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ont rencontré, dans la mer du Sud, à plus de trois cents lieues de toute terre, des canots de Sauvages, dont les femmes donnaient à boire de l'eau de mer à leurs enfants, qui se portaient à merveille : il faut, sans doute, que l'habitude s'en prenne de bonne heure. Lorsque je passai à l'Ile-de-France, quelques officiers principaux du vaisseau ayant embarqué dans la cale à l'eau des barriques d'eaude-vie, au lieu de barriques d'eau, pour les vendre aux Indes, cette friponnerie nous mit dans la disette d'eau douce, et obligea le capitaine de réduire la ration, pour chaque matelot, à une bouteille par jour. Quelques-uns de ces malheureux, pressés de la soif, tentèrent de l'apaiser en buvant de l'eau de la mer; elle leur donnait des vomissements, et ils préféraient de boire leur propre urine.

« Mais les nuages accumulés cheminent lentement dans les airs; le soleil les a élevés de dessus l'Océan, et le vent du sud les charrie vers le pôle nord, pour y adoucir les rigueurs de l'hiver, et renouveler, chemin faisant, les sources des mers et des fleuves. Si cet océan atmosphérique, en passant sur nos têtes, tombait par masses, il dégraderait les terres; mais il s'écoule du ciel en longs filets, comme si on le versait par un arrosoir. Les champs s'en imbibent, les plantes les reçoivent dans leurs feuilles naissantes, et les oiseaux aquatiques sur leurs plumes imperméables. La nature est dans l'enfance de l'année: déjà les pluies du ciel lavent ses premières couches; les ruisseaux

tout jaunes s'écoulent en murmurant sur la pente des collines; ils entraînent les débris des terres, des pierres, des végétaux et des animaux victimes de l'hiver. Ils les portent dans les rivières, les rivières dans les fleuves, les fleuves ans les mers, et les courants les étalent sur leurs rivages. Là, les flots, qui s'y brisent sans cesse, réduisent en sables les corps les plus durs; et les feux des volcans disséminés sur leurs rivages consomment les huiles, les bitumes, les sels et tous les débris des animaux, et les rendent aux éléments. L'Océan est à la fois le tombeau et le berceau du globe. Les peuples ignorants ont fait des pélerinages aux sommets des montagnes, croyant s'approcher du ciel; les peuples éclairés devraient en faire aux rivages des mers, pour y entrevoir au moins les premiers agents de la nature et de la société.

« Cependant n'ambitionnez pas le sort des navigateurs qui ont fait le tour du monde : il n'y a que ceux qui l'ont parcouru pour faire du bien aux hommes, qui soient dignes d'envie. Combien en ont fait le tour pour le désoler! combien d'autres n'y ont rien vu que le profit de leur commerce! Mais comment admireriez-vous les merveilles de la nature dans les pays étrangers, si, avant tout, vous ne connaissiez celles du vôtre? Dieu a fait deux lots des biens qu'il distribue aux hommes: d'un côté, il a mis la fortune et les dangers, la gloire et l'envie; de l'autre, la médiocrité et le bonheur, l'obscurité et le repos. Quelquefois un jeune adolescent, séduit par des relations trom

B. II.

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peuses de voyages, quitte ses parents, s'embarque, et croit être plus heureux dans un autre climat que dans celui qui l'a vu naître. Oh! combien de fois il soupirera après le toit paternel, au milieu des mers orageuses! Combien de fois il regrettera l'humble violette de nos printemps, à l'ombre des palmiers de la zone torride! Heureux celui qui préfère le bord de son ruisseau aux rivages de l'Océan; qui, plein de reconnaissance pour ses parents, ne cherche d'autre fortune que celle de les soulager par son travail, d'autre contentement que celui de leur plaire, et d'autre gloire que celle de soumettre ses passions à sa raison!

« Mais déjà nous approchons de la ville; il est temps de nous séparer: vos tendres mères et vos sœurs chéries vous attendent; allez leur reporter l'amour de vos foyers et le goût de l'instruction. Pour vous donner une idée des harmonies des eaux, je ne vous ai point fait parcourir un cabinet de physique rempli de machines fragiles, passives et mortes; mais je vous ai promenés au milieu d'une nature active et vivante, parmi les eaux, les vents et les rochers. >>

LIVRE IV.

HARMONIES TERRESTRES.

La terre, encore dans la première enfance de l'année, nous permet d'examiner les couches de son berceau. Le soleil a enlevé une partie des neiges qui l'enveloppaient comme des langes, et qui la préservaient des rigueurs de l'hiver; on n'en voit plus que quelques lambeaux sur les sommets des montagnes; la couleur brune de son humus apparaît de toutes parts; on aperçoit, sur les escarpements de ses ravins, différents lits de fossiles déjà parés de primevères et de violettes; la vie végétale s'annonce dans les cieux. Les Autans, endormis dans leurs cavernes ténébreuses, surpris d'y revoir tout-à-coup la lumière, se réveillent furieux. Ces fiers enfants de l'hiver et de la nuit renversent les môles de glaces qu'ils avaient élevés aux sources de l'Océan, et se précipitent, en mugissant, vers l'astre du jour. Chemin faisant, ils bouleversent les mers, secouent les forêts, chassent dans les airs les brumes épaisses, et, par leurs tempêtes mêmes, préparent à notre hémisphère de nouvelles aurores et une nouvelle vie.

O toi, que l'antiquité nomma la mère des dieux,

Cybèle, terre qui soutiens mon existence fugitive, inspire-moi, au fond de quelque grotte ignorée, le même esprit qui dévoilait les temps à tes anciens oracles!

C'est pour toi que le soleil brille, que les vents soufflent, que les fleuves et les mers circulent; c'est toi que les Heures, les Zéphirs et les Néréides parent à l'envi de couronnes de lumière, de guirlandes de fleurs et de ceintures azurées; c'est à toi que tout ce qui respire suspend la lampe de la vie. Mère commune des êtres, tous se réunissent autour de toi : éléments, végétaux, animaux, tous s'attachent à ton sein maternel comme tes enfants. L'astre des nuits lui-même t'environne sans cesse de sa pâle lumière. Pour toi, éprise des feux d'un amour conjugal envers le père du jour, tu circules autour de lui, réchauffant tour-à-tour à ses rayons tes mamelles innombrables. Toi seule, au milieu de ces grands mouvements, présentes l'exemple de la constance aux humains inconstants. Ce n'est ni dans les champs de la lumière, ni dans ceux de l'air et des eaux, mais dans tes flancs qu'ils fondent leur fortune, et qu'ils trouvent. un éternel repos. O terre, berceau et tombeau de tous les êtres, en attendant que tu accordes un point stable à ma cendre, découvre-moi les richesses de ton sein, les formes ravissantes de tes vallées, et tes monts inaccessibles, d'où s'écoulent les fleuves et les mers, jusqu'à ce que mon ame, dégagée du poids de son corps, s'envole vers ce soleil où tu puises toimême ure vie immortelle !

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