Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

Qu'est-ce que les Lois fondamentales?-De leur importance.

Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses.

Cette définition, copiée dans Montesquieu, est parfaite. Elle devroit être présente constamment à l'esprit de tous ceux qui concourent à l'émission d'une loi. Comme cette définition embrasse les diverses acceptions du mot LOI, il n'en est que plus important de se pénétrer de cette première et si essentielle vérité, que, soit qu'il s'agisse des lois qui forment le code du droit des gens, des lois fondamentales qui constituent le droit politique d'un Etat, ou des lois civiles qui règlent les relations ou les transactions des particuliers entre eux, et qui forment leur état civil, ou leur code civil, il faut, dis-je, que le législateur soit pénétré de cette vérité, qu'il ne faut admettre dans les dispositions d'une loi que celles qui dérivent de la nature des choses, que celles qui ont des

1

rapports nécessaires avec les choses sur lesquelles la loi statue. Hors de ce principe, la loi fausse les esprits, est d'une application difficile ou impossible, produit d'autres effets que ceux qu'on a voulus, ou tombe en désuétude.

Les lois faites par les hommes sont faites pour les hommes, c'est-à-dire pour des êtres intelligens. Dieu qui a fait ses lois non seulement pour les hommes, mais pour régir et conserver l'univers, a doué de la raison les êtres intelligens; d'où il suit, toujours d'après Montesquieu, qu'il faut reconnoître une raison primitive des lois, et que les bonnes lois sont les rapports qui existent entre cette raison primitive et les différens êtres, plus, les rapports de ces différens êtres entre eux.

Avant que les lois soient faites, les principes, les antécédens de ces lois existent ce sont la raison primitive et les rapports des différens êtres entre eux. Ce qui fait que tant de lois sont mauvaises, c'est que les passions des hommes les ont égarés, et leur ont fait perdre de vue ces antécédens. Le nombre des législateurs est presque infini; un très-petit nombre de bonnes lois ont traversé les siècles depuis la réunion des hommes en société.

. Ces premières données établies d'après Montesquieu, sont des vérités irréfragables, et c'est en les méditant qu'on peut apprécier ce qu'est,

ou ce que doit être une loi, soit générale, soit spéciale. J'ai dû les rappeler en commençant pour être plus clair, et si je puis, plus concis dans le développement que je leur donnerai, et dans les conséquences que j'en tirerai. Je n'ai pas à examiner ici les lois qui forment le code du droit des gens, ni les lois qui règlent les rapports des particuliers ou des individus. entre eux, et forment le code civil, mais seulement les lois dans le rapport qu'ont ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés, c'est-à-dire les lois fondamentales qui forment le corps du droit politique.

C'est une vérité assez généralement sentie, plutôt qu'elle n'a été démontrée, que les lois fondamentales sont indispensables pour vivifier la Charte. Leur urgence n'a pas été également reconnue. Si on s'en étoit inquiété autant que cela eût été nécessaire, elles seroient faites, et mieux faites, qu'il n'est probable qu'on pourra désormais les faire. Mais rien de tout ce que je viens de dire, quoique cela m'ait semblé nécessaire à dire, ne répond à la question qui fait le sujet de ce chapitre : Qu'est-ce que les lois fondamentales ?

Les lois fondamentales varient suivant la nature du gouvernement pour lequel elles sont ou se ont faites. Elles ne doivent pas être les mêmes pour le gouvernement monarchique que pour le gouvernement républicain, et vice versa.

[ocr errors]

Elles sont le corollaire d'une Charte soit mo narchique soit républicaine; elles lui donnent la vie. Chacune d'elles est nécessaire, non seulement à la conservation de cette Charte, mais à l'existence du gouvernement qui en résulte ; elles doivent être en harmonie parfaite avec ce gouvernement, être en rapport direct avec sa nature et en harmonie entre elles. Ces lois et la Charte formant le corps complet du droit politique d'un Etat, devroient être conçues par la même pensée, et, s'il étoit permis de le dire, jetées dans le même moule, ou rédigées par le même législateur.

Il s'ensuit qu'une Charte sans lois fondamentales ne donne pas un système complet de droit politique, et surtout que și ces lois sont faites à de longs intervalles, si on perd de vue la nature du gouvernement (comme cela n'est que trop facile) pour lequel on les fait, le gouvernement lui-même sera dénaturé, et ne sera plus celui qui primitivement résultoit de la Charte. Voilà le redoutable écueil contre lequel il est à craindre qu'un gouvernement et sa Charte ne viennent se briser, d'autant qu'il est difficile de l'éviter.

par

L'importance de ces lois se reconnoît déjà leur seule définition. Maintenant, et puisque nous sommes encore aux premiers essais du gouvernement que la Charte a créé, et qu'il ne recevra le complément qui lui manque que des

lois fondamentales qui TOUTES sont à faire, prenons garde, tant pour nous que pour les peuples qui veulent nous imiter, que le germe de la corruption ne soit placé précisément à la source : le mal seroit d'autant plus incurable.

Quand Montesquieu écrivoit, la seule Angleterre avoit modifié la monarchie par le système représentatif; car la Suisse et les ProvincesUnies étoient des républiques fédératives, et la nature comme la forme de ces gouvernemens n'avoit aucune ressemblance avec le gouvernement de l'Angleterre. Montesquieu a analysé, à sa manière, c'est-à-dire avec une perfection inimitable, la constitution Anglaise. C'est une chose remarquable qu'ayant consacré plusieurs de ses plus longs chapitres à l'examen de cette constitution, le gouvernement qui en résulte soit le seul dont il n'ait pas déterminé la nature, et auquel il n'ait pas affecté un principe comme ressort de son action, ce qu'il a fait successivement, si clairement et si méthodiquement pour toutes les autres espèces de gouvernement, Cela est fort regrettable en soi. L'autorité de Montesquieu seroit d'un grand poids dans les graves circonstances où se trouvent les différens Etats de l'Europe, quand il s'agit pour tous, sans en excepter la France, de faire des lois fondamentales qui soient en harmonie avec la nature et le principe des diverses mo

« PreviousContinue »