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NOTICE

SUR LUCRECE.

Suivant Eusèbe, Lucrèce naquit la seconde année de la 71 olympiade ; époque où la Grèce commençait à répandre ses lumières dans l'Italie ; où Cicéron, Atticus, Catulle et J. César apparurent presque ensemble; où le génie ambitieux qui allait asservir Rome grandissait auprès du génie littéraire qui devait la consoler de sa liberté perdue. Lucrèce appartenait à cette antique famille dont le nom avait déjà été immortalisé par l'héroïsme d'une femme 2. Les annales du temps citent avec honneur quelques autres membres de cette famille. « Q. Lucrétius Vespillo, dit Cicéron, est un habile jurisconsulte; mais Q. Lucrétius Ofella brille surtout dans les harangues 3. » César enfin parle du sénateur Vespillo.

Lucrèce seul, obéissant à une maxime fondamentale de son école, demeura, comme Mécène, simple chevalier. Il n'ajouta aux titres de sa famille que le surnom de Carus, que justifie son attachement pour Memmius4; noble amitié comme toutes celles qui se formèrent entre les grands et les poëtes de Rome, à la gloire des uns et des autres, et dont Horace et Virgile offrirent plus tard de si touchants exemples. On suppose que Lucrèce accompagna Memmius en Bithynie, avec Catulle et le grammairien Nicétas; mais on ignore s'il put faire le voyage d'Athènes, alors le complément nécessaire d'une éducation libérale. On croit pourtant qu'il étudia dans le berceau de la philosophie qu'il a chantée, sous Zénon, qui fut, après Épicure, la lumière et l'honneur de l'école.

Suivant une version qui paraît au moins téméraire, un philtre que lui donna une maîtresse ja louse, altérant cette grande et vigoureuse intelligence, l'aurait précipité, jeune encore, dans une fo

L'an de Rome 657, 94 avant J. C.

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2 Lucrèce, femme de Collatin, était fille de Sp. Lucrétius Tricipitinus, qui gouverna, comme interroi, jusqu'à la nomination des consuls.

3 Brutus, § 178.)

C. Memmius Gémellus, à qui Lucrèce dédia son poëme, était de cette noble et antique famille que Virgile fait remonter jusqu'aux compagnons d'Enée :

Mox Italus Mnestheus, genus a quo nomine Memmi. (En., liv. v.) Il fut nommé tribun du peuple, gouverneur de Bithynie; mais il aspira vainement au consulat, et accusé de brigue, il mourut en exil à Patras, bourg de l'Achaie. Orateur habile, poëte élégant, il aimait et protégeait les arts. Cicéron lui accorde une profonde connaissance des lettres grecques, un esprit fin, du charme dans la parole, et ne lui reproche que son indolence, qui diminua, par le défaut d'exercice, les précieuses qualités de la nature. « C. Memmius, Lucii filius, perfectus litteris, sed græcis fastidiosus sane latinarum; argutus orator, verbisque dulcis; sed fugiens non modo dicendi, verum etiam cogitandi laborem, tantum sibi de facultate detraxit, quantum imminuit industriæ. » (Cic., de Orat.)

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lie mêlée d'intervalles lucides, durant lesquels il aurait fait son poëme. Ainsi quelques instants de calme, quelques éclairs de raison auraient suffi pour concevoir avec tant de force et exécuter avec tant de précision le plus difficile des sujets de poésie; ainsi un homme, partagé entre ces singulières intermittences de fièvre et de génie, aurait pu développer des théories si ardues avec tant d'ordre, de proportion et d'enchaînement. Peut-être la manière dont mourut Lucrèce a-t-elle autorisé cette coujecture. Il est trop vrai qu'à 44 ans, à cet âge où l'esprit de l'homme a acquis toute sa vigueur, ce grand poëte se donna la mort. Les uns prétendent que ce fut dans un accès de délire, triste fin pour un sage! les autres soutiennent que le chagrin de voir Memmius tombé en disgrâce le jeta dans cette extrémité; mais un tel chagrin semble fort extraordinaire chez un philosophe si détaché des honneurs. Il est plus vraisemblable que, fatigué du spectacle des maux qui accablaient sa patrie, il voulut se reposer dans la mort, qui était, à ses yeux, un éternel et paisible sommeil.

