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Aceste approuve tout. On dépose en ces lieux
Tout ce qui, peu touché des promesses des dieux,
Volontaire habitant de l'heureuse Sicile,

Préfère à tant d'éclat un destin plus tranquille.
Cependant des vaisseaux au départ préparés,
Les cordages, les mâts, les bois sont réparés;
Et les Troyens choisis, prêts à ce grand voyage,
S'ils n'ont pour eux le nombre, ont pour eux le courage.
Aussitôt de leurs murs le soc décrit le tour;

Chacun demande au sort le lieu de son séjour;
Ces murs portent le nom, le nom sacré de Troie.
Aceste à ses sujets les unit avec joie.

Au rendez-vous du peuple un lieu vaste est marqué;
On désigne une enceinte au sénat convoqué;
Sur le mont appelé du nom d'Éryx son frère,

Énée élève ensuite un beau temple à sa mère;
Enfin un prêtre, un bois, un culte solennel,
Consacrent à jamais le tombeau paternel.

Durant neuf jours entiers, les festins, les offrandes,
Les prières, les vins couronnés de guirlandes,
Ont imploré les dieux et de l'onde et des airs;
Un souffle bienfaisant leur aplanit les mers;
L'Autan les encourage. Aussitôt sur les rives
De leurs derniers adieux roulent les voix plaintives;
Et le jour et la nuit de longs embrassements
Du départ douloureux retardent les moments.
Tous brûlent de partir: ceux même que leur âge,

Que leur sexe timide attachoit au rivage,

Ont oublié la crainte en ces moments de deuil;
L'air n'a plus de tempête, et la mer plus d'écueil;

Et consanguineo lacrimans commendat Acesta.
Tris Eryci vitulos, et Tempestatibus agnam,
Cædere deinde jubet, solvique ex ordine funem.
Ipse, caput tonsæ foliis evinctus olivæ,

Stans procul in prora, pateram tenet, extaque salsos
Porricit in fluctus, ac vina liquentia fundit.
Prosequitur surgens a puppi ventus euntis;
Certatim socii feriunt mare, et æquora verrunt.

At Venus interea Neptunum exercita curis Adloquitur, talisque effundit pectore questus: << Junonis gravis ira, nec exsaturabile pectus, Cogunt me, Neptune, preces descendere in omnis : Quam nec longa dies, pietas nec mitigat ulla, Nec Jovis imperio fatisve infracta quiescit. Non media de gente Phrygum exedisse nefandis Urbem odiis satis est, nec pœnam traxe per omnem Relliquias; Troja cineres atque ossa peremtæ

Insequitur: caussas tanti sciat illa furoris!

Ipse mihi nuper Libycis tu testis in undis,
Quam molem subito excierit: maria omnia cœlo
Miscuit, Æoliis nequidquam freta procellis,
In regnis hoc ausa tuis.

Et la terre à leurs yeux a perdu tous ses charmes.

Leur monarque attendri joint ses pleurs à leurs larmes,

Et du dépôt sacré qu'il laisse sur ce bord,

A son auguste ami recommande le sort.
Éryx de trois taureaux reçoit le sacrifice;
Le sang d'une brebis rendra la mer propice.
Les câbles sont rompus, le signal est donné ;
Chaque navire flotte aux vents abandonné.
Une coupe à la main, l'olive sur la tête,

Le héros, pour calmer le dieu de la tempête,
Des intestins sanglants qu'il jette dans les mers,
Et des flots d'un vin pur rougit les flots amers.
On part; la terre fuit, un vent frais les seconde,
L'eau blanchit sous la rame, et le vaisseau fend l'onde.
Cependant, à Neptune ouvrant son tendre cœur,
Vénus exprime ainsi sa touchante douleur:

« De la fière Junon l'insatiable haine,

O Neptune! vers vous de nouveau me ramène.
Le temps qui détruit tout, les prières, l'encens,
Devant ce cœur d'airain deviennent impuissants;
La voix du destin même en vain parle à son ame.
C'est peu pour son courroux d'avoir détruit Pergame;
Sans relâche attachée à ses restes proscrits,
Elle poursuit sa cendre et ses derniers débris!
Quelle offense peut donc exciter tant de haine?
Junon seule le sait. Sur la mer africaine,
Tout récemment encore, ô comble d'attentats!
Devant vos propres yeux, dans vos propres états,
Son Éole, à mon fils osant livrer la guerre,
A ligué contre lui le ciel, l'onde et la terre;

Per scelus ecce etiam Trojanis matribus actis

Exussit fœde puppis; et classe subegit
Amissa socios ignotæ linquere terræ.

Quod superest, oro, liceat dare tuta

per undas Vela tibi! liceat Laurentem adtingere Thybrim! Si concessa peto, si dant ea moenia Parcæ. »

Tum Saturnius hæc domitor maris edidit alti: << Fas omne est, Cytherea, meis te fidere regnis, Unde genus ducis. Merui quoque; sæpe furores Conpressi et rabiem tantam cœlique marisque. Nec minor in terris, Xanthum Simoentaque testor, Æneæ mihi cura tui: quum Troia Achilles Exanimata sequens inpingeret agmina muris, Millia multa daret leto, gemerentque repleti Amnes, nec reperire viam atque evolvere posset In mare se Xanthus; Pelidæ tunc ego forti Congressum Æneam, nec dis nec viribus æquis, Nube cava rapui, cuperem quum vertere ab imo Structa meis manibus perjuræ monia Troja.

Et voilà qu'aujourd'hui dans de timides cœurs
Par un nouveau forfait allumant ses fureurs,
A brûler leurs vaisseaux elle excite leur rage!
La flamme a dévoré ce qu'épargna l'orage,

Et force, hélas! mon fils, après tant de dangers,
D'abandonner les siens sur des bords étrangers.
Je n'ai plus qu'un desir : qu'un destin moins funeste
Des Troyens opprimés respecte au moins le reste!
Et, si l'arrêt du sort ne dément pas mes voeux,
Conduise aux champs latins ce peuple malheureux.
Voilà l'ambition du fils et de la mère. >>

Neptune, en souriant, entend sa plainte amère,
Console sa douleur, et dit: « Non, ce n'est pas
A la fille des mers à craindre mes états:
Vénus dans mon empire a reçu la naissance.
Moi-même ai quelques droits à votre confiance:
Souvent, pour votre Énée employant mon pouvoir,
J'ai fait rentrer les vents, les flots dans leur devoir;
Et sur la terre encor, dans plus d'une journée,
Vénus, vous m'avez vu soigner sa destinée.
Quand le terrible Achille, au milieu des combats,
Des Troyens haletants, que poursuivoit son bras,
Moissonnoit des milliers, ou contre leurs murailles
Écrasoit leurs débris échappés aux batailles;
Lorsque, chargé de morts, le Xanthe épouvanté
Suivoit péniblement son cours ensanglanté;
Alors vous m'avez vu du fier vainqueur de Troie
Sauver dans un nuage une si noble proie;
Et, trompant de ce fils le terrible rival,
L'arracher malgré lui d'un combat inégal :

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