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dire une agrégation d'un grand nombre de petits animalcules qui travaillent ensemble, comme les abeilles dans une ruche. Un concert de travaux et de défense si parfait est sans doute digne d'être admiré par les hommes. L'abbé Dicquemare, mon laborieux compatriote, en a fait une histoire curieuse. Pour moi, qui n'ai aperçu les animaux marins de nos rivages que dans mon enfance, et qui en conserve encore d'intéressants ressouvenirs, je me rappelle avoir vu, vers le milieu du printemps, sur les mêmes plages, dans les parcs de filets que nos pêcheurs y dressent, des espèces de papillons à quatre ailes, vivement colorés, et qui voltigeaient çà et là au fond des flaques d'eau : je ne pus jamais en saisir un seul ; je ne sache pas qu'aucun naturaliste en ait fait mention.

Mais il n'est pas nécessaire d'aller sur les rivages de la mer pour jouir des harmonies aquatiques des animaux. Les plus petits ruisseaux en présentent en quantité sur leurs bords. Ils ont, comme l'Océan, leurs volatiles, leurs poissons, leurs coquillages et leurs amphibies. C'est là que la grenouille apprit d'abord à nager à l'homme, en poussant ses pieds antérieurs en avant, et ses postérieurs en ar rière. Là, on voit une espèce de mouche glisser sur la surface de l'eau sans se mouiller les pates, tandis que la punaise aquatique nage renversée entre deux eaux. Ces deux insectes cherchent leur proie, et peut-être s'en servent l'un à l'autre, lorsqu'ils viennent à se rencontrer pieds contre pieds. L'araignée aquatique se promène au fond de l'eau,

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dans une bulle d'air qu'elle a liée avec des fils; et la teigne, dans un fourreau qu'elle s'est formé de débris de plantes. J'en ai vu une espèce, encore plus ingénieuse, se former une grotte flottante avec de petits buccins et des limaçons fluviatiles. Ce qu'il y avait de très-singulier, c'est que cette grotte pyramidale était couronnée à sa pointe par une petite plante verdoyante, de l'espèce du cresdestinée à la nourriture de l'animal, ou à tenir son habitation à flot. Il y a, dans nos ruisseaux, ya, une multitude d'êtres dont sans doute les mœurs nous sont inconnues. Je ne saurais trop le répéter, les inventions des hommes n'ont point encore atteint à l'industrie des insectes. Les Romains bâtissaient dans l'eau avec la pouzzolane, mais les coquillages construisent leurs toits avec un ciment plus durable; et la teigne colle leurs coquilles au sein des eaux avec un gluten impénétrable à l'humidité, qui seule suffit pour détruire tous les monuments des hommes.

C'est la nature sans doute qui agit par eux, et qui donne aux habitants des eaux des harmonies à la fois positives et négatives. C'est elle qui donne aux oiseaux aquatiques un réservoir d'huile dont ils se lustrent les plumes, afin de les rendre imperméables à l'eau. Elle en a frotté la plante des pieds du moucheron, qui glisse sur la surface des fontaines; et elle a revêtu la baleine de couches épaisses et élastiques de lard, pour la préserver du froid et du choc des glaces. Enfin c'est elle qui a ordonné aux animalcules des madrépores, de jeter

au sein de la zone torride les fondations des îles et des continents.

C'est sous l'influence du soleil, sur le bord des mers, à l'embouchure des ruisseaux, à l'ombre des palmiers et des bananiers, que la nature assigna primitivement à l'homme son habitation, ses subsistances, et le siége de son empire sur les animaux. Il y apprivoisa d'abord la vache, dont les pieds sont fourchus et armés d'appendices, et qui aime à paître sur le bord des rivières; le cheval solipède, qui se plaît à s'exercer à la course dans les prairies qui en sont voisines; l'oie, le cygne, qui en remontent le cours ; le pigeon, qui va picorer le sel sur les plages marines. Les enfants de l'homme agrandirent leur famille de plusieurs espèces d'animaux, en se répandant sur les rivages de la mer. L'Égyptien, pour annoncer dans les terres l'arrivée des vaisseaux, se servit d'un pigeon, comme d'un messager aérien. Le Chinois engagea le pélican à lui rapporter, du sein des flots, la large poche de son bec remplie de poissons. Des enfants, chez les Grecs, traversèrent des bras de mer sur le dos des dauphins, amis des hommes. Qui osera un jour chevaucher le phoque, si familier dans nos foires, et si caressant pour le maître qui le nourrit? Pourquoi celui qui a attaché à son char l'éléphant intelligent ne pourrait-il atteler à son canot la stupide baleine? Est-il plus aisé de la percer, au milieu des glaces, avec un harpon, que de la captiver par des bienfaits, comme les autres animaux domestiques? J'ai vu, au cap de Bonne-Espérance, des

oiseaux de marine de toute espèce se promener dans les rues, et un pélican même s'y jouer avec un chien. Sans doute l'homme peut mettre dans sa dépendance les animaux innocents de la mer, lorsqu'il a pu dresser à la chasse les bêtes carnassières de l'air et de la terre, telles que le faucon, l'épervier, le furet, et le tigre même. J'ai vu, dans le canal de Chantilly, de vieilles carpes venir prendre du pain de la main de l'homme. Que de communications rapides entre les peuples, que de ressources pour les malheureux naufragés, s'ils employaient à les aider dans leurs besoins, les oiseaux, les poissons, les amphibies! Où sont, sur le globe, les bornes de la puissance de celui qui traverse les glaces dans un traîneau, la terre sur un char, l'Océan dans un navire, et l'atmosphère avec un aérostat de toile? Tout est possible à qui la nature a donné de subjuguer tous les animaux par ses armes ou par ses caresses. Pour en faire des esclaves, il lui suffit de s'en faire craindre; mais, pour en faire des serviteurs et des amis, il doit s'en faire aimer. La terreur lui a donné l'empire sur la terre et dans les airs, la bienfaisance seule peut l'étendre jusqu'au fond des eaux.

HARMONIES AQUATIQUES

DE L'HOMME,

L'homme, considéré nu, n'a ni fourrure comme les animaux, ni ailes comme les oiseaux, ni nageoires comme les poissons, ni plusieurs pieds comme les quadrupedes: cependant il est le seul des êtres vivants qui puisse habiter par tout le globe. Ce n'est point une machine ordonnée à un seul élément; c'est un moteur de toutes les machines, que l'intelligence humaine, de concert avec celle de la nature, peut assortir à tous les éléments. Toutefois, si nous considérons ses rapports intérieurs et extérieurs avec les eaux, nous verrons que toutes les lois de l'hydraulique ont concouru à les rassembler.

Harmonie des eaux, fille du soleil, laisse-moi entrevoir ce méandre des fluides que tu fais circuler avec la vie dans le corps humain; donne-moi des expressions aussi gracieuses que les formes ondoyantes dont tu l'as revêtu. Tu inspiras le Tasse quand il imagina de placer à l'entrée des jardins d'Armide des nymphes qui se disputaient un prix à la nage. Les tableaux de la nature sont encore plus aimables que les fictions de la volupté; ses scènes croissent d'intérêt en intérêt avec le drame

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