On a observé que Lucrèce succomba le jour où Virgile prenait la robe. Quelques-uns, outrant cette coïncidence, veulent que le poëte des Géorgiques soit né au moment où expirait le chantre de la Nature; et cette opinion dut répandre dans l'école de Pythagore la poétique idée que Virgile était l'âme de Lucrèce, appelée à produire sous un autre corps d'autres chefs-d'œuvre.

Eusèbe, qui nous montre Lucrèce atteint de folie, ajoute que son ouvrage fut revu et publié par Cicéron; ce qui est encore moins vraisemblable. Comment croire en effet qu'un poëte qui s'est rendu à lui-même un si noble témoignage ait douté de ses forces au point de se soumettre à la censure même d'un homme supérieur?

Au reste, Cicéron lui-même, qu'on ne peut guère accuser de réserve dans ses confidences à la postérité, n'eût pas manqué de se faire honneur de cette marque de déférence rendue à son goût, dans le passage de ses Lettres où, parlant du poëme de Lucrèce, il y reconnaît d'éblouissantes lumières et beaucoup d'art'.

On sait quel enthousiasme Virgile, dans ses Géorgiques, montre pour cet heureux sage qui a dépouillé la nature de ses voiles, et la mort de ses terreurs : Felix qui potuit rerum cognoscere causas, Atque metus omnes et inexorabile fatum. Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari! (Georg. 11.)

Lucretii poëmata, ut scribis, ita sunt multis ingenii luminibus illustrata, multæ tamen et artis. [(Cic., op. ad. Quint.)

Ovide le loue dans des vers spirituels :
Carmina sublimis tum sunt peritura Lucreti,
Exilio terras cum dabit una dies.

Stace vante aussi la sublime fureur du poëte : Cedet musa rudis ferocis Enni, Et docti furor arduus Lucreti. Peut-être même ce vers est-il l'unique raison de la folie attribuée à Lucrèce ; des interprètes téméraires ayant pris pour l'emportement d'un véritable délire cette fougue d'inspiration, cette impétuosité de génie que le mot furor exprime.

Lucrèce n'a guère moins été admiré par les modernes.

Molière surtout aimait ce poëte, qui mêle souvent, comme lui, les railleries les plus fines à la morale la plus haute.

Il essaya, dit-on, de le traduire; mais il ne reste de son travail qu'une vive et piquante imitation, introduite dans le Misanthrope. Voltaire, cet esprit

Voici les deux morceaux rapprochés. Le morceau latin a tiré un prix particulier de l'idée qu'a eue Lucrèce d'y encadrer les expressions grecques ridiculement affectées par les jeunes voluptueux de son époque.

La påle est aux jasmins en blancheur comparable;
La noire à faire peur, une brune adorable;

La maigre a de la taille et de la liberté;

La grasse est, dans son port, pleine de majesté;

La malpropre sur soi, de peu d'attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée;
La géante paraît une déesse aux yeux;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux;
L'orgueilleuse a le cœur digne d'une couronne,
La fourbe a de l'esprit, la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d'agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur.
C'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extrême
Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime.
Acte II, sc. 5.

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Parmi les traductions en prose, d'ailleurs peu nombreuses, qui ont été faites de ce poëme, la plus remarquable (nous pourrions dire la seule remarquable) est celle de Lagrange. Mais ce travail, qui atteste une connaissance profonde des deux langues, a surtout pour objet de faire comprendre le fond de la doctrine épicurienne; et, pour nous montrer le philosophe, quelquefois elle fait disparaître le poëte. Peut-être est-ce rendre un hommage plus complet à Lucrèce, que d'employer toutes les ressources de la traduction à faire ressortir le poëte: car c'est bien beautés poétiques qui y sont répandues, que le poëme moins pour le fond que pour l'attrait des grandes de la Nature des choses aura toujours des lecteurs. C'est ce qu'on a tâché de faire dans cette traduction.

