Page images
PDF
EPUB

HARMONIES TERRESTRES

DES ANIMAUX.

Quelque intéressantes et nombreuses que soient les harmonies que les végétaux ont avec la terre, elles n'égalent point celles que les animaux ont avec elle et avec les autres éléments. Un arbre n'affaisse point par sa pesanteur le sol qui le supporte; il s'y soutient par ses longs pivots, par les différents étages de ses racines, et même par les divers plans de ses feuilles. Il n'en serait pas ainsi d'un quadrupède du même poids: comme il ne pèse qu'à la surface de la terre, il y enfoncerait par la base étroite de ses pieds. C'est sans doute pour cette raison que la nature a fait les animaux terrestres beaucoup moins pesants que les arbres, et même que les animaux aquatiques, qui sont supportés par l'eau dans toute leur longueur : l'éléphant, le plus lourd des quadrupèdes, pèse beaucoup moins qu'un cèdre et qu'une baleine. Il y a aussi cette différence très-remarquable entre le centre de gravité de l'arbre et celui du quadrupède, que le premier a le sien en bas, parce qu'il devait être en repos, et que le second l'a en haut, parce qu'il devait être susceptible d'un mouvement

de progression, qui n'a lieu que lorsqu'il porte son corps et sa tête en avant. En considérant les arbres de nos parcs et de nos vergers, dont le tronc est nu, et dont la tête est surchargée d'une masse de branches et de feuilles, on serait tenté de croire que leur partie supérieure est la plus pesante; mais ils ne sont figurés ainsi que parce qu'on a soin d'élaguer, dès leur jeunesse, les branches de leur tronc. Si on les abandonnait à la nature, ils en produiraient dès leurs racines, et affecteraient bientôt la forme pyramidale. C'est ce que j'ai vu arriver à des ormes négligés, qui avaient poussé de leur partie inférieure des rameaux si étendus, qu'on ne pouvait plus passer dans leurs intervalles, ni même dans l'avenue qu'ils formaient. Ainsi la nature a donné aux arbres des forêts des espèces d'échelles propres à les escalader. Je ne connais guère que les palmiers dont la tête șeule soit chargée de palmes. Quoique la tête des palmiers soit assez large, le poids en est léger par comparaison à celui de la partie inférieure de leur tronc, et surtout de leurs racines, composées d'une multitude de filaments qui forment une masse solide avec le sable, dont elles tirent leur nourriture. Cependant, en considérant en général les arbres comme de grands leviers, garnis du haut en bas de plusieurs étages de verdure, agités par les vents qui leur font décrire des arcs de cercle, j'admire la force prodigieuse de leurs racines, qui souvent n'ont d'autre tenue que du sable ou des terres marécageuses, où nous n'oserions asseoir le

plus petit édifice; mais je suis bien plus surpris encore en voyant des animaux fort pesants avoir en eux-mêmes une force motrice, qui les pousse, suivant leur volonté, en avant et en arrière, à droite et à gauche, en haut et en bas, suivant les diverses configurations du sol qu'ils parcourent.

Quoique tous les animaux soient assujettis à la force centripète de la terre, ils ont une force de progression qui leur est propre, et au moyen de laquelle ils surmontent cette force générale d'attraction, soit en volant dans les airs, ou en nageant dans les eaux, ou en marchant sur la terre. Nous avons entrevu combien leur vol et leur nager sont variés : maintenant, nous allons jeter un coupd'œil sur leur marcher, qui présente encore plus de combinaisons. En effet, les animaux terrestres, proprements dits, n'étant soutenus par aucun fluide, ont des organes et des moyens de progression bien plus variés que les oiseaux et les poissons. Parmi eux on en trouve qui glissent, rampent, marchent, sautent, roulent, dansent, etc., avec des membranes, des anneaux, des ressorts et des pieds, dont la configuration est en rapport avec le sol qu'ils habitent et leurs besoins divers. La nature a fait la surface de la terre assez compacte pour résister au poids des plus lourds animaux, et en même temps assez légère pour que les insectes et les végétaux pussent la pénétrer. Ainsi elle se trouve à la fois, par sa densité et sa ténuité, en rapport avec la mousse et la fourmi, et elle supporte à la fois le cèdre et l'éléphant. Cette obser

vation est, je crois, de Fénélon, et je saisis cette occasion de lui en rendre hommage.

Ce n'est pas tout. La nature a mis les animaux les plus lourds en harmonie avec cette même terre, afin qu'ils ne pussent s'y enfoncer par leurs mouvements accélérés, qui doublent et triplent leur poids. Elle les a d'abord posés sur quatre appuis, que nous appelons jambes, et ces jambes sont terminées par des pieds d'autant plus larges que le quadrupede est plus pesant. Les os de leurs jambes ne sont point en ligne droite et perpendiculaire, mais un peu arqués en-dehors et même en arrière, comme des voussoirs, pour mieux supporter la charpente de leur squelette et le poids des muscles qui y sont attachés. Elle a divisé ces jambes en plusieurs articulations, fortifiées de nerfs au pied, au jarret, à la cuisse, afin que l'animal ne tombât pas de tout son poids; ce qui serait arrivé si ses jambes avaient été d'une seule pièce. Elle a ensuite fortifié le pied d'un cuir très-épais et d'une corne à la fois dure et élastique. Il s'ensuit de toutes ces précautions, dont je donne ici une bien faible idée, que les quadrupedes les plus pesants sont, en quelque sorte, ceux qui marchent le plus légèrement.

L'éléphant a quatre jambes formées en colonnes articulées, terminées par des pieds un peu concaves en-dessous, avec cinq ergots plats, qui lui servent à gravir les montagnes, où il se plaît. Son pas est très-sûr. Le philosophe Chardin, qui en avait vu beaucoup en Perse et aux Indes, dit qu'en marchant il ne fait pas plus de bruit qu'une souris,

qu'il va fort vite, et que, s'il vient derrière vous, il est sur vos talons avant que vous vous en aperceviez. On en peut inférer qu'il ne galope point, car, s'il galopait, son poids, accéléré par la chute de toute la partie antérieure de son corps, l'enfoncerait en terre. Que serait-ce, s'il s'élançait en l'air comme un chevreuil? Il écraserait le sol comme un rocher, et s'y briserait lui-même.

Ainsi la nature a proportionné le poids des animaux à leur marche et à la densité de la terre, comme celui des oiseaux à la résistance de l'atmosphère, et celui des cétacés à l'équilibre de l'air, qui les fait flotter, et des eaux qui les supportent. Si une baleine marchait, ou même rampait sur la terre, elle y creuserait des vallées par sa pesanteur, et en détruirait tous les végétaux.

La terre, comme une bonne mère, non-seulement supporte les animaux qu'elle nourrit et qui la parcourent, mais elle leur offre de toutes parts des asiles et des lieux de repos. C'est en partie pour cette fin que ses rochers sont remplis de fentes et de crevasses, que ses sables sont si mobiles, depuis les rochers caverneux de l'Afrique qui offrent des antres aux lions, jusqu'aux dunes où les lapins creusent leurs terriers. D'un autre côté, tous les animaux ont reçu des organes, des muscles, des peaux revêtues de poil et d'autres compensations en rapport avec les diverses densités de la terre, tant pour en parcourir les sites variés, que pour y trouver des asiles et même des tombeaux.

Pour nous donner une idée de leurs harmonies

« PreviousContinue »