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faut fixer leur jugement sur des faits qui les intéressent. Donnez toujours un corps et une action aux principes, c'est le seul moyen de les leur rendre sensibles. Vous pourrez donc, en leur expliquant l'ascension du cerf-volant par la force du vent qui, en se décomposant sur son plan incliné en deux actions, l'une horizontale, et l'autre oblique, le force à monter, leur faire connaître que cette même force, en se décomposant sur les plans inclinés des ailes d'un moulin, les fait mouvoir circulairement. Peut-être le cours d'une rivière profonde produirait-il le même effet sur les ailes d'un moulin à eau disposées semblablement. Il est bon de jeter de temps en temps des corollaires au milieu de l'instruction; ce sont des perspectives au milieu d'un paysage; elles étendent et développent le génie. Rien n'est égal peut-être à celui de l'inventeur du moulin à vent, car je n'en vois point de modèle dans la nature, quoique je sois bien persuadé qu'il y est, ainsi que tous les modèles de nos inventions. Mais c'est surtout par son utilité que cette ingénieuse machine est recommandable. Elle fournit à notre premier besoin dans la plus grande partie de l'Europe, et épargne aux animaux et aux hommes une multitude de fatigues. On aurait dû élever une statue à son auteur, dont le nom même est ignoré. Le célèbre mathématicien de la Hire ne passait jamais devant un moulin à vent sans ôter son chapeau, par respect, disait-il, pour la mémoire de celui qui l'avait inventé. Combien de gens ne le regardent que comme l'habitation d'un

meunier! Apprenons de bonne heure aux enfants à n'estimer les arts et les hommes que par rapport à leurs besoins. Reprenez-les quand ils parlent, même à de simples manoeuvres, avec mépris ou en les tutoyant. Le ton de l'extrême familiarité devient celui de l'orgueil, quand il n'est pas réciproque. D'ailleurs, des enfants, quels qu'ils soient, doivent toujours respecter un homme. Tirons leurs leçons de morale de leurs actions les plus communes, ainsi que leurs lumières de leurs jeux : c'est à la morale qu'ils doivent rapporter toutes leurs sciences. Si j'en effleure par-ci par-là quelques-unes, si je leur ai fait entrevoir l'influence nécessaire du soleil et de l'air sur toutes les puissances de la nature, c'est non-seulement pour leur propre utilité, mais pour celle de leurs semblables; c'est pour qu'un jour ils ne plantent pas sur leurs propriétés de grands arbres dont l'ombrage puisse nuire à leurs voisins; c'est afin qu'ils soient plus justes que les lois qui le permettent. J'ai vu dans le pré Saint-Gervais, par ces plantations de bois, un riche propriétaire forcer successivement tous ses voisins de lui vendre leurs jardins et leurs champs, jadis si bien cultivés, mais qui maintenant couverts d'ombre, n'avaient plus ni soleil ni air.

C'est le soleil qui, par sa présence et par son absence, est cause de toutes les harmonies de l'atmosphère, sur les eaux, la terre, les végétaux, les animaux et les hommes. Ce sont peut-être ses reflets, que la lune nous renvoie au milieu des nuits, qui modifient l'action des vents. Souvent la lune

produit, à ses différentes phases, des changements de temps. Les naturalistes modernes n'en sont pas d'accord; mais l'expérience des laboureurs et des marins est plus sûre que la théorie imparfaite des physiciens. Ceux-ci assurent qu'elle soulève l'Océan, et ils nient qu'elle puisse mouvoir l'atmosphère. Ce sont deux erreurs qui se contredisent. Je l'ai vu souvent sur la mer, à son lever, fondre et dissiper les nuages suspendus dans les régions glaciales de l'air, sans doute par la même influence qui lui fait fondre les glaces des pôles. Quand elle s'entoure d'un limbe jaune, attendez-vous au mauvais temps. La lune nous annonce, par sa pâleur, la pluie; par sa rougeur, le vent; et par sa blancheur, la sérénité.

Mais le ciel se couvre de toutes parts. Le soleil, voilé par des nuages sombres, laisse échapper de longs rais d'une lumière pâle qui nous annoncent la tempête. Déjà elle s'élève : des giboulées de neige volent dans les airs, comme des plumes d'oiseaux; les troupeaux inquiets mugissent au fond des vallées; le berger, trompé par l'espoir d'un beau jour, se hâte de les rassembler avant la nuit. Le terrible vent du sud-ouest s'élève de l'horizon; il couvre le ciel de montagnes de nuages semblables à celles des Alpes; dans sa course rapide et pesante, il creuse la surface des eaux, et courbe les cimes des forêts, qui font entendre au loin de rauques rugissements; les troncs des arbres tombent avec fracas: tandis que ces vieux monuments des siècles sont renversés, un oiseau paraît immobile dans les

cieux. L'épervier lutte contre la tempête, en jetant des cris funèbres; il épie quelque oiseau malheureux qui ne doit plus revoir le printemps.

Ne regardez point les tempêtes de l'atmosphère, les ravages des forêts et les guerres des animaux, comme des désordres de la nature : tout est bien dans un plan infiniment sage. L'oiseau de proie, en détruisant les oiseaux âgés ou infirmes, prépare de nouvelles places à leurs générations. Les tourbillons du sud-ouest renouvellent les vieux végétaux, et disséminent au loin leurs graines; ils portent aux régions glacées du nord l'air chaud de l'Afrique, chargé des vapeurs de la Méditerranée; ils adoucissent l'atmosphère de notre zone, et entassent sur notre pôle septentrional des montagnes de neige, qui doivent donner, à l'équinoxe du printemps, de nouvelles sources à l'Océan.

Enfants, hâtez-vous de rassembler vos ballons, vos volants et vos cerfs-volants: déjà vos mères inquiètes accourent et vous rappellent à vos foyers. Heureux celui qui habite avec des parents chéris une humble chaumière au fond d'un vallon! A l'abri des collines et de ses vergers, il entend, la nuit, sans crainte, les mugissements des vents. Il s'endort au murmure lointain des forêts, et en fermant les yeux à la lumière, il bénit celui qui a pourvu aux besoins de tout l'univers.

LIVRE III.

HARMONIES AQUATIQUES.

Inspirez-moi, douces Naïades, soumises aux influences du Verseau, vous qui répandez sur la terre les ondes argentées! Venez aussi à mon aide, Néréides qui les exhalez en vapeurs vers les cieux, et qui les recevez dans les bassins des mers! Je suis né sur vos rivages. Combien de fois j'ai vu s'écouler mes journées sur vos grèves solitaires, ne me plaignant qu'à vous et au ciel des injustices des hommes ! Vos gémissements semblaient répondre à mes gémissements. Souvent, assis au pied d'un rocher, j'ai contemplé vos orages, images de ceux de ma vie. Alors, mes yeux mouillés de larmes suivaient sur vos horizons une voile lointaine, emportant vers d'autres mondes un ami malheureux. Moi-même j'ai poursuivi vers d'autres climats, à travers vos plaines liquides, un bonheur inconstant comme elles. Partout j'ai trouvé une fortune trompeuse comme les hommes; mais partout j'ai senti une nature bienfaitrice, immuable. Les hautes montagnes des Alpes n'ont rien de plus élevé que vos profondeurs, et les vastes continents ne renferment point d'objets plus ravissants que les om

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