Nigra μελίχροος est; immunda ac fetida, άκοσμος;
Casia, Παλλάδιον nervosa et lignea, Δορκάς;
Parvola, pumilio, Xapitwv ura, tota merum sal;
Magna atque immanis, xaτáлλris, plenaque honoris ;
Balba, loqui non quit? tpavλíčet ; muta, pudens est;
At flagrans, odiosa, loquacula, A¤μлádiov fit;
Ἰσχνὸν ἐρωμένιον tum fit, quam vivere non quit
Præ macie; potvǹ vero est jam mortua tussi;
At gemina et mammosa, Ceres est ipsa ab laccho;
Simula, Σιληνή ac Σατύρα est; labiosa, φίλημα.
Liv. IV,
V. 156.

LUCRÈCE.

UNIV. OF

DE LA NATURE DES CHOSES.

LIVRE PREMIER

Mère des Romains, charme des dieux et des hommes, bienfaisante Vénus, c'est toi qui, fécondant ce monde placé sous les astres errants du ciel, peuples la mer chargée de navires, et la terre revêtue de moissons; c'est par toi que tous les êtres sont conçus, et ouvrent leurs yeux naissants à la lumière. Quand tu parais, ô déesse, le vent tombe, les nuages se dissipent; la terre déploie sous tes pas ses riches tapis de fleurs; la surface des ondes te sourit, et les cieux apaisés versent un torrent de lumière resplendissante.

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Dès que les jours nous offrent le doux aspect❘ du printemps, dès que le zéphyr captif recouvre son haleine féconde, le chant des oiseaux que tes feux agitent annonce d'abord ta présence, puis, les troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et traversent les fleuves rapides: tant les êtres vivants, épris de tes charmes et saisis de ton attrait, aiment à te suivre partout où tu les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les montagnes, au fond des torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et dans les vertes campagnes, ta douce flamme pénètre tous les

T. LUCRETII CARI

DE RERUM NATURA.

cœurs, et fait que toutes les races brûlent de se perpétuer.

Ainsi donc, puisque toi seule gouvernes la nature, puisque sans toi rien ne jaillit au séjour de la lumière, rien n'est beau ni aimable, sois la compagne de mes veilles, et me dicte ce poëme que je tente sur la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu que, paré de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse, faut-il couronner mes vers de grâces immortelles.

Fais cependant que les fureurs de la guerre s'assoupissent, et laissent en repos la terre et l'onde. Toi seule peux rendre les mortels aux doux loisirs de la paix, puisque Mars gouverne les batailles, et que souvent, las de son farouche ministère, il se rejette dans tes bras, et là, vaincu par la blessure d'un éternel amour, il te contemple, la tête renversée sur ton sein; son regard, attaché sur ton visage, se repaît avidement de tes charmes, et son âme demeure suspendue à tes lèvres. Alors, ô déesse, quand il repose sur tes membres sacrés, et que, penchée sur lui, tu l'enveloppes de tes caresses, laisse tomber à son oreille quelques douces paroles,

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Denique per maria, ac monteis, fluviosque rapaceis, Frundiferasque domos avium, camposque virenteis, Omnibus incutiens blandum per pectora amorem, Efficis, ut cupide generatim secla propagent. Quæ quoniam rerum naturam sola gubernas, Nec sine te quidquam dias in luminis oras Exoritur, neque fit lætum neque amabile quidquam; Te sociam studeo scribundeis versibus esse, Quos ego de RERUM NATURA pangere conor Memmiadæ nostro; quem tu, deaļ, tempore in omni Omnibus ornatum voluisti excellere rebus : Quo magis æternum da dicteis, diva, leporem. Effice, ut interea fera manera militiai, Per maria ac terras omneis, sopita quiescant. Nam tu sola potes tranquilla pace juvare Mortaleis; quoniam belli fera monera Mavors Armipotens regit, in gremium qui sæpe tuum se Rejicit, æterno devictus volnere amoris : Atque ita, suspiciens tereti cervice reposta, Pascit amore avidos, inhians in te, dea, visus; Eque tuo pendet resupini spiritus ore. Hunc tu, diva, tuo recubantem corpore sancto Circumfusa super, suaveis ex ore loquelas

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LIBER I.

