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effet, c'est au débouché de ce canal, et non par le travers du cap de Bonne-Espérance, qu'on est assailli de ces terribles tempêtes qui lui firent d'abord donner le nom de tempétueux. Ce sont des faits que je puis attester par les journaux des marins et par ma propre expérience.

Au reste, les vents frais et nocturnes de terre dans les îles et sur les côtes torridiennes, se font sentir surtout sur les rivages et dans le fond de leurs baies, où les remous de la mer, aidés des brises du large, portent pendant le jour les dissolutions et les débris d'une infinité de corps, qui finiraient bientôt par s'y entasser, et par y former des émanations dangereuses, sans les vents de terre qui les rejettent la nuit en pleine mer. C'est par cette raison que les vents soufflent de haut en bas, comme nous l'avons remarqué ailleurs, qu'ils sont toujours violents au haut des montagnes et sur les bords des eaux. Le bon La Fontaine a fort bien senti ces convenances naturelles, et ne les a pas moins agréablement exprimées, lorsqu'il fait dire au chêne parlant au roseau :

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir,

Je vous défendrais de l'orage;

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.

et

Le poète s'est exprimé en naturaliste, en don

nant au vent plusieurs royaumes; et il n'y a

pas de

B. II.

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doute qu'il ne plante son humble roseau dans un marais, et son chêne orgueilleux sur une hauteur. Nous observerons ici, comme nous l'avons déjà fait dans nos Études, que les végétaux de montagnes et de rivages ont pour l'ordinaire des feuilles menues, capillacées, sessiles, ligneuses, et capables ainsi de résister aux vents. Celles des chênes sont corticées et attachées à des queues fort dures; d'ailleurs, leur tronc est noueux et plein de force. Il y a de ces vieux chênes dans les montagnes, qui ont, avec leurs grosses branches coudées, l'attitude d'un athlète qui combat contre les tempêtes. Les végétaux aquatiques, au contraire, ont des tiges souples et des feuilles sessiles, comme les osiers, les saules, les joncs et les roseaux. Ceux qui ont un large feuillage, comme les nymphæa, le portent couché sur l'eau, de sorte qu'il ne donne pas de prise aux vents.

Dans les monts éoliens et sur les rivages de la zone torride, les végétaux ont des tiges souples, des feuilles branchues, alongées, et tout-à-fait ligneuses: tels sont d'abord les palmistes qui couronnent les montagnes. Leur tige, qui a souvent plus de cent pieds de hauteur, porte ses palmes au-dessus des forêts; elle est si élastique, que, dans les tempêtes, elle ploie comme un arc, et son écorce est si dure, qu'elle fait rebrousser le fer des haches; l'intérieur de son tronc n'est formé que d'un faisceau de fibres. C'est sur les mêmes hauteurs que croissent la plupart des lianes, qui, semblables à des câbles, s'attachent aux arbres, et les

fortifient contre les ouragans. L'écorce de ces lianes est si forte, que leurs lanières sont préférées aux meilleures cordes. On retrouve à peu près les mêmes qualités de souplesse et d'élasticité dans les tiges et les feuilles des graminées, des bambous, des lataniers et des cocotiers, qui croissent sur les bords de la mer. En général les feuilles de toutes les espèces de palmiers sont si ligneuses, que les Indiens s'en servent comme de petites tablettes, sur lesquelles ils écrivent ou plutôt ils gravent avec un poinçon de fer.

Non-seulement les monts éoliens ont leurs végétaux particuliers, mais aussi leurs animaux. Je ne parlerai pas des oiseaux de terre et de mer qui vont y faire leurs nids, et élèvent ainsi leurs petits au foyer des tempêtes. Il y a de ces oiseaux, comme les orfraies, les foulques et les aigles, qui, exercés contre les vents dès leur naissance, volent à l'opposite des plus violents orages. Mais il y a des quadrupèdes qui leur semblent particulièrement destinés tel est entre autres le lama du Pérou. Cet animal convient encore mieux aux monts éoliens des Cordilières, qu'à leurs glaciers. Il porte une toison épaisse et frisée comme celle du mouton; ses pieds sont armés d'ergots, qui lui servent à gravir avec vitesse les rochers. Il a le cou long, la tête petite, et des naseaux fort ouverts, pour respirer aisément. Tous ces caractères, qui lui sont communs avec le chameau, exposé aux tempêtes sablonneuses de l'Afrique, conviennent parfaitement à un habitant des monts éoliens. La nature

fait croître en abondance dans ceux de l'Amériqué, une espèce de jonc appelé ycho, qui est la nourriture favorite de cet animal. Les vents sont si violents dans ces hautes contrées, que Thomas Gage raconte qu'il fut forcé, par leur impétuosité, de s'arrêter deux jours et une nuit près du sommet d'une montagne de la Nouvelle-Espagne, appelée Maquilapa, ou tête sans poil; et il en aurait été précipité dans la mer du Sud qu'il voyait à ses pieds, s'il ne s'était enfin résolu à marcher à quatre pates comme un lama. La nature a mis dans les monts éoliens des Antilles un quadrupède qui n'a point du tout de poil. C'est l'armadille, couverte d'écailles, qui roule sur ses talons, en se mettant en boule comme un cloporte.

Les monts éoliens ont non-seulement des plantes et des animaux, mais aussi des hommes propres à les habiter, du moins aux débouchés de leurs entonnoirs. Nous pouvons ranger parmi ces hommes éoliens les Tartares et les Chinois septentrionaux. Les pays qu'ils habitent sont situés au pied de ces vastes montagnes en amphithéâtre, du nord de l'Asie, d'où, suivant Isbrand-Ides et les missionnaires jésuites, il sort régulièrement chaque jour des vents qui élèvent une si grande quantité de sable, que les habitants de Pékin ne peuvent aller dans les rues sans porter un crêpe sur leur visage. J'attribue les petits yeux en coulisse qui caractérisent les Tartares et les Chinois septentrionaux, à ces vents violents et sablonneux, qui les obligent sans cesse de cligner les paupières.

Les monts éoliens ont cependant aussi des harmonies très-agréables avec les hommes. Ils reçoivent pendant le jour les vents de la mer dans leurs gorges acoustiques, et font entendre les bruissements des flots au sein des forêts. D'un autre côté, pendant la nuit, ils chassent les parfums des végétaux bien avant en pleine mer: on sent quelquefois une île avant de l'apercevoir. En approchant de celle de France, j'ai vu nos malades scorbutiques se trouver mal tous à la fois, sans qu'on vît aucune terre. J'attribuais ces faiblesses subites et universelles à quelque influence végétale lointaine. J'avais un petit chien scorbutique aussi, qui, en se tournant le nez au vent, aspirait de toutes ses forces les émanations de ces terres invisibles.

Les monts éoliens ne sont donc pas l'ouvrage du hasard. Leurs formes mériteraient d'être étudiées, pour l'utilité même de notre architecture, qui cherche à donner en été des courants d'air frais aux appartements. On pourrait produire, ce me semble, les mêmes effets avec des courbes, qui multiplieraient en été, au haut de nos cheminées, l'ardeur du soleil. Si un foyer de chaleur, placé au bas d'une cheminée, fait sortir par le haut un vent capable de faire tourner une machine; une semblable chaleur, agissant au haut d'une cheminée, produirait peut-être par en bas un effet contraire. C'est ce qui arrive en partie à certaines cheminées, lorsque le soleil échauffe leurs sommets et en dilate l'air; car alors la fumée en descend et rentre dans la chambre. Les Persans

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