire à leur existence, ils périssent lorsqu'ils en sont privés. A la vérité, quelques insectes vivent long-temps sous la machine pneumatique; mais c'est que la pompe ne tire pas de son récipient tout l'air qui y est renfermé, et qu'il n'en faut qu'une faible portion pour faire vivre beaucoup d'insectes, comme il ne faut qu'un bien faible rayon de lumière pour les éclairer, ainsi qu'on le voit par le travail des abeilles dans leurs ruches obscures, et par celui des fourmis dans leurs souterrains. La nature a créé des êtres qui mettent à profit jusqu'aux débris de ses éléments. Une preuve que les insectes respirent, c'est qu'on les fait périr sur-le-champ si l'on frotte leurs trachées d'huile qui en bouche les ouvertures : aussi un des moyens les plus propres de se préserver des insectes de toute espèce, est de s'oindre soi-même de quelque corps gras. Cet usage est non-seulement pratiqué par les Sauvages de l'Amérique, qui se peignent de roucou broyé avec l'huile de palmachristi, mais par des peuples policés de l'Europe qui, pour chasser la vermine de leurs cheveux, les enduisent d'essences huileuses et de pommade. La nature a employé une grande variété de

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