Æneadum genetrix, hominum divomque voluptas,
Alma Venus! cœli subter labentia signa
Quæ mare navigerum, quæ terras frugiferenteis
Concelebras; per te quoniam genus omne animantum
Concipitur, visitque exortum lumina solis :
Te, dea, te fugiunt ventei, te nubila cœli,
Adventumque tuum : tibi suaveis dædala tellus
Submittit flores; tibi rident æquora ponti,
Placatumque nitet diffuso lumine cœlum.
Nam simul ac species palefacta est verna diei,
Et reserata viget genitabilis aura Favoni;
Aeriæ primum volucres te, diva, tuumque
Significant initum, perculsæ corda tua vi.
Inde feræ pecudes persultant pabula læta,
Et rapidos tranant amneis: ita, capta lepore,
[Illecebrisque tuis, omnis natura animantum]
Te sequitur cupide, quo quamque inducere pergis.
LUCRÈCE.

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et demande-lui pour les Romains une paix tranquille. Car le malheureux état de la patrie nous ôte le calme que demande ce travail; et, dans ces tristes affaires, l'illustre sang des Memmius se doit au salut de l'État.

Ouvre pourtant les oreilles, cher Memmius! laisse làtes soucis, et abandonne-toi à la vérité. Ces dons, ces œuvres élaborées pour toi d'une main fidèle, ne les rejette point avec mépris avant de les connaître. Car je vais discuter les grandes lois qui gouvernent les cieux, les immortels, et te faire voir les principes dont la nature forme, nourrit, accroît toutes choses, et où elle les réduit toutes quand elles succombent. Pour rendre compte de ces éléments, nous avons coutume de les appeler matière, corps générateurs, semence des êtres; et même nous employons le mot de corps premiers, parce que tout vient de ces substances primitives.

Car il ne faut rien imputer aux dieux qui, par la force de leur nature, jouissent dans une paix profonde de leur immortalité, loin de nos affaires, loin de tout rapport avec les hommes. Aussi, exempts de douleur, exempts de péril, forts de leurs propres ressources et n'ayant aucun besoin de nous, la vertu ne les gagne point et la colère ne peut les toucher.

mortel osa enfin lever les yeux, osa enfin lui résister en face. Rien ne l'arrête, ni la renommée des dieux, ni la foudre, ni les menaces du ciel qui gronde loin d'ébranler son courage, les obstacles l'irritent, et il n'en est que plus ardent à rompre les barrières étroites de la nature. Aussi en vient-il à bout par son infatigable génie : il s'élance loin des bornes enflammées du monde, il parcourt l'infini sur les ailes de la pensée, il triomphe, et revient nous apprendre ce qui peut ou ne peut pas naître, et d'où vient que la puissance des corps est bornée et qu'il y a pour tous un terme infranchissable. La superstition fut donc abattue et foulée aux pieds à son tour, et sa défaite nous égala aux dieux.

Mais tu vas croire peut-être que je t'enseigne des doctrines impies, et qui sont un acheminement au crime; tandis que c'est la superstition, au contraire, qui jadis enfanta souvent des actions criminelles et sacriléges. Pourquoi l'élite des chefs de la Grèce, la fleur des guerriers, souillèrent-ils en Aulide l'autel de Diane du sang d'Iphigénie? Quand le bandeau fatal, enveloppant la belle chevelure de la jeune fille, flotta le long de ses joues en deux parties égales ; quand elle vit son père debout et triste devant l'aute!, et près de lui les ministres du sacrifice qui caJadis, quand on voyait les hommes traîner chaient encore leur fer, et le peuple qui pleurait une vie rampante sous le faix honteux de la su- en la voyant; muette d'effroi, elle fléchit le geperstition, et que la tête du monstre, leur ap-nou, et se laissa aller à terre. Que lui servait alors, paraissant à la cime des nues, les accablait de l'infortunée, d'être la première qui eût donné le son regard épouvantable, un Grec, un simple nom de père au roi des Grecs? Elle fut enlevée par

