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Je me rappelle trop ce couple suborneur

Qui du lit de mon roi voulut souiller l'honneur.
D'Alcide ai-je oublié l'audace téméraire,

Qui sous l'œil de ce dieu s'empara de Cerbère,
L'arracha tout tremblant du palais des enfers?
Dompta sa triple tête, et le chargea de fers? »

La prêtresse répond: « Bannissez vos alarmes,
Et ne redoutez pas ce guerrier et ses armes :
Sans en être effrayé, que le gardien des morts
D'aboiements éternels épouvante ces bords;

Que, sans craindre un rival, le roi de ces lieux sombres
Règne sur Proserpine ainsi que sur les ombres.
Fameux
par ses vertus, fameux par ses exploits,
Énée est devant vous; et, respectant vos droits,
A son père, habitant des fortunés bocages,
De l'amour filial il porte les hommages.

Si tant de piété ne peut vous émouvoir,
Voyez ce rameau d'or, et sachez son pouvoir? ›
Il voit, il reconnoît ce précieux feuillage
Que depuis si long-temps n'a vu le noir rivage.
Il s'apaise en grondant, s'avance au bord des flots,
En écarte la foule, et reçoit le héros.

Trop foible pour le poids, la nacelle fatale

Gémit, éclate, et s'ouvre à la vague infernale.
Enfin sur l'autre rive, au bord fangeux des eaux,
Tous deux posent le pied parmi de noirs roseaux.
Là, ce monstre à trois voix, l'effroyable Cerbère,
Sans cesse veille au fond de son affreux repaire:
Il les voit, il se lève; et déja courroucés
Tous ses hideux serpents sur son cou sont dressés.

Melle soporatam et medicatis frugibus offam (13)
Objicit : ille fame rabida tria guttura pandens
Conripit objectam, atque inmania terga resolvit,
Fusus humi, totoque ingens extenditur antro.
Occupat Æneas aditum custode sepulto,
Evaditque celer ripam inremeabilis undæ.

Continuo auditæ voces, vagitus et ingens,
Infantumque animæ flentes, in limine primo
Quos dulcis vitæ exsortis et ab ubere raptos
Abstulit atra dies, et funere mersit acerbo.
Hos juxta falso damnati crimine mortis,
Nec vero hæ sine sorte datæ, sine judice, sedes.
Quæsitor Minos urnam movet; ille silentum
Conciliumque vocat, vitasque et crimina discit.
Proxuma deinde tenent mosti loca, qui sibi letum
Insontes peperere manu, lucemque perosi
Projecere animas. Quam vellent æthere in alto
Nunc et pauperiem et duros perferre labores!
Fas obstat, tristique palus inamabilis unda
Adligat, et novies Styx interfusa coercet.

Nec procul hinc partem fusi monstrantur in omnem(14) Lugentes campi: sic illos nomine dicunt.

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La prêtresse, bravant sa gueule menaçante,
Lui jette d'un gâteau l'amorce assoupissante.
Le monstre, tressaillant d'un avide transport,
Ouvre un triple gosier, le dévore, et s'endort;
Et dans son antre affreux sa masse répandue
Le remplit tout entier de sa vaste étendue.
Le héros part, le laisse en son hideux séjour,
Et s'éloigne des eaux qu'on passe sans retour.

Tout-à-coup il entend mille voix gémissantes:
C'étoient d'un peuple enfant les ombres innocentes;
Malheureux, qui, flétris dès leur première fleur,
A peine de la vie ont goûté la douceur;

Et, ravis en naissant aux baisers de leurs mères,
N'ont qu'entrevu le jour, et fermé leurs paupières :
Il se souvient d'Ascagne, et s'émeut à leurs cris.
Près d'eux sont les mortels injustement proscrits.
Mais l'enfer ne voit point de jugement injuste:
Minos y tient ouvert son tribunal auguste;
Il tient l'urne terrible en ses fatales mains,

Et juge sans retour tous les pâles humains.

Non loin sont ces mortels qui, purs de tous les crimes, De leurs propres fureurs ont été les victimes,

Et, détournant les yeux du céleste flambeau,

D'une vie importune ont jeté le fardeau.

Qu'ils voudroient bien revivre et revoir la lumière,
Recommencer cent fois leur pénible carrière!
Vains regrets! par le Styx neuf fois environnés,
L'onde affreuse à jamais les tient emprisonnés.
Ailleurs, dans sa profonde et lugubre étendue,
Le triste champ des pleurs se présente à leur vue.

Hic, quos durus amor crudeli tabe peredit,
Secreti celant calles, et myrtea circum

Silva tegit; curæ non ipsa in morte relinquunt.
His Phædram Procrinque locis, moestamque Eriphylen,
Crudelis nati monstrantem volnera cernit,
Evadnenque, et Pasiphaen; his Laodamia

It comes, et juvenis quondam, nunc femina, Canis,
Rursus et in veterem fato revoluta figuram.

Inter quas Phoenissa recens a volnere Dido
Errabat silva in magna: quam Troïus heros,
Ut primum juxta stetit, adgnovitque per umbras
Obscuram, qualem primo qui surgere mense
Aut videt, aut vidisse putat per nubila lunam,
Demisit lacrimas, dulcique adfatus amore est:
« Infelix Dido, verus mihi nuntius ergo
Venerat exstinctam, ferroque extrema secutam!
Funeris heu tibi caussa fui? Per sidera juro,
Per superos,
et si qua fides tellure sub ima est;
Invitus, regina, tuo de litore cessi.

Sed me jussa deum, quæ nunc has ire per umbras,
Per loca senta situ cogunt noctemque profundam,

Là ceux qui, sans goûter des plaisirs mutuels,

N'ont connu de l'amour que ses poisons cruels,

Dans des forêts de myrte, aux plus sombres retraites, Vont nourrir de leurs cœurs les blessures secrètes;

Là le trépas n'a pu triompher de l'amour;

Là se voit rassemblé dans le même séjour

Tout ce qu'il eut de noble, et ce qu'il eut d'infame :
C'est Évadné, qui suit son époux dans la flamme;
Phedre, brûlant encor d'illégitimes feux;
Procris, mourant des mains d'un époux malheureux;
Et toi, qui te perdis par ton amour extrême,
Tendre Laodamie! et Pasiphaé même;

Ériphyle à son tour montre aux yeux attendris
Les coups, les coups affreux que lui porta son fils:
Cénis enfin, Cénis, tour-à-tour homme et femme,
Et tour-à-tour changeant et de sexe et de flamme.

Triste et sanglante encor des traces du poignard,
Didon, au fond d'un bois, erroit seule à l'écart.
Comme on voit ou croit voir, sous des nuages sombres,
L'astre naissant des nuits poindre parmi les ombres,
Son fantôme léger apparoît au héros.

Il vient, il s'attendrit, et lui parle en ces mots :
«Est-ce vous que je vois, ô reine malheureuse?
Elle est donc vraie, hélas! cette nouvelle affreuse,
Qui m'a dit votre mort et votre désespoir!
Malheureux! j'en suis cause, et n'ai pu le prévoir!
Non, je n'ai pu prévoir qu'un destin si sévère
Suivroit de votre amant la fuite involontaire.
Qu'à regret je quittai ces rivages si chers!
Oui, j'atteste les dieux, les astres, les enfers,

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