Et livre au fer tranchant, aux dévorantes flammes, Les temples, les palais, les enfants, et les femmes. Sa sœur tremblante accourt à ce tumulte affreux; Et, meurtrissant son sein, arrachant ses cheveux, Vers la reine expirante elle vole et l'appelle: Didon, il est donc vrai, tu me trompois, cruelle ! Quoi! ce bûcher fatal, ces autels, et ces feux, N'étoient donc de ta mort que les apprêts pompeux? Élise en tous les temps partagea ta fortune; D'où vient que cette mort ne nous est pas commune? P Ter sese adtollens cubitoque adnixa levavit; Tum Juno omnipotens, longum miserata dolorem, Difficilisque obitus, Irim demisit Olympo, Quæ luctantem animam nexosque resolveret artus. Nam, quia nec fato, merita nec morte peribat, Sed misera ante diem, subitoque adcensa furore, Nondum illi flavum Proserpina vertice crinem Abstulerat, Stygioque caput damnaverat Orco. Ergo Iris, croceis per cœlum roscida pennis (4), Mille trahens varios adverso sole colores, Devolat, et supra caput adstitit: «Hunc ego Diti Sacrum jussa fero, teque isto corpore solvo. » Sic ait, et dextra crinem secat; omnis et una Dilapsus calor, atque in ventos vita recessit. Trois fois, avec effort, sur un bras se dressant, Sa chaleur s'évapore, et son ame s'exhale. NOTES DU LIVRE QUATRIÈME. Ce livre est peut-être celui de toute l'Énéide qui a valu à son auteur le plus d'admirateurs et de critiques; d'admirateurs, par les grandes beautés qu'il renferme, et de critiques, par l'extrême supériorité qu'il paroît avoir sur des chants dont le sujet est moins intéressant, mais dont la poésie est peut-être plus admirable. L'intérêt qui l'anime, et la perfection des détails, sont faits pour toucher toutes les classes de la société, et sur-tout celles qu'on ne sauroit émouvoir que par le tableau des grandes passions. Mais Virgile, forcé par le plan de son ouvrage de séparer Énée de Didon, a jeté malgré lui quelque défaveur sur son principal personnage; et les huit derniers livres ont dû souffrir de ce défaut inévitable: Énée a été accusé d'ingratitude, de perfidie, et de superstition. Le poëte latin, favori de Mécène, et courtisan d'Auguste, en employant le merveilleux de sa religion, ne s'est peut-être pas assez rendu compte de ce que pouvoient perdre un jour d'intérêt la puissance des Romains, leurs dieux, et leurs oracles; tandis que les peintures qu'il a faites d'un amour malheureux devoient produire une impression à jamais durable. Les femmes surtout se passionnent difficilement pour les intérêts politiques d'un grand peuple de l'antiquité; mais elles se mettent facilement à la place d'une amante abandonnée. Les oracles, Junon, Jupiter, et leurs ordres souverains n'égalent pas à leurs yeux une des larmes de l'amour malheureux. Virgile auroit pu éviter une partie de ces inculpations, en mettant dans la bouche d'Énée des expressions plus touchantes de douleur et de regret ; par exemple, au lieu de lui faire dire: « Si j'eusse été le maître de mon sort, je serois encore à Troie, << occupé de rebâtir ses murailles et les temples de nos dieux,>> peut-être eût-il été convenable qu'il lui fît expliquer ses regrets d'une manière plus consolante pour Didon, comme l'a fait M. Le Franc de Pompignan dans les vers qui sui vent: Hélas! si de mon sort j'avois ici le choix, Bornant à vous aimer le bonheur de ma vie, Qui pouvoit réparer tous les maux qu'ils m'ont faits. Didon, act. III, sc. v. person Voilà qui est dans toutes les règles de notre galanterie. Mais il faut avouer qu'il n'y a pas de peuple où le nage d'Énée pût moins réussir que chez les Français, accoutumés dans leurs représentations théâtrales à une espèce d'idolâtrie pour les femmes, et à voir les plus grands intérêts sacrifiés à ceux de l'amour: c'est peut-être une suite de l'esprit de chevalerie, que les anciens connoissoient moins que nous. Homère en est encore plus éloigné que Virgile; ses dieux mêmes tiennent un langage que réprouveroient les hommes les moins polis de nos temps; c'est ce que l'on peut sur-tout remarquer dans le cinquième chant de l'Odyssée, lorsque Mercure dit à la nymphe Calypso, empressée de connoître l'objet de sa visite: « C'est Jupiter qui m'a or« donné de me rendre dans ton île ; j'y parois malgré moi. » Ce livre est composé de deux parties distinctes, mais très bien liées, et toutes deux également parfaites: la partie épique, et la partie dramatique. Suivons d'abord les traces de celle-ci. Les deux principaux personnages sont, dès le commencement, placés dans la situation la plus dramatique: Énée, entre ses devoirs et l'amour; Didon, entre le serment de fidélité qu'elle a fait aux cendres de son époux et sa passion |