Funde, petens placidam Romaneis, incluta, pacem.
am neque nos agere hoc patriai tempore iniquo
Possumus æquo animo; nec Memmi clara propago
Talibus in rebus communi deesse saluti.

Primum Graius homo mortaleis tollere contra
Est oculos ausus, primusque obsistere contra :
Quem neque fama deum, nec fulmina, nec minitanti
Murmure compressit cœlum; sed eo magis acrem
Irritat virtutem animi, confringere ut arcta
Naturæ primus portarum claustra cupiret.

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Ergo vivida vis animi pervicit, et extra

Processit longe flammantia monia mundi;

Quod superest, vacuas aureis mihi, Memmius, et te,
Semotum a curis, adhibe veram ad rationem:
Ne mea dona, tibi studio disposta fideli,
Intellecta prius quam sint, contemta relinquas.
Nam tibi de summa cœli ratione deumque
Disserere incipiam, et rerum primordia pandam ;
Unde omneis natura creet res, auctet, alatque;
Quoque eadem rursum natura peremta resolvat :
Quæ nos materiem et genitalia corpora rebus
Reddunda in ratione vocare, et semina rerum
Appellare suemus, et hæc eadem usurpare
Corpora prima, quod ex illis sunt omnia primis.
[Omnis enim per se divom natura, necesse est,
Immortali ævo summa cum pace fruatur,
Semota ab nostris rebus, sejunctaque longe;
Nam privata dolore omni, privata periclis,
Ipsa suis pollens opibus, nihil indiga nostri,
Nec bene promeritis capitur, nec tangitur ira. ]
Humana ante oculos fede quom vita jaceret
In terris, oppressa gravi sub Religione,
Quæ caput a cœli regionibus ostendebat,
Horribili super aspectu mortalibus instans;

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Atque omne immensum peragravit mente animoque : 75
Unde refert nobis victor, quid possit oriri,

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Quid nequeat; finita potestas denique quoique
Quanam sit ratione, atque alte terminus hærens.
Quare Religio, pedibus subjecta, vicissim
Obteritur, nos exæquat victoria cœlo.

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Illud in his rebus vereor, ne forte rearis
Impia te rationis inire elementa, viamque
Indugredi sceleris; quod contra sæpius olla
Religio peperit scelerosa atque impia facta.
Aulide quo pacto Triviai virginis aram
Iphianassæo turparunt sanguine fede
Ductores Danaum delectei, prima virorum :

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des hommes qui l'emportèrent toute tremblante à l'autel, non pour lui former un cortège solennel après un brillant hymen, mais afin qu'elle tombât chaste victime sous des mains impures, à l'âge des amours, et fût immolée pleurante par son propre père, qui achetait ainsi l'heureux départ de sa flotte: tant la superstition a pu inspirer de barbarie aux hommes!

Toi-même, cher Memmius, ébranlé par ces effrayants récits de tous les apôtres du fanatisme, tu vas sans doute t'éloigner de moi. Pourtant ce sont là de vains songes; et combien n'en pourrais-je pas forger à mon tour qui bouleverseraient ton plan de vie, et empoisonneraient ton bonheur par la crainte! Et ce ne serait pas sans raison; car pour que les hommes eussent quelque moyen de résister à la superstition et aux menaces des fanatiques, il faudrait qu'ils entrevissent le terme de leurs misères : et la résistance n'est ni sensée, ni possible, puisqu'ils craignent après la mort des peines éternelles. C'est qu'ils ignorent ce que c'est que l'âme; si elle naît avec le corps, ou s'y insinue quand il vient de naftre; si elle meurt avec lui, enveloppée dans sa ruine, ou si elle va voir les sombres bords et les vastes marais de l'Orcus; ou enfin si une loi divine la transmet à un autre corps, ainsi que le chante votre grand Ennius, le premier qu'une couronne du feuillage éternel, apportée du riant Hélicon, immortalisa chez les races italiennes. Toutefois il explique dans des vers impérissa

