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Doivent à ces autels tomber en sacrifice.»

Elle dit : ces présents rendent le ciel propice;
Et la prêtresse au temple appelle les Troyens.
Un antre fut taillé dans les rocs eubéens,

Où cent larges chemins, où cent portes conduisent:
De là les saints trépieds par cent voix nous instruisent.
Ils avancent; soudain, pleine d'un saint transport,
« Il est temps, il est temps d'interroger le sort,
Dit-elle; le dieu vient; il m'agite, il me presse.
Fils d'Anchise, écoutez la voix de sa prêtresse!
C'est lui-même, c'est lui; je le sens, je le vois! »
Devant la porte auguste ainsi tonne sa voix.
Mais à son dieu déja tous ses sens s'abandonnent;
Ses cheveux, son regard, ses traits se désordonnent;
Son sein bat et se gonfle, et mugit de fureur.
Mais, lorsque de plus près le dieu parle à son cœur,
Alors son air, sa voix n'ont rien d'une mortelle :
« Qu'attends-tu donc, Énée? hâte-toi, lui dit-elle;
Quand commenceras-tu tes prières, tes vœux?
Parle : c'est à ce prix que répondront mes dieux,
Et que s'ébranleront ces portes redoutables. »
Elle dit, et se tait. A ces sons formidables
Il frémit, il s'écrie : « O divin Apollon!
Toi qu'attendrit toujours le malheur d'Ilion,
Qui des traits de Pâris perças le fier Achille;
C'est toi qui, subjuguant ma fortune indocile,
A travers tant d'écueils et tant de vastes mers,
Dont l'humide ceinture embrasse l'univers,
Et les sables brûlants des rives africaines,
Et des Massyliens les peuplades lointaines,

Jam tandem Italiæ fugientis prendimus oras:

Hac Trojana tenus fuerit fortuna secuta.

Vos quoque Pergameæ jam fas est parcere genti, Dique deæque omnes, quibus obstitit Ilium, et ingens Gloria Dardaniæ. Tuque, o sanctissima vates,

Præscia venturi, da, non indebita

posco

Regna meis fatis, Latio considere Teucros,
Errantisque deos, agitataque numina Troja!
Tum Phoebo et Trivia solido de marmore templum
Instituam, festosque dies de nomine Phœbi.

Te quoque magna manent regnis penetralia nostris (
Hic
ego namque tuas sortis, arcanaque fata,
Dicta meæ genti, ponam, lectosque sacrabo,
Alma, viros: foliis tantum ne carmina manda,
Ne turbata volent rapidis ludibria ventis.
Ipsa canas, oro! » Finem dedit ore loquendi.

At, Phoebi nondum patiens, inmanis in antro
Bacchatur vates, magnum si pectore possit
Excussisse deum: tanto magis ille fatigat

Os rabidum, fera corda domans, fingitque premendo.
Ostia jamque domus patuere ingentia centum
Sponte sua, vatisque ferunt responsa per auras:
« O tandem magnis pelagi defuncte periclis!
Sed terra graviora manent. In regna Lavinî

M'as conduit sur ces bords. Enfin un sort plus doux
Nous livre ces beaux lieux qui fuyoient devant nous:
Termine enfin ici les malheurs de Pergame!

Et vous, dieux ennemis que le fer et la flamme
Ont enfin délivrés de ces fameux remparts,
Dont la gloire importune offensoit vos regards,
Aplanissez pour nous la mer et les obstacles;
Dégagez, il est temps, la foi de vos oracles.
Et toi, sainte prêtresse, accorde-nous enfin
Ce bonheur tant promis que nous doit le destin,
Et fixe en ces climats notre fortune errante!
Pour prix de ce bienfait ma main reconnoissante
Bâtira d'un beau marbre un somptueux séjour
A la reine des nuits, au dieu brillant du jour :
De tes accents sacrés et de tes saints mystères,
Là des hommes choisis seront dépositaires;
J'en fais ici le vou. Mais aux vents indiscrets
Ne va pas confier tes éternels décrets;
Graver l'ordre des dieux sur la feuille mobile:
Parle, parle toi-même. » Il dit, et la Sibylle
De son antre profond, terrible, l'œil en feu,
Impatiente encor, lutte contre le dieu.

Plus elle se débat, et plus il la tourmente,
S'imprime dans son cœur, sur sa bouche écumante;
Façonne son maintien, ses paroles, ses traits,
Et lui souffle des sons dignes de ses décrets.
D'elles-mêmes alors les cent portes s'ouvrirent,
Et ces mots imposants dans les airs retentirent :
« Fais taire tes frayeurs, chef d'illustres bannis:
Oui, sur les flots enfin tes malheurs sont finis;

Dardanidæ venient; mitte hanc de pectore curam;
Sed non et venisse volent. Bella, horrida bella,
Et Thybrim multo spumantem sanguine cerno.
Non Simois tibi, nec Xanthus, nec Dorica castra
Defuerint; alius Latio jam partus Achilles,
Natus et ipse dea; nec Teucris addita Juno
Usquam aberit: quum tu supplex in rebus egenis
Quas gentis Italum, aut quas non oraveris urbis!
Caussa mali tanti, conjux iterum hospita Teucris,
Externique iterum thalami.

Tu ne cede malis; sed contra audentior ito,
Quam tua te fortuna sinet. Via prima salutis,
Quod minime reris, Graia pandetur ab urbe. »

Talibus ex ady to dictis Cumaa Sibylla Horrendas canit ambages, antroque remugit, Obscuris vera involvens: ea frena furenti Concutit, et stimulos sub pectore vertit Apollo. Ut primum cessit furor, et rabida ora quierunt, Incipit Æneas heros: «Non ulla laborum, O virgo, nova mi facies inopinave surgit. Omnia præcepi, atque animo mecum ante peregi. Unum oro: quando hic inferni janua regis

Mais que la terre encor te garde de tempêtes!
Je te les garantis, tes illustres conquêtes :
Les Troyens obtiendront les champs de Latinus;
Mais à quel prix sanglant ils seront obtenus!
Je vois, je vois la guerre, et le meurtre et la rage;
Et le Tibre effrayé regorgeant de carnage.
Là de Bellone encor tu verras le drapeau,
Un nouveau Simoïs, un Achille nouveau,
Né, comme le premier, du sang d'une déesse.
Là de Junon encor la haine vengeresse
Des Phrygiens proscrits suivra par-tout les pas.
Contre elle quels secours n'imploreras-tu pas !
Vain espoir! Ton destin suit en tous lieux sa proie:
Une autre Hélène encore embrase une autre Troie.
Ton malheur vient encor d'un hymen étranger.
Toi, conserve un cœur ferme au milieu du danger;
Des secours imprévus attendent ta détresse;
Tes premiers défenseurs te viendront de la Grèce. »
Ainsi de l'antre saint la prophétique horreur
Trouble sur son trépied la prêtresse en fureur;
Ainsi le dieu terrible, aiguillonnant son ame,
La perce de ses traits, l'embrase de sa flamme,
Répand sur ses discours sa sainte obscurité,
Et, même en l'annonçant, voile la vérité.
Enfin sa rage tombe, et son délire cesse.
Énée alors reprend : « O sublime prêtresse!
De mon triste avenir ces terribles tableaux,
Ces aspects menaçants ne me sont pas nouveaux.
Cent fois, anticipant ma pénible carrière,
J'ai tout prévu. Mais vous, exaucez ma prière;

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