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pendant il se fait très-bien entendre avec des cris et des gémissements, dont les sons, supérieurs à toute éloquence, remuent le cœur maternel. Philosophe, démontre à une mère, par les lois de la physique, par l'amour de l'ordre, par celui même de la patrie, qu'elle doit allaiter son enfant. Que lui répondras-tu, si elle oppose à tes raisons générales ses raisons particulières, sa délicatesse, de longues veilles, des inquiétudes toujours renaissantes, un ordre qui l'opprime, une patrie indifférente à ses besoins, et cet enfant même, objet de tant de soucis, qui, devenu homme, fera peutêtre son plus cruel tourment? Mais elle entend la voix gémissante de son enfant, et elle l'allaite sans raisonner.

Comment arrive-t-il ensuite que des parents deviennent insensibles aux cris de leurs enfants? Comment se peut-il qu'eux-mêmes les fassent naître par des châtiments à la fois obscènes et cruels? Les Sauvages, les plus féroces envers leurs ennemis, rougiraient d'en employer de semblables; cependant on voit encore, dans nos écoles, des maîtres et des maîtresses les mains armées de verges et de fouets. Les choses n'ont changé que de nom : les habitudes, les mœurs et les hommes sont toujours les mêmes. Passe pour des maîtres mercenaires, qui ne veulent gouverner que par la terreur, qui, dans des enfants étrangers, ne voient que des esclaves; mais le père qui, trompé par de mauvais exemples et de fausses autorités, ose violer envers son fils le premier pacte de la pitié formé entre

et

eux par la nature, le viole en même temps envers le genre humain!

La mère est le premier instituteur de son enfant; tachons de l'aider dans les premiers soins de son éducation. Il est nécessaire qu'elle renouvelle fréquemment l'air autour de lui: c'est, après la chaleur, son premier élément et son premier aliment. Non-seulement elle doit renouveler l'air qu'il respire, mais elle doit laver ses langes, son berceau, ses rideaux, la chambre même où il couche, afin d'en enlever les miasmes méphitiques, qui s'attachent partout, et qui proviennent de la transpiration et de la respiration. Je n'ai pas besoin de dire qu'il faut en ouvrir les fenêtres pendant le jour. Un enfant languit sans air, comme la plante qui en est privée; il pâlit et s'étiole comme elle, dans une chambre fermée. Rien ne le fortifie davantage que de l'exposer au grand air, même en hiver. Pendant le froid rigoureux que nous avons éprouvé au commencement de 1795, ma femme avait souvent l'attention de se promener au soleil et à l'air, à l'heure de midi, en tenant ma fille bien couverte dans ses bras; elle était alors âgée de six mois. Elle jetait souvent des cris dans la chambre, sans doute par le besoin de respirer le grand air; car, dès qu'on l'y portait, elle devenait tranquille, et bientôt elle était saisie d'un sommeil doux et paisible, qui la faisait profiter à vue d'œil.

J'ai toujours remarqué qu'elle pleurait et criait quand on lui mettait ses vêtements, et qu'elle se réjouissait quand on les lui ôtait. Tout enfant est

B. II.

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gai quand il est nu. C'est donc avec raison qu'on représente ainsi les Amours. La gaieté dans les enfants nus ne provient pas seulement de ce qu'ils sont débarrassés de la contrainte de leurs langes, car ma fille n'a jamais été gênée dans les siens; mais elle vient, je pense, aussi de l'action de l'air qui pénètre par les pores du corps, et y facilite le mouvement des fluides au moins, c'est par les pores que le corps transpire. Beaucoup de maux ne proviennent que de transpirations arrêtées; peut-être le corps même respire-t-il par le tissu cellulaire. C'est sans doute dans cette idée qu'un médecin célèbre conseillait les bains d'air comme très-salutaires. J'attribue le prompt accroissement des enfants des Nègres, non-seulement à l'influence du soleil sur eux, mais à ce qu'ils vont tout nus à l'air; car les enfants des Sauvages de l'Amérique, élevés de la même manière, ne sont pas moins vigoureux. Les uns et les autres, étant accoutumés, comme les animaux, aux vicissitudes de l'air, étant hommes, ils ne sont point sujets, comme nous, aux rhumes et aux rhumatismes.

Avant de guérir les maux des enfants, occupons-nous du soin de les prévenir. Si nos mœurs ne nous permettent pas de les laisser aller tout nus, au moins accoutumons les garçons à vivre à l'air le plus vif, la poitrine découverte. Sortons-les, même au milieu de l'hiver, de l'air de l'école, et donnons-leur quelque instruction en pleine campagne; menons-les à la promenade sur une hau

teur. La seule attention que l'on doit avoir, est, que les enfants échauffés dans leurs jeux ne se réfroidissent pas subitement. Il faut les faire bien couvrir de leurs habits, lorsqu'ils cessent de jouer, et les tenir toujours en mouvement jusqu'à ce qu'ils soient de retour à la maison. On évitera, par ces précautions, les pleurésies, les fluxions de poitrine, les rhumes et les rhumatismes, qui ne viennent que de transpirations arrêtées.

On peut, avec ces exercices amusants, leur donner une idée des sciences les plus profondes. La chute de leur ballon leur rendra sensible l'attraction de la terre ; et la courbe qu'il décrit en l'air, la théorie de la parabole, composée du mouvement perpendiculaire de la pesanteur et de son mouvement horizontal de projection. Tandis que quelques-uns élèvent à grands cris leur cerf-volant, et qu'ils le voient avec admiration s'élever, en se balançant, au haut des airs, expliquez-leur le mécanisme de son ascension et les lois de la décomposition des forces, c'est-à-dire du vent, sur le plan incliné du cerf-volant. Vous pouvez même, si le temps est favorable, leur donner avec prudence le spectacle étonnant de l'électricité atmosphérique, par un cerf-volant dont la ficelle est filée avec un fil de laiton, qui attire le feu électrique, et terminée par un cordon de soie, qui en arrête le cours, dans la main de celui qui le tient. Vous pouvez leur dire que l'électricité atmosphérique est le feu solaire répandu autour de nous d'une manière invisible; que ce feu se communique aux nuages, et ne les

rend foudroyants que parce qu'il cherche partout à se mettre de niveau; qu'on distingue, pour cette raison, deux électricités, l'une en plus, et l'autre en moins; que les métaux, entre autres le fer et le cuivre, lui servent de conducteurs; que c'est à cause de ces propriétés, qu'on met au haut de plusieurs édifices des barres de fer, avec des fils de fer qui s'en éloignent non pas pour attirer le tonnerre, comme le pense le vulgaire, mais pour le soutirer et l'éloigner du corps du bâtiment. Une aiguille électrique n'attire pas plus le tonnerre sur le toit d'un édifice, que la gouttière de ce toit n'y attire la pluie. L'une et l'autre servent au contraire à en écarter ces deux météores. Quant au coup invisible qui frappe celui qui touche la ficelle du conducteur, dans le cerf-volant électrique, j'en ai entendu donner des explications savantes; mais j'avoue que je n'y ai rien compris. Je soupçonne seulement que le feu électrique, et que tout feu, en général, renferme en lui plusieurs propriétés qui nous sont inconnues, entre autres, les principes du mouvement; je pense aussi que tout feu vient du soleil : la chose me paraît évidente.

Au reste, comme Michel Montaigne, j'avance mes opinions, non comme vraies, mais comme miennes. Dans toute espèce de système, on ne doit jamais balancer à avouer ses doutes et même son ignorance.

Il est surtout nécessaire, lorsqu'on parlera aux enfants des lois générales de la physique, d'en faire l'application aux besoins de la société. En tout il

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