bles qu'il y a un enfer, où ne pénètrent ni des corps ni des âmes, mais seulement des ombres à forme humaine, et d'une pâleur étrange; et il raconte que le fantôme d'Homère, brillant d'une éternelle jeunesse, lui apparut en ces lieux, se mit à verser des larmes amères, et lui déroula ensuite toute la nature.

Ainsi donc,si on gagne à se rendre compte des affaires célestes, des causes qui engendrent le mouvement du soleil et de la lune, des influences qui opèrent tout ici-bas, à plus forte raison faut-il examiner avec les lumières de la raison en quoi consistent l'esprit et l'âme des hommes, et comment les objets qui les frappent, alors qu'ils veillent, les épouvantent encore, quand ils sont ensevelis dans le sommeil ou tourmentés par une maladie; de telle sorte qu'il leur semble voir et entendre ces morts dont la terre recouvre les ossements.

Je sais que dans un poëme latin il est difficile de mettre bien en lumière les découvertes obscures des Grecs, et que j'aurai souvent des termes à créer, tant la langue est pauvre et la matière nouvelle. Mais ton mérite, cher Memmius, et le plaisir que j'attends d'une si douce amitié, m'excitent et m'endurcissent au travail, et font que je veille dans le calme des nuits, cherchant des tours heureux et des images poétiques qui puissent répandre la clarté dans ton âme, et te découvrir le fond des choses.

Or, pour dissiper les terreurs et la nuit des

Per genteis Italas hominum quæ clara clueret : 120 Etsi præterea tamen esse Acherusia templa

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Ennius æternis exponit versibus edens,

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Tantum Religio potuit suadere malorum!

Tutemet a nobis jam quovis tempore, vatum
Terriloquis victus dictis, desciscere quæres.

Quippe etenim quam multa tibi jam fingere possum 105
Somnia, quæ vitæ rationes vortere possint,
Fortunasque tuas omneis turbare timore.

Et merito: nam, si certam finem esse viderent
Ærumnarum homines, aliqua ratione valerent
Religionibus atque minis obsistere vatum :
Nunc ratio nulla est restandi, nulla facultas;
Æternas quoniam pœnas in morte timendum.
Ignoratur enim, quæ sit natura animai;
Nata sit, an contra nascentibus insinuetur;
Et simul intereat nobiscum, morte diremta,
An tenebras Orci visat, vastasque lacunas;
An pecudes alias divinitus insinuet se,
Ennius ut noster cecinit, qui primus amœno
Detulit ex Helicone perenni frunde coronam,

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Quapropter, bene quom superis de rebus habenda Nobis est ratio, solis lunæque meatus Qua fiant ratione, et qua vi quæque gerantur In terris; tunc cum primis ratione sagaci, Unde anima atque animi constet natura, videndum : Et quæ res, nobis vigilantibus obvia, menteis Terrificet morbo affecteis, somnoque sepulteis; Cernere uti videamur eos, audireque coram, Morte obita quorum tellus amplectitur ossa. Nec me animi fallit, Graiorum obscura reperta Difficile illustrare Latinis versibus esse; Multa novis verbis præsertim quom sit agundum, Propter egestatem linguæ et rerum novitatem : Sed tua me virtus tamen, et sperata voluptas Suavis amicitiæ quemvis efferre laborem Suadet, et inducit nocteis vigilare serenas, Quærentem, dictis quibus, et quo carmine demum Clara tuæ possim præpandere lumina menti, Res quibus occultas penitus convisere